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"On n'a pas attendu la loi de bioéthique pour exister" : conçus par PMA, des enfants de mères lesbiennes témoignent

Article rédigé par Marie-Violette Bernard
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 12 min
Alors que l'examen du projet de loi bioéthique débute à l'Assemblée nationale, franceinfo a recueilli les témoignages d'enfants de femmes lesbiennes conçus par PMA. (JESSICA KOMGUEN / FRANCEINFO)

Ils ont 8, 12 ou 25 ans. Franceinfo a recueilli les témoignages d'enfants de femmes homosexuelles nés d'une procréation médicalement assistée, alors que l'examen du projet de loi de bioéthique débute en commission à l'Assemblée nationale.

* Cet article est republié le mardi 29 juin 2021, jour de l'adoption définitive par le Parlement de la PMA pour toutes.

"Un monsieur a donné une graine à mes mamans, parce qu'elles étaient amoureuses et qu'elles voulaient un bébé. Un médecin a mis la graine dans le ventre de ma maman et on est arrivés." A 8 ans, Guillaume* explique très simplement le principe de la procréation médicalement assistée (PMA). "On a une maman et une moumou. Moumou, c'est comme un papa", ajoute son frère Gautier*. Les jumeaux et leur cadet, Valentin*, ont tous été conçus par insémination artificielle à l'étranger.

Comme de nombreux autres couples de femmes, Agathe* et son épouse n'ont en effet pas attendu le projet de loi de bioéthique, qui prévoit d'ouvrir la PMA à toutes les femmes, pour avoir des enfants. Elles se sont rendues en Belgique et en Espagne, deux pays qui autorisent depuis plusieurs années les femmes seules et les lesbiennes à recourir à cet ensemble de techniques médicales. "En France, les couples de mamans n'ont pas le droit d'avoir des enfants, c'est triste, souffle Gautier, interrogé par franceinfo. Mais bientôt, on ne pourra plus leur dire non juste parce que ce sont deux filles."

"C'était tellement normal pour moi"

Pour ces deux garçons, comme dans les autres familles interrogées par franceinfo, il n'y a pas de mystère autour de la PMA. Aussi loin que Liam s'en souvienne, sa mère lui a toujours expliqué sa conception "sans tabou", avec "les mots qu'on utilise avec les enfants". "Elle m'a dit qu'elle aimait les femmes et que j'avais été conçu en Espagne, raconte laconiquement le collégien de 12 ans, dont la mère, Caroline, élève seule ses deux garçons. C'est tellement normal pour moi que, petit, je pensais que tout le monde était fait comme ça." Agée de 25 ans, Lison se souvient, elle, d'avoir regardé "des albums photos montrant les voyages de [ses] mères en Belgique". Et lorsqu'elle a voulu en savoir plus sur leur parcours de PMA, à l'âge de 10 ans, ses parents l'ont emmenée dans la clinique wallonne où elle a été conçue.

Même transparence lorsqu'il s'agit de parler des donneurs, anonymes, qui ont permis ces procréations médicalement assistées. Liam connaît la nationalité et la taille de son géniteur. Mais l'adolescent n'a jamais ressenti le besoin d'en savoir plus. "Ma mère et mon 'père', si on peut l'appeler comme ça, ne se sont jamais rencontrés, rappelle-t-il avant de faire une pause, pensif. Si j'avais eu un papa qui était mort ou parti quand j'étais petit, j'aurais sans doute été triste. Mais je n'en ai tout simplement pas, alors je n'éprouve rien." La mère de Chloé* a, elle aussi, suivi seule un parcours de PMA. Elle conserve encore, dans une boîte rangée dans leur maison de Bretagne, une note rédigée par le médecin belge. Sur le bout de papier, quatre mots sont griffonnés : "Grand, blond, yeux bleus." "Le portrait craché de ma sœur jumelle", sourit l'étudiante de 24 ans.

Je n'ai jamais posé de questions à ma mère sur le donneur, parce que ça ne m'a jamais intéressée. Les hommes qui donnent du sperme sont des géniteurs, mais ça ne fait pas d'eux des papas.

Chloé

à franceinfo

Nicolas* a un parcours différent. En 1995, ses mères postent une petite annonce dans un journal pour trouver un donneur. Un chirurgien américain, qui réside alors à Paris, leur répond. "Ils se sont rencontrés dans un café, puis vus plusieurs fois, pour faire connaissance, raconte le jeune homme de 24 ans, qui vit désormais à New York. Il a accepté d'être le donneur et les a mises en contact avec un médecin qui voulait bien les aider parce qu'il était à quelques mois de la retraite." Le père de Nicolas ne le reconnaît pas à la naissance, "pour éviter que ses droits n'empiètent" sur ceux de sa deuxième mère. Mais ses parents sont transparentes sur ses origines : "Elles trouvaient important que je connaisse mon père, alors je le voyais tous les un ou deux ans."

"Un enfant né de PMA est un enfant de l'amour"

Nicolas ne s'est jamais interrogé sur ce schéma familial. "Les gens s'imaginent que quand on a deux mères, on se pose mille questions ou qu'on a des problèmes à l'école, relève-t-il avec une pointe d'agacement. Mais mes camarades ne s'en inquiétaient pas plus que ça." Bien sûr, il y a parfois des incidents. A 24 ans, Laura se souvient encore de la camarade de CM2 qui l'a "bousculée" et traitée de "bébé éprouvette". Guillaume et Gautier, les jumeaux de 8 ans, ont encaissé les moqueries de trois élèves de leur classe de CE2. "Elles m'ont dit que mon petit frère Valentin serait moche parce qu'on a deux mamans, raconte Guillaume. Ça m'a fait pleurer, mais mon frère m'a défendu et le directeur leur a dit de venir dans son bureau. Il a dit que personne n'avait le droit de se moquer des autres."

Lison n'a véritablement été confrontée aux attaques contre sa famille qu'à l'âge de 19 ans. "J'étais en classe prépa à Paris quand la Manif pour tous a commencé à militer. Un jour, j'ai découvert un tag lesbophobe sur le mur de l'établissement", raconte la doctorante en sociologie d'une voix blanche. Propos homophobes, slogans qui nient l'existence même de leurs familles... Pour tous les jeunes adultes interrogés par franceinfo, le souvenir des manifestations de 2013 contre le mariage pour tous reste douloureux. "A l'époque, je sortais avec une fille qui habitait Versailles, se remémore Nicolas. J'ai pris le RER plusieurs fois avec tous ces gens en sweats rose et bleu, je les entendais dénigrer les familles comme la mienne… C'était extrêmement violent."

Des militants de la Manif pour tous défilent dans les rues de Paris, le 16 avril 2013. (THOMAS SAMSON / AFP)

Tous redoutent de voir ces discours ressurgir durant le débat sur la loi de bioéthique. "On parle de la PMA pour toutes comme d'un caprice, mais ces grossesses sont toujours un projet réfléchi pendant des mois, voire des années", rappelle Vivian, étudiant aux Beaux-Arts de 19 ans. "Comme dit toujours ma mère, un enfant né de PMA est un enfant de l'amour", abonde Laura. Elle dénonce "l'absurdité" des arguments des opposants au projet de loi. "Si on les écoute, on a l'impression que cette mesure va soudainement créer des familles homoparentales, ironise la jeune femme. Mais on n'a pas attendu la loi de bioéthique pour exister. Tout ce que l'on demande, c'est que l'Etat le reconnaisse."

"On fait comment quand on a deux mères ?"

Selon les témoignages recueillis par franceinfo, l'administration a en effet bien du mal à prendre en compte l'existence des familles homoparentales. A chaque début d'année scolaire, il faut remplir des formulaires avec les coordonnées des parents. "Il y a toujours les cases 'père' et 'mère', souligne Vivian. Une année, au lycée, j'ai dit au prof : 'On fait comment quand on a deux mères ?' Il y a eu des regards, des moqueries dans la salle de classe. Le prof était déstabilisé." Chloé, dont la mère élevait seule ses enfants, se contentait de "rayer la mention 'père'". Laura, elle, a préféré "prendre ça à la rigolade". "Au collège, mes mères étaient déjà séparées alors je ne mettais que les coordonnées de celle avec qui je vivais", glisse-t-elle à franceinfo.

En 6e, j'ai mis un faux nom sur la ligne 'père' de mon carnet de liaison, je l'ai appelé Patrick. L'année suivante, c'est devenu Patrice. Chaque année, mon 'père' changeait de nom.

Laura

à franceinfo

Même majeur, Nicolas s'est régulièrement heurté à l'hétéronormativité (la présomption d'hétérosexualité) de l'administration. "Il est arrivé que des facs me renvoient mon dossier d'inscription en me disant qu'il devait y avoir une 'erreur' parce que j'avais noté deux prénoms féminins, explique-t-il, désabusé. Mais j'ai toujours eu une obstination à mettre leurs noms à toutes les deux, parce que c'est la réalité de ma famille."

La non-reconnaissance de la filiation avec la deuxième mère a d'autres conséquences, bien plus lourdes. Hors adoption, l'autorité parentale du deuxième parent n'est pour l'instant pas reconnue par la loi. Impossible pour les mères "sociales" (celles qui n'ont pas porté l'enfant) de signer une autorisation de sortie de classe ou de prendre une décision médicale pour leurs enfants mineurs. A 17 ans, Nicolas ainsi s'est vu refuser une IRM parce que sa mère biologique n'était pas présente. "Elle avait donné une autorisation signée à mon autre mère, mais ce n'était pas suffisant, détaille-t-il. On a dû reprendre rendez-vous."

Ce n'était pas très grave pour ma santé, mais c'était dur pour ma mère de s'entendre dire que je n'étais pas son enfant.

Nicolas

à franceinfo

"C'était toujours la même maman qui venait à mes rendez-vous médicaux et ceux de ma sœur jumelle, toujours elle qui signait les documents pour l'école, détaille également Vivian. J'ai fini par demander à mon autre maman si c'était parce qu'elle nous aimait moins." Sa mère lui explique qu'elle n'en a tout simplement pas le droit. "J'ai ressenti un immense sentiment de colère, d'injustice", confie l'étudiant lyonnais.

"Quelqu'un est venu nous interroger chez nous"

Cette situation est souvent une source d'angoisse pour les mères lesbiennes et leurs enfants. "Si ma mère biologique était morte et que mes grands-parents n'avaient pas pu s'occuper de moi, j'aurais été placée en famille d'accueil alors que j'ai toujours eu un deuxième parent, souligne Laura. C'est complètement absurde." En cas de séparation, les parents doivent s'organiser pour déterminer les règles d'une éventuelle garde partagée, sans recours pour les mères "sociales" en cas de litige. Et même si elles se quittent en bons termes, les incertitudes demeurent. "Mes parents se sont séparées quand j'avais trois ans et ma mère biologique est partie vivre à Nice avec moi, explique Nicolas. S'il lui était arrivé quoi que ce soit, mon autre mère n'aurait même pas été mise au courant."

En ouvrant l'adoption aux couples de même sexe, la loi Taubira de 2013 a offert une première étape vers la reconnaissance de ces familles. Les parents de Vivian ont entamé les démarches lorsqu'il avait 15 ans. "Nos mamans se sont mariées un an plus tôt, ce qui a rendu la procédure plus simple", raconte-t-il. Il leur a néanmoins fallu se plier à un processus "intrusif". "Quelqu'un est venu chez nous, nous interroger tous les quatre", poursuit l'étudiant de 19 ans.

On nous a demandé de justifier notre relation, alors qu'on ne demande rien aux familles hétéroparentales.

Vivian

à franceinfo 

Outre les entretiens avec des fonctionnaires de police et un juge, il faut fournir des photos, confirmer des dates de vacances passées ensemble. "Je dois prouver que la personne qui m'a élevée est bien ma mère, insiste Laura, non sans amertume. Il y a un tas de procédures pour faire reconnaître une situation pourtant pas exceptionnelle : une simple relation entre une mère et sa fille." Mais Laura n'a pas d'autre choix, ne serait-ce que pour "des questions de succession" "Sans l'adoption, je n'existe pas dans sa famille et elle n'existe pas dans la mienne."

A 25 ans, Lison vient tout juste d'entamer un processus d'adoption. "Les gens se permettent parfois de me demander ce que ça fait de grandir sans père. Ça ne fait rien. Mon combat à moi, c'est de faire reconnaître la place de ma mère Brigitte, explique-t-elle. Les démarches sont plus faciles, mais aussi plus étranges, parce que je suis majeure."

"On stigmatise les enfants de lesbiennes"

L'exécutif a promis de "sécuriser cette filiation" dans le projet de loi de bioéthique. Le gouvernement a, dans un premier temps, annoncé que les couples lesbiens devraient se rendre chez un notaire durant la grossesse, pour établir une "déclaration commune anticipée" détaillant leur projet parental. A la naissance, cette déclaration aurait été présentée à l'officier d'état civil, pour que les noms des deux mères soient inscrits sur l'acte de naissance.

Pour Laura, cette étape supplémentaire est injustifiée. "N'importe quel homme peut aujourd'hui se rendre dans une mairie et reconnaître un enfant sans qu'on lui demande la moindre preuve de sa paternité. Pourquoi les lesbiennes ne peuvent-elles pas en faire de même ?" Lison dénonce, elle aussi, ces "complications". "On crée volontairement des embûches supplémentaires pour les couples de femmes. Est-ce pour les dissuader ? Ou pour qu'elles prouvent encore une fois qu'elles sont capables d'élever un enfant ? s'interroge la doctorante en sociologie. Dans tous les cas, je ne vois pas ce que ça traduit si ce n'est de l'homophobie."

Une pancarte pour l'ouverture de la PMA à toutes les femmes est brandie lors de la marche des fiertés, à Paris, le 29 juin 2019. (ESTELLE RUIZ / NURPHOTO / AFP)

Juristes et associations LGBT+ critiquent également la possibilité, un temps évoquée, d'inscrire la PMA sur l'acte de naissance des enfants de couples lesbiens. Selon Le Monde, le Conseil d'Etat a recommandé de ne pas appliquer cette mesure aux couples hétérosexuels, pour leur laisser "la liberté dans le choix de révéler ou de ne pas révéler à leur enfant son mode de conception". "C'est absolument abject, s'emporte Nicolas. Ce n'est ni plus ni moins qu'une stigmatisation des enfants de lesbiennes." "On accorde la PMA aux couples de femmes, mais une PMA minorée", s'offusque également Lison.

Devant les critiques, la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, a annoncé début septembre (après que franceinfo a recueilli ces témoignages) que la PMA ne serait finalement pas inscrite sur l'acte de naissance. "Il sera mentionné que les deux mères ont reconnu l'enfant à telle date, devant notaire, rien de plus", a-t-elle assuré. Elle a également déclaré que la "déclaration commune anticipée" serait remplacée par une "reconnaissance anticipée de l'enfant" devant notaire, comme pour les couples hétérosexuels non mariés. Vivian reste donc positif. "La PMA pour toutes serait une véritable avancée, l'existence de nos familles serait enfin reconnue, estime l'étudiant aux Beaux-Arts. Même s'il est incroyable qu'il ait fallu attendre si longtemps pour que ce soit le cas."

* Les prénoms ont été modifiés.

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