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Francis Heaulme, cet "ovni" du crime en série

Le procès du "routard du crime" pour le meurtre des petits Cyril et Alexandre à Montigny-lès-Metz, en 1986, débute mardi. Une nouvelle étape judiciaire pour ce criminel hors norme dont franceinfo dresse le portrait.

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Francis Heaulme, à Nancy (Meurthe-et-Moselle), le 22 novembre 2004. (MAXPPP)

Il parle de ses meurtres par métaphores. Il "voit rouge", commet un "pépin" puis c'est le "trou noir". Francis Heaulme a son langage bien à lui. Celui d'un homme dont le QI est inférieur à la moyenne. Mais dont la personnalité complexe a laissé perplexe plus d'un psychiatre. Le tueur en série, dont le procès pour le meurtre des petits Cyril et Alexandre à Montigny-lès-Metz (Moselle) en 1986, s'ouvre mardi 25 avril à Metz, est un "ovni", résume son avocate, Liliane Glock. Un homme tout en contradictions, qui n'entre dans aucune case criminelle.

Quand les enquêteurs découvrent avec effroi l'étendue de ses crimes, perpétrés impunément pendant huit ans, entre 1984 et 1992, la France pense tenir son "premier serial killer". Les médias l'affublent d'un surnom, "le routard du crime". Dans son itinérance meurtrière, Francis Heaulme, condamné pour neuf meurtres, n'est pourtant pas sans rappeler le célèbre Joseph Vacher. Ce vagabond surnommé "le tueur de bergers", qui a sévi dans le sud-est du pays à la fin du XIXe siècle, est lui aussi considéré comme l'un des premiers tueurs en série français.

Une "signature" criminelle bien à lui

Comme Joseph Vacher, Francis Heaulme, aujourd'hui âgé de 55 ans, commet ses crimes au hasard de sa route et échappe à toute enquête grâce à d'incessants déplacements. "Je peux marcher des jours entiers…" confie-t-il à Jean-François Abgrall, le gendarme qui a su l'arrêter dans sa sinistre course. Comme Joseph Vacher, ses victimes sont multiples, hommes et femmes, adultes ou adolescents. La comparaison s'arrête là. Car si Francis Heaulme répond à la définition standard du tueur en série - quelqu'un qui a tué au moins trois personnes, de sang-froid, sans mobile apparent -, le reste porte sa propre "signature" criminelle.

Les armes utilisées sont variées (les mains, les poings, les pieds, des pierres, un Opinel, un fil de fer, un tournevis...), mais la violence est toujours extrême. Les victimes sont différentes, mais systématiquement vulnérables (des jeunes femmes, un enfant, un homme dépressif...). Le passage à l'acte est improvisé et opportuniste, mais souvent commis sous l'emprise de l'alcool et précédé, selon Jean-François Abgrall, de "rêves de meurtre" qu'il "ressasse" "pendant des jours". Ses victimes ne sont pas toutes violées, mais toujours déshabillées entièrement ou partiellement. Francis Heaulme présente un retard intellectuel, mais dispose d'une mémoire extraordinaire pour restituer les faits et dessiner les lieux d'un crime. Enfin, il trouve toujours refuge à l'hôpital après ses "pépins", suivant un mode opératoire qui existe bel et bien.

Comme l'explique l'expert-psychiatre Daniel Zagury dans son livre L'Enigme des tueurs en série, ces derniers "sont tous différents les uns des autres" et peuvent être classés dans différentes sous-catégories : "les vagabonds itinérants" (comme Francis Heaulme), ceux qui "commettent des crimes de sexe" (Guy Georges, Patrice Alègre...), les "malades mentaux", ceux qui "sont intellectuellement très modestes" (Francis Heaulme) et ceux dont "l'intelligence est normale ou supérieure" (Michel Fourniret), ceux qui sont "organisés", qui "planifient leurs crimes", et "ceux qui les improvisent" (Francis Heaulme).

Un père honni, une mère adulée

Malgré cette grande variété de criminels, ceux qui tuent plusieurs fois présentent toujours plus de points communs sur le plan de la personnalité que l'inverse, analyse le spécialiste. Francis Heaulme ne fait pas exception. "Dans leur passé, on retrouve de façon très fréquente des carences affectives, des discontinuités éducatives, des ballottements", écrit Daniel Zagury.

Né le 25 février 1959 dans une "cité radieuse" de Le Corbusier, à Briey-en-Forêt (Meurthe-et-Moselle), Francis Heaulme est l'aîné d'une fratrie de deux enfants. Comme le raconte Libération, "le père, Marcel, ouvrier alcoolique, corrige femme et enfants à coups de câble métallique et de chaussure de chantier à bout renforcé". La mère, Nicole, est adulée par le petit Francis. Une "sainte", aimante. La réalité est plus nuancée. Nicole boit elle aussi, et demande le placement en internat de son fils, atteint de débilité légère, lorsque celui-ci a 13 ans.

Ce déni autour de l'image maternelle est souvent une des clés du fonctionnement du tueur et/ou violeur en série : "Tant que cette haine de l'image maternelle demeurera clivée, masquée par l'idéalisation (...), d'autres femmes pourront payer", analyse Daniel Zagury. En tuant ou en violant, "il s'agit de s'approprier entièrement la mère ou de la détruire". Quand Nicole Heaulme meurt d'un cancer, c'est l'effondrement. "C'était le 16 octobre 1984, le jour de la mort du petit Grégory. Ce jour-là, ça a fait boum dans ma tête", raconte Francis Heaulme en avril 1997, devant les assises de Périgueux. Sa vie bascule dans l'histoire criminelle, avec un grand H. Trois semaines plus tard, il tue une jeune fille de 17 ans, Lyonnelle Gineste, à Montauville (Meurthe-et-Moselle). 

Une anomalie génétique

Autre constante chez les tueurs en série détectée chez Francis Heaulme : battus, méprisés, ballottés ou abusés dans leur enfance, ils retournent la situation une fois devenus adultes et deviennent ceux qui soumettent autrui à leur violence destructrice. Avant d'inspirer la crainte et l'horreur, Francis Heaulme faisait plutôt "pitié", comme en témoignent les documentaires qui lui ont été consacrés (dont l'émission "Faites entrer l'accusé" sur France 2 en 2007). Cette "grande saucisse édentée", qui se réfugie sous les fenêtres du directeur de l'école pendant la récré, est surnommée "Félix le chat" par ses camarades. Ils l'ont surpris en train de manger des boîtes de Ronron, faute d'être suffisamment nourri à la maison. 

Surtout, Francis Heaulme souffre du syndrome de Klinefelter, une anomalie génétique détectée tardivement par le psychiatre Jean-Michel Masson, en 1993. Les hommes qui en souffrent ont un ou plusieurs chromosomes féminins X en trop, provoquant, selon les individus, des symptômes plus ou moins marqués. Francis Heaulme lui doit sans doute son retard intellectuel, sa grande taille, sa peau imberbe et son allure androgyne. "Il a des testicules gros comme des petits pois et il ne peut éjaculer", explique le médecin lors d'un procès en 1997. En découle, chez lui, une sexualité mal campée, des tendances homosexuelles refoulées et des difficultés à gérer ses pulsions.

Les experts sont unanimes : cette anomalie ne rend pas Francis Heaulme irresponsable de ses crimes. Mais elle éclaire le processus à l'œuvre dans ses passages à l'acte. Et notamment le fait qu'il ait parfois recours à des complices, caractéristique rarissime chez un serial killer. "Ces derniers interprètent la partie sexuelle du scénario", décrypte Liliane Glock. De fait, au moins deux de ses victimes, Lyonnelle Gineste et Laurence Guillaume, ont été violées par un tiers.

Une quête de toute-puissance

Même quand Francis Heaulme agit seul, une dimension sexuelle persiste dans ses meurtres. Comme lorsqu'il se rue sur une femme en maillot de bain deux-pièces sur une plage de Brest (Finistère) pour la poignarder. Ou lorsqu'il dénude, même partiellement, ses victimes, y compris masculines. A un codétenu cité dans le livre d'Emmanuel Charlot, Affaire Dils-Heaulme, la contre-enquête, Francis Heaulme aurait expliqué : "Ecoute, j'ai un pénis de 3 centimètres, il est tout petit, ça fait que quand je tuais quelqu'un, je voulais regarder comment c'était fait." 

L'un des experts qui l'ont examiné, Michel Dubec, parle de "surcompensation par l'acte meurtrier" quand Francis Heaulme éprouve une pulsion de viol. Une autre spécialiste, la criminologue Corinne Hermann, estime que cela "peut être un acte sexuel de tuer". Pour autant, la sexualité, Francis Heaulme "déteste". Selon Daniel Zagury, elle n'est d'ailleurs souvent qu'un "vecteur" dans les crimes perpétrés par les tueurs en série : "Ce qui est central, ce n'est pas le plaisir, encore moins le plaisir sexuel, mais la recherche d'une toute-puissance (…)". Le tueur "est seul au monde, dans la jouissance absolue", écrit le psychiatre. Des mots qui font écho à ceux de Francis Heaulme, rapportés par Jean-François Abgrall dans son livre Dans la tête du tueur : "Quand j'ai envie de quelque chose, je le veux, je le prends." Ou encore : "Personne ne me fait peur, je peux me battre contre trois personnes. Je vois rouge. J'ai le goût du sang dans la bouche."

"Le lendemain, je ne me rappelle plus ce que j'ai fait", poursuit Francis Heaulme. C'est le fameux "trou noir". Ses meurtres lui reviennent en rêve. "Un jour, entre Dunkerque et Cherbourg, j'ai étranglé un arbre. J'ai serré, il est devenu mou. C'était un jeune. Je l'ai laissé dans les herbes folles, près d'une route, à 12 kilomètres de la mer. C'était en 1989." Il fait alors allusion au meurtre d'un enfant belge de 9 ans, à Port-Grimaud (Var), pour lequel il a été condamné à perpétuité.

A ceux qui pensent que Francis Heaulme "dit tout et n'importe quoi", comme Liliane Glock, Jean-François Abgrall rétorque qu'"il s'agit d'un jeu", là encore pour inverser la tendance de ses jeunes années. En prison, "coupé du monde, il ne peut plus aujourd'hui détruire les autres, analyse le gendarme. Mais il a trouvé un palliatif qui semble lui procurer un véritable plaisir : faire courir les enquêteurs sur les traces de ses crimes." Une question demeure : vingt-cinq ans après son arrestation, ce tueur en série nomade laisse-t-il derrière lui d'autres meurtres impunis ?

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