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Agressions homophobes en série : "Nous avons très peur que le scénario de 2013 se reproduise"

Flora Bolter, codirectrice de l'observatoire LGBT+ de la Fondation Jean-Jaurès, répond aux questions de franceinfo après une nouvelle agression homophobe à Paris.

Article rédigé par franceinfo
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Lors d'une manifestation contre l'homophobie, à Lille le 15 mars 2014. (MAXPPP)

Une nouvelle agression homophobe a été commise, mardi 16 octobre, en plein Paris, contre le fondateur d'Urgence Homophobie, alors qu'il sortait d'un restaurant avec des amis. Deux jours plus tôt, dans le 15e arrondissement, un jeune homme a été frappé au visage parce qu'il portait du maquillage. Début septembre, deux couples homosexuels ont été aspergés de peinture noire et d'eau de javel, à la braderie de Lille. Un phénomène en recrudescence ou l'effet d'une médiatisation accrue ? Nous avons posé la question à Flora Bolter, codirectrice de l'observatoire LGBT+ de la Fondation Jean-Jaurès.

Franceinfo : Depuis plusieurs semaines, les agressions homophobes semblent se multiplier. Le constatez-vous ?

Flora Bolter : Les violences LGBTphobes, il y en a beaucoup, c'est un fait vécu. Une enquête que nous avons fait réaliser en juin par l'Ifop montre que 53% des personnes LGBT disent avoir été victime d'une agression au cours de leur vie. Et les autres savent que cela peut leur arriver : toujours selon cette enquête, 60% des personnes interrogées ont déjà évité de tenir la main ou d’embrasser un partenaire de même sexe en public par peur d'une agression.

C'est une réalité systémique qui ne date pas d'aujourd'hui. Mais cette semaine, il y a eu au moins deux cas à Paris. Et au cours de l'année 2018, on a relevé des agressions à Dieppe, à Nancy, à Lille, à Nîmes, à Limoges... Bref un peu partout. La plus tragique a été l'assassinat de Vanesa Campos, une personne trans, en août dans le bois de Boulogne.

Comment expliquer cette succession d'agressions homophobes ? Peut-on parler de recrudescence ?

Il est un peu tôt pour la constater avec des outils de mesure. Mais nous avons noté beaucoup d'incidents en février et en mars, puis une nouvelle vague en août, en septembre et en octobre. Ça correspond pleinement au calendrier du débat sur la bioéthique [dans son rapport du 25 septembre, le comité consultatif national d'éthique s'est déclaré favorable à l'ouverture de la PMA pour toutes les femmes]. 

En 2013, au moment du débat sur le mariage pour tous, nous avions déjà très clairement constaté une augmentation des agressions.

Flora Bolter

On peut donc remarquer que ces agressions sont en lien avec des discours qui sont très violents. Quand on nous dit que reconnaître nos droits c'est aller contre la civilisation ou c'est porter atteinte aux fondamentaux de l'anthropologie humaine, ces personnes nous sortent de l'humanité, nous dénient le statut d'être humain.

Que des personnes en situation d'autorité, des leaders d'opinion se permettent ce genre de propos, cela donne le signal que l'homophobie et la transphobie, ce n'est pas si grave. Il y a une libération de la parole et des actes qu'on a vus en 2013 et qu'on revoit aujourd'hui autour de ce débat qui a déjà beaucoup duré. Nous avons très peur que le même scénario se reproduise, avec un débat interminable qui nous expose à des agressions.

Les agressions homophobes sont-elles également davantage médiatisées ?

En effet, les gens portent plainte plus souvent et rendent public ce qui leur est arrivé. Quelque part, les gens n'arrivent plus à nous faire taire. C'est une bonne chose car il y a un phénomène de sous-déclaration de ces agressions.

Des agressions ont lieu y compris à Paris, qui a pourtant l'image d'une ville "gay-friendly"...

On croit toujours que l'anonymat des grandes villes protège, et en effet on pense que Paris est un lieu sûr pour les personnes LGBT. Beaucoup d'entre elles sont d'ailleurs parties de leur région d'origine pour venir y vivre et y être plus libres. Mais la grande ville favorise la déshumanisation. Dans les agressions, il y a aussi un facteur visibilité important. Ce qui va servir de prétexte à une attaque, c'est tout simplement d'être visible : se tenir la main, sortir d'un bar, porter un t-shirt, revenir de la marche des fiertés…

Pour ne plus être agressé, il faudrait donc ne plus être visible ?

La visibilité c'est aussi, sur le long terme, la possibilité de se rendre compte que nous sommes, comme tout le monde, des êtres humains. On entend des gens dire : "Moi, je suis pour que les gens fassent ce qu'ils veulent dans la vie privée mais pas qu'ils l'étalent en public." Quand ils disent ça, c'est que fondamentalement ça les dérange : ils peuvent nous ignorer mais dès qu'ils se rendent compte qu'on existe, tout d'un coup cela justifie la violence. 

Nous sommes donc face à un paradoxe : plus on est visibles, plus on s'expose à la violence, mais si on n'est pas visibles, on ne surmontera jamais cela.

Flora Bolter

Comment jugez-vous la réaction des autorités face à ces agressions homophobes ?

On a l'impression qu'il y a une forme d'acceptation, que les violences envers les personnes LGBT ne sont pas prises au sérieux. Le petit communiqué de presse ou le petit tweet pour dire que les agressions homophobes sont scandaleuses, c'est bien. Mais ce serait bien aussi que cela arrive systématiquement et que ce soit suivi de mesures et d'un plan d'action solide et financé. Depuis le remaniement, Marlène Schiappa est désormais chargée de la lutte contre les discriminations. C'est une bonne chose mais elle n'est toujours que secrétaire d'Etat, c'est-à-dire qu'elle s'occupe d'un périmètre plus large, mais avec les mêmes moyens.

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