Procès Heaulme : l'ombre du double meurtre plane toujours sur Montigny-lès-Metz
Le tueur en série Francis Heaulme comparaît à partir de mardi devant les assises pour les meurtres d'Alexandre Beckrich et Cyril Beining, deux garçons de 8 ans, tués en 1986 en Moselle. Franceinfo s'est rendu sur place, plus de trente ans après les faits.
Les rails sont rouillés au milieu des herbes folles, des ronces et des arbustes qui ont poussé à leur guise. Le soleil, qui commence à décliner, pointe derrière un nuage. Un halo de lumière douce éclaire la voie ferrée abandonnée. On entend par moments un TGV qui file à vive allure, un peu plus loin en contrebas, et le roulis des wagons d'un train de marchandises. Entre deux passages, les piaillements des oiseaux bercent l'atmosphère, fraîche pour un mercredi de la mi-avril.
Ce talus mal entretenu qui longe la rue Venizélos à Montigny-lès-Metz (Moselle) pourrait sembler bucolique s'il n'avait pas été le théâtre d'un crime horrible. Le lieu est hanté par les corps de deux enfants de 8 ans, retrouvés sans vie le dimanche 28 septembre 1986, à 19h50. Ce jour-là aussi, il faisait beau. Aujourd'hui, impossible de repérer l'endroit exact de la macabre découverte. Mais on peut imaginer Alexandre Beckrich, le pantalon de jogging descendu à mi-cuisses, et Cyril Beining, la tête enfoncée dans le sol. Les deux garçons ont été mortellement frappés à la tête avec des pierres.
Un double meurtre qui a laissé des traces
Dans cette affaire, Patrick Dils a été condamné deux fois, puis acquitté définitivement en 2002, lors d'un procès en révision. Aujourd'hui, c'est au tour du tueur en série Francis Heaulme d'être renvoyé devant la cour d'assises de Moselle, du mardi 25 avril au jeudi 18 mai. Plus de trente ans après les faits, ce procès permettra-t-il enfin de savoir qui est l'auteur de ce crime d'une extrême violence ?
Presque résignés, les habitants de Montigny-lès-Metz pensent ne jamais trouver la réponse. Si les mots "double meurtre" restent associés (y compris sur Google) à la ville, la quatrième de Moselle en population, c'est surtout dans les esprits que l'affaire a laissé des traces. Montigny-lès-Metz ne porte pas les stigmates du crime, mais offre plutôt un visage avenant. Ce n'est pas une cité minière laissée à l'abandon par la désindustrialisation, une ville grise et sinistrée comme le voudrait le cliché d'une ville de l'Est. C'est un faubourg à l'ancienne de l'agglomération messine, aux maisons cossues des années 1930 et aux pavillons des années 1970, traversée par la rue de Pont-à-Mousson, artère principale et ancienne route nationale entre Metz et Nancy.
"C'est une personne âgée qui a fait le coup"
La rue du double meurtre est nichée derrière. Elle porte le nom d'un homme politique grec, Elefthérios Venizélos. Son tracé est singulier : elle forme un arc-de-cercle. En 1986, elle n'était pas même pas goudronnée. Aujourd'hui, un rond-point la divise en deux parties, dont l'une est à sens unique. C'est une rue tranquille. Des voitures y circulent de temps en temps. Une femme promène deux chiens. Un peu plus loin, un habitant, appuyé sur une béquille, s'apprête à sortir de chez lui. Il a son avis sur l'affaire. "Ce n'est pas Heaulme. Je l'ai un peu connu, il a fait beaucoup de meurtres, mais ce n'est pas lui car il l'a juré à sa sœur, déroule-t-il. C'est une personne âgée qui a fait le coup", avance-t-il, sans vouloir en dire davantage.
Lui qui vit depuis cinquante ans dans cette rue, où il possède une maison, se dit surtout marqué par l'erreur judiciaire dont Patrick Dils a été victime. "Ce n'est pas lui qui a fait le coup. Ce n'est pas le gamin ! C'est la faute du gendarme, celui qui était en civil, qui a voulu le punir. Il l'a puni et il est resté quatorze ans en prison. Quatorze ans ! s'exclame cet homme âgé au visage mangé par une paire de lunettes. C'est triste. Et pourtant, certains lui en voulaient encore… Sa famille a déménagé, en Vendée je crois. La maison a été vendue il y a peu. Les grands-parents Beckrich aussi ont déménagé."
"Tiens, tu as acheté la maison de Patrick Dils"
Car pendant des années, la famille de l'une des victimes, Alexandre Beckrich, et celle de Patrick Dils, désigné comme le coupable jusqu'en 2002, ont vécu à quelques mètres l'une de l'autre. Camille et Ginette Beckrich habitaient à deux numéros d'écart de la famille Dils. Un autre passant désigne leur ancienne maison. "C'est un copain qui l'a achetée, enfin quelqu'un que je connais. Il n'est pas de la région, il ne connaissait pas l'histoire des anciens propriétaires. C'est moi qui lui ai dit : 'Tiens, tu as acheté la maison de Patrick Dils'." C'est une bâtisse aux façades couleur vanille, une maison de ville agrémentée d'un carré d'herbe semblable à celles qui se succèdent dans la rue. Ce soir-là, personne ne nous répond. Trois chiens montent la garde.
Une femme gare sa voiture devant la maison. Elle n'habite pas là, mais dans la rue, un peu plus loin, depuis quatre ans. "Ils lui ont cassé sa vie, glisse-t-elle en désignant l'ancienne maison de la famille Dils. En plus, en prison, on disait que c'était un tueur d'enfants, donc il a subi des choses... J'ai plus de la peine pour lui que pour les enfants. Mais c'est parce que je ne connais pas le visage des enfants, je ne l'ai jamais vu. Je n'ai pas cherché…"
Un talus difficile d'accès
Si les soupçons se sont portés sur Patrick Dils, qui a avoué le crime avant de se rétracter et de clamer son innocence, c'est parce qu'il se trouvait à proximité des lieux le 28 septembre 1986. Ce dimanche-là, à peine rentré de la maison familiale de la Meuse, l'adolescent de 16 ans décide d'aller récupérer des timbres dans la poubelle de l'entreprise Demathieu et Bard, également située dans la rue Venizélos. Il est en bas du talus et entend la mère d'Alexandre Beckrich appeler son fils. Il aperçoit leur voiture et les deux petits vélos des enfants. Pourtant, lorsque la police l'interroge, il dit n'avoir rien vu, rien entendu. Pourquoi ? Au journaliste Emmanuel Charlot, auteur du livre Affaire Dils-Heaulme, la contre-enquête, il répond en 2004 : "Je ne voulais pas qu'on dise de moi que j'étais un 'fouille-poubelle'."
Aujourd'hui, les poubelles ont disparu. Mais le siège de l'entreprise de BTP Demathieu et Bard est toujours là. Les façades bleues de l'immeuble se dressent face au pont qui soutient la voie ferrée. Un vaste parking a été construit pour les salariés. C'est juste en face de l'entrée qu'un petit chemin escarpé permet de monter sur le talus très pentu. L'ascension requiert agilité et souplesse. Impossible de monter d'un autre endroit : le talus est très boisé et difficile d'accès. En 1986, c'était déjà le cas, voire plus, en raison d'une végétation encore plus dense.
"Tuer les gamins comme ça, quand même…"
La nature a repris ses droits sur la voie ferrée abandonnée. Mais l'autre côté, dans la voie parallèle à la rue Venizélos, est aménagé. Les services techniques de la ville s'y sont installés. Et derrière, à 600 mètres à vol d'oiseau du lieu du crime, les maisons ont fleuri dans un quartier résidentiel propret.
Arrivé à Montigny-lès-Metz un an après le double meurtre, un couple qui propose un hébergement en bed & breakfast dans ce quartier se souvient.
On avait un enfant du même âge que les garçons tués. C'est vrai qu'on lui disait de ne pas aller jouer sur le talus, de ne pas traverser la voie ferrée pour aller prendre le bus.
Un couple de Montigny-lès-Metzà franceinfo
"L'affaire a marqué les esprits, mais c'était il y a longtemps", estime le facteur de la rue Venizélos. Il est chargé de cette tournée depuis 2014 seulement. Au moment du double meurtre, il travaillait à Ars-sur-Moselle. "Je n'y pense pas à chaque tournée, mais j'y pense, oui. Je me dis que c'était quelque chose de sanglant... Tuer les gamins comme ça, quand même..."
Alexandre Beckrich et Cyril Beining ont été sauvagement assassinés. Ce jour-là, ils sont partis jouer dehors avec leurs vélos. Ils laissent leurs bicyclettes et grimpent sur le tertre. Ils partent sur la gauche, sur le pont de la rue Venizélos, qui aujourd'hui surplombe le rond-point. De là, ils s'amusent à jeter des pierres sur les voitures et sur les trains. C'est leur jeu : trois de leurs camarades l'ont attesté, comme d'autres témoins.
C'est aussi et surtout ce que soutient Francis Heaulme. Entendu douze fois dans la procédure, le tueur en série, déjà condamné pour neuf meurtres, n'a cessé de varier dans ses déclarations. Mais il est constant sur trois points : il reconnaît être passé sur les lieux, avoir fait l'objet de jets de cailloux de la part des enfants et affirme ne pas les avoir tués. A l'époque, le "Routard du crime" n'a pas commencé son tour de France meurtrier. Il croise la route d'Alexandre Beckrich et de Cyril Beining car il travaille à environ 300 mètres de la rue Venizélos. Il est employé comme manœuvre par l'entreprise de couverture de toits CTBE depuis le 8 septembre 1986.
Aujourd'hui, il ne reste rien de cette société. Difficile même de savoir où elle se trouvait à l'époque. Le quartier est résidentiel, la rue bordée de maisons, toujours longée par le pont de la voie ferrée. Difficile aussi de retrouver le chemin que Francis Heaulme assure avoir emprunté le 28 septembre 1986, juste avant la tombée de la nuit. Une ligne droite de 4 kilomètres qui lui a permis d'atteindre le lieu-dit Les Cailloux jaunes, à Ars-sur-Moselle.
C'est à cet endroit que deux pêcheurs affirment avoir récupéré Francis Heaulme, que l'un d'entre eux connaissait. Il avait du sang sur le visage. Ils l'ont fait monter à l'arrière de leur fourgonnette et l'ont ramené chez sa grand-mère, à Vaux. Pour s'y rendre, aujourd'hui, il faut emprunter la départementale et traverser une vaste zone commerciale.
Henri Leclaire,"l'autre qui a été accusé"
Retour à Montigny-lès-Metz, sur un autre lieu de l'affaire, au 296, rue de Pont-à-Mousson, où la boulangerie artisanale Frère Jacques y est installée. Le bâtiment est moderne. Un changement de décor par rapport à la fin des années 1980, quand les locaux des éditions Le Lorrain s'y trouvaient. L'arrière-cour donnait sur la rue Venizélos. Henri Leclaire y travaillait. L'homme a été l'un des premiers à avoir avoué les meurtres, avant Patrick Dils. Il s'est ensuite rétracté.
En 2002, Francis Heaulme l'a mis en cause : "J'ai vu un homme petit et trapu et avec des cheveux courts... descendre en vitesse du talus. Il est passé à la télé et a dit que ce n'était pas lui qui avait tué les enfants. (...) Il m'a dit : 'J'ai fait une connerie. Je m'appelle Henri Leclaire.'" Il avait finalement déclaré avoir inventé son nom. La justice a tranché le 7 juillet 2016 en prononçant un non-lieu en faveur d'Henri Leclaire.
Les habitants de Montigny-lès-Metz, eux, se souviennent de lui comme de "l'autre qui a été accusé". Des bribes du double meurtre que chacun garde dans un coin de sa tête. Des vestiges de l'époque du crime, qui s'effacent avec le temps et les changements. En face de la rue Venizélos, un nouveau quartier se construit. Sur le panneau s'affiche son nom : "Paradis". Comme une revanche sur ce passé qui a meurtri la ville.
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