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Récit franceinfo "Théo a voulu défendre son pote" : comment un contrôle de police à Aulnay a dégénéré

Le jeune homme, qui accuse les policiers de viol et de violences, a raconté les faits à plusieurs reprises. Franceinfo confronte sa version avec celle des policiers.

Article rédigé par Camille Caldini
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Des habitants de la cité des 3000 et des mères de famille du quartier défilent à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), le 6 février 2017, après l'interpellation violente de Théo. (MAXPPP)

D'un côté, Théo, Aulnaysien de 22 ans, de l'autre, quatre policiers de Seine-Saint-Denis. Le premier accuse les seconds de violences volontaires, lors d'une interpellation qui s'est déroulée dans la cité des 3000, jeudi 2 février. Il est sorti grièvement blessé de cette confrontation, physiquement et psychiquement, selon ses proches. Trois policiers ont été mis en examen pour "violences volontaires par personne dépositaire de l'autorité publique, avec arme et en réunion suivies d'incapacité de travail supérieure à 8 jours", le quatrième pour viol. Il est accusé d'avoir introduit sa matraque dans l'anus du jeune homme, provoquant de graves blessures.

Que s'est-il réellement passé, jeudi, à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) ? Franceinfo confronte la version de Théo, qui a raconté la scène à des proches et à ses avocats, dans plusieurs enregistrements et celles des policiers, interrogés par les médias.

"Un coup-de-poing à la pommette gauche"

Tout commence par un contrôle d’identité, autour de 17 heures, dans la cité de la Rose-des-Vents, aussi appelée aussi cité des 3000, à Aulnay-sous-Bois. Quatre agents de la Brigade spécialisée de terrain (BST) entendent crier "ça pue", selon le PV d'audition de l'un d'eux, consulté par BFMTV. Un cri habituellement poussé par des guetteurs pour alerter les dealers. Les agents contrôlent alors "une dizaine de personnes sur les lieux". Lorsque l'un des jeunes hommes, qui refuse d'être contrôlé, "rapproche son visage d'un des policiers en geste de défiance", qui "le repousse fermement et c'est à ce moment précis que Théo s'interpose", rapporte BFMTV.

Le récit de Théo n'est pas très différent. Lui raconte qu'il traverse la place du Cap et aperçoit "des jeunes du quartier", qu'il s'apprête à saluer, quand les policiers arrivent : "Ils approchent et disent : 'Tous contre le mur' et ensuite 'sortez vos cartes d'identité'", explique Theo, dans un enregistrement diffusé par Europe 1. "A leur ton, je comprends qu'ils ne sont pas là pour rigoler", ajoute-t-il. Le jeune homme qui se trouve à sa droite n'a pas sa carte d'identité. "Le policier le pousse et lui met une grosse gifle", se souvient Théo, qui tente alors de s'interposer. "A ce moment-là, j'attrape (nom incompréhensible) et je le tire vers moi". C'est là qu'un policier lui "assène un coup"

Cette version est confirmée par plusieurs témoignages : un de ses amis, interrogé par le BondyBlog, et Omar, un autre habitant du quartier. Ce dernier affirme au Parisien que "Théo a voulu défendre son pote". Selon les policiers, il s'est bien interposé, mais plus violemment. A l'IGPN, un policier déclare que Théo a "attrapé un de ses collègues par le col, crié puis aurait tenu 'des propos injurieux' à son égard". Il aurait également donné "un coup-de-poing sur la pommette gauche" d'un des agents. A franceinfo, Daniel Merchat, avocat d'un autre policier, rapporte une scène plus confuse. Selon lui, son client, qui "tenait le groupe à distance avec sa bombe lacrymogène", voyant Théo "mettre un coup à un de ses collègues", a "tenté de le ceinturer et en tombant avec lui, s'est gazé tout seul".

"Il faut que j'aille où il y a des caméras"

Alors que la situation dégénère, les agents décident de prendre Théo à part pour l'interpeller. L'un d'eux le ceinture, mais il se débat "très violemment". De son côté, Théo affirme avoir "tout de suite pensé : 'il faut que j'aille là où il y a des caméras, sinon je vais passer pour un menteur'." "Je savais que là où on était, il n’y avait pas de caméras, j’ai réussi à me débattre, je suis parti devant les caméras. Je n’ai pas cherché à fuir", assure-t-il.

La scène est filmée par les caméras de vidéosurveillance de la police municipale et au moins un témoin. Les images permettent de voir "nettement les violences et, à un moment, un coup de matraque télescopique, porté à l’horizontale, transperce le caleçon du jeune homme", détaille une source proche du dossier à Libération. Au Figaro, Maître Frédéric Gabet, l'avocat du fonctionnaire mis en cause pour viol, précise que son client, "visant les cuisses, a alors utilisé à deux reprises, le bâton à la manière d'une épée", car "dos au mur" il ne pouvait "plus prendre de l'élan pour fouetter les jambes du garçon pour l'obliger à plier les genoux".

"Je l'ai vu enfoncer sa matraque, volontairement"

Théo dénonce, au contraire, un acte intentionnel. "Ils m'attrapent à trois, pendant que leur collègue est en train de virer tout le monde pour qu'il n'y ait que nous cinq, raconte-t-il. Et là, le policier qui était en train de virer tout le monde revient vers moi, il baisse mon pantalon et il enfonce sa matraque dans mes fesses." Dans le récit obtenu par BFMTV, Théo précise s'être trouvé "de dos, mais de trois-quarts". Selon une source judiciaire interrogée par l'AFP pendant l'enquête préliminaire, ce coup a été porté après que son "pantalon a glissé tout seul".

"Lorsqu'il fait ça, c'est comme si mon corps m'avait abandonné, décrit Théo. Je tombe vers l'avant, ils me mettent les menottes et me frappent encore, me mettent des gaz lacrymogènes partout, dans la bouche." Le jeune homme assure ensuite avoir entendu l'un des policiers dire "clairement" à l'un de ses collègues : "Attends, là, il y a des caméras, on va derrière le mur, on va lui faire sa fête". "Il y avait des jets de projectiles", justifie Me Frédéric Gabet. Une fois sur place, les policiers le frappent encore, "l'écrasent", jusqu'à ce qu'un habitant du quartier "vienne voir ce qui se passe", poursuit Théo. Selon son récit, les policiers le conduisent alors jusqu'à leur véhicule, pour l'emmener au commissariat.

"Ils m'ont traité de bamboula, de salope"

Dans la voiture, les coups auraient continué de pleuvoir, accompagnés d'insultes. "Ils m'ont encore frappé, ils m'ont mis des patates, des coups de matraque dans les parties intimes. Ils m'ont craché dessus, ils m'ont traité de négro, de bamboula, de salope", accuse Théo. Les policiers affirment que lui a proféré des insultes. Le jeune homme reconnaît avoir tenté de se débattre en donnant des coups de pieds. L'avocat du plus jeune des policiers, âgé de 24 ans, sans contester cette version, se dit "étonné" de voir le récit du jeune homme évoluer. "Plus le temps passe, plus les faits sont d'une gravité exceptionnelle, explique-t-il. Ils deviennent aujourd'hui des faits de type actes de torture et de barbarie sur fond de racisme."

Le Parisien, qui a consulté, sans le publier, un autre enregistrement réalisé par un proche de Théo, apporte des détails supplémentaires sur ce ce trajet en voiture. Théo y raconte les moqueries des policiers, "je crois qu'il saigne du fion", et ajoute que l'un d'eux a pris "un snap" de la scène (une photo ou une vidéo qui disparaît après quelques secondes, via l'application Snapchat). "Quand on descend de la voiture, poursuit le jeune homme, un policier dit : 'T'as raison, il saigne des fesses', mais d'un ton moqueur et le policier qui conduisait, il dit : 'Regarde dans quel état t'es, espèce de salope'."

Si les policiers ont livré leur version lors de leurs auditions, aucune information n'est sortie des bureaux de l'IGPN pour le moment. Selon Daniel Merchat, son client "a été très clair sur le fait qu'il est totalement faux que la victime a été molestée pendant le transport". Deux autres avocats des agents de police mis en cause n'ont pas encore répondu aux sollicitations de franceinfo. Le Parisien précise que "des recherches sont en cours sur les téléphones des policiers (qui ont été) saisis".

"Un policier a tout fait pour que j'aille mieux"

Théo est toujours dans l'incapacité de s'asseoir à son arrivée au commissariat. Un policier lui lance alors : "Allonge-toi, on va quand même t'attacher au banc parce que c'est la procédure." Couché par terre, attaché au banc, Théo "n'arrive pas à respirer, convulse beaucoup". Il entend alors un échange : "Faut l'emmener, c'est grave", lache un policier. "Mais non, il fait du cinéma. Il a voulu faire le grand", répond l'un des agents qui l'ont interpellé. Le calvaire de Théo finit par prendre fin. "Un policier, qui était plus sympa, a tout fait pour que j'aille mieux", assure-t-il. Le jeune homme tient à "le remercier" : "Il m'a même accompagné à l'hôpital"Lorsque le Samu arrive, un urgentiste l'examine et déclare, toujours selon Théo : "C'est très grave, il faut l'opérer le plus rapidement possible."

A l'hôpital, un médecin diagnostique "une plaie longitudinale du canal anal" sur près de 10 cm et une "section du muscle sphinctérien". Il prescrit 60 jours d'Incapacité totale de travail (ITT). Près d'une semaine après l'interpellation, dont les policiers ne contestent pas la violence, Théo ne sait toujours pas quelles seront ses séquelles.

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