: Reportage "Si on ne lâche rien, à la fin, on gagne" : dans les pas de Mélanie Vogel pour la "journée historique" où le Congrès a inscrit la liberté d'avorter dans la Constitution
"C'est un sentiment indescriptible que je n'ai jamais vécu. On a gagné !", exulte Mélanie Vogel, lundi 4 mars, à l'annonce des résultats du vote. La sénatrice écologiste des Français de l'étranger, une des premières parlementaires à avoir milité en faveur de l'inscription du droit à l'interruption volontaire de grossesse dans la Constitution, ne cache pas son émotion après avoir vécu son premier Congrès et s'être rendue pour la première fois de sa vie au château de Versailles. Pour la France aussi, c'est une première. Le pays devient le seul au monde à inscrire explicitement dans sa Constitution la liberté d'avorter. Avec 780 voix pour (72 contre), le seuil des trois cinquièmes des suffrages exprimés est largement dépassé. "C'est un résultat massif, un raz de marée."
Après de longs débats juridiques et une bataille parlementaire de plusieurs mois, les députés et sénateurs ont donc ajouté à l'article 34 de la Constitution une précision d'ampleur : "La loi détermine les conditions dans lesquelles s'exerce la liberté garantie à la femme d'avoir recours à une interruption volontaire de grossesse."
Avant de se rendre à Versailles pour cette "journée historique", Mélanie Vogel débute sa matinée en enchaînant les interviews, en commençant par la matinale de France Inter. "Notre pays affirme aujourd'hui que le fait de recourir à l'IVG n'est pas accessoire en démocratie, mais une condition de la société démocratique, libre et égalitaire", explique-t-elle ensuite à franceinfo autour d'un café. "La France va envoyer un message très fort au monde entier."
"Parler aux féministes au-delà de nos frontières"
Au même moment, l'agitation bat son plein dans l'aile du Midi du château de Versailles afin de tout préparer pour accueillir les 924 parlementaires du pays (il y a actuellement un siège vacant au Sénat). Il faut tout installer, faire les essais de sonorisation et amener les chiens renifleurs dans la salle du Congrès pour détecter d'éventuels explosifs. Mélanie Vogel, elle, peaufine son discours chez elle auprès de sa compagne, l'eurodéputée allemande Terry Reintke. "Il ne s’agit plus de convaincre, on peut dire que c’est gagné. Il s’agit d’expliquer le sens de ce qu’on accomplit avec ce texte et de parler aux féministes au-delà de nos frontières", explique-t-elle.
"J'ai un peu la pression, car c'est un discours qui s'inscrit dans l'Histoire. L'enjeu, c'est d'avoir des discours politiques qui portent à l'international."
Mélanie Vogel, sénatrice écologisteà franceinfo
A 13h15, l'écologiste arrive au Sénat pour le transport prévu vers Versailles. Les sénateurs comme les députés montent dans des autocars en direction de la résidence des rois de France. Une impression de colonie de vacances, même si les groupes politiques ne se mélangent pas trop. "L'ambiance est à la joie, tout le monde est content. Ce doit être difficile pour ceux qui ont voté contre, mercredi", estime Mélanie Vogel depuis le car des écolos.
A l'arrivée au château de Versailles, chaque parlementaire passe devant les nombreuses caméras positionnées près de la salle des Deux Colonnes et s'arrête volontiers pour confier ses impressions. "Je ne veux pas me retrouver dans le camp des anti-IVG", explique le député LR Philippe Juvin, qui va voter le texte. "Je suis très émue. Je pense à Simone Veil, Gisèle Halimi, au planning familial, aux suffragettes…", confie la députée écologiste Sandrine Rousseau, elle aussi favorable à l'évolution de la Constitution. "Beaucoup de gens ont pris conscience que ce droit n’était pas garanti, notamment avec l’actualité aux Etats-Unis, en Pologne...", ajoute le député LFI David Guiraud. Mais quelques voix dissonantes s'expriment, à l'image de la sénatrice de l'Union centriste Nadia Sollogoub : "Je regrette que le débat soit mal compris et résumé à 'pour ou contre l’IVG'. Pour moi, ce texte ne changera rien."
"L'aboutissement d'un long combat"
Dans la galerie des Bustes du château, députés et sénateurs s'arrêtent devant les panneaux indiquant leur place dans l'hémicycle. Chaque parlementaire siège selon l'ordre alphabétique. Il est donc possible pour un député La France insoumise de se retrouver à côté d'un sénateur du Rassemblement national. "Je regarde à côté de qui je me trouve, parce que je me méfie de certains", plaisante le député socialiste Jérôme Guedj. De son côté, Mélanie Vogel est assise entre le sénateur Louis Vogel (Agir) et le député Stéphane Vojetta (Renaissance) au moment où Yaël Braun-Pivet arrive dans l'hémicycle. "Pour la première fois de notre histoire, le Congrès du Parlement est présidé par une femme", déclare la présidente de l'Assemblée sous les applaudissements nourris des parlementaires.
"L’heure est venue de nous prononcer (…) pour nous, pour la Nation, pour toutes les femmes, pour toutes les filles, en France et dans le monde."
Yaël Braun-Pivetprésidente de l'Assemblée nationale et présidente du Congrès
Puis Gabriel Attal monte à la tribune. "Nous avons une dette morale envers toutes ces femmes qui ont souffert dans leur chair comme dans leur esprit, parfois jusqu'à y perdre la vie", affirme le Premier ministre, avant de saluer "l'aboutissement d'un long combat" et une "étape qui restera dans l'Histoire". Le chef du gouvernement, qui est arrivé à Versailles accompagné de Jean Veil, le fils aîné de Simone Veil, a fait longuement applaudir l'ancienne ministre de la Santé à l'origine de la loi du 17 janvier 1975 dépénalisant l'avortement. "Nous donnons une deuxième victoire à Simone Veil", a-t-il assuré.
Loin de faire l'unanimité, le discours de Gabriel Attal agace la gauche. "Attal, minable petit, invisibilise le rôle des insoumis et de la présidente Mathilde Panot dans la décision d'aujourd'hui", s'emporte sur X Jean-Luc Mélenchon. Sandrine Rousseau regrette également l'oubli du texte déposé par sa camarade sénatrice Mélanie Vogel, et retient que le Premier ministre "a invisibilisé les deux femmes qui ont déposé les propositions de loi que nous votons aujourd'hui". "Il a principalement cité les élus de la majorité, mais il ne se serait pas rabaissé à rappeler que ça avait très largement dépassé son camp", souffle Mélanie Vogel.
"Et pourtant, nous sommes là"
Après le chef du gouvernement, chaque orateur de groupe monte à son tour cinq minutes pour s'exprimer à la tribune. Le témoignage de Claude Malhuret, sénateur de l'Allier et président du groupe Les Indépendants, racontant son expérience de "jeune médecin" confronté à un infanticide "dans un pays du Sud", marque les esprits. "Je reverrai le visage de cette jeune femme dont la vie et celle de son bébé ont été anéanties lorsque j'irai voter." Devant les nombreux journalistes étrangers venus assister au Congrès, la sénatrice Laurence Rossignol obtient à son tour une standing ovation quand elle rend hommage aux femmes "qui résistent" dans le monde à Donald Trump, à Javier Milei, à Viktor Orban, à Vladimir Poutine ou aux mollahs.
A quelques minutes de sa prise de parole, Mélanie Vogel avoue être gagnée par "l'émotion et la nervosité". Puis, l'heure est venue de s'éclaircir la voix. "Il y a un an et demi, quand j’ai proposé à mes collègues au Sénat de mettre au vote une loi transpartisane pour constitutionnaliser le droit à l’IVG, beaucoup m’ont dit : 'Oui, mais tu sais, n’est-ce pas, que c’est impossible ?'", raconte la sénatrice devant un hémicycle un peu plus clairsemé qu'en début de séance. "La semaine dernière encore, beaucoup pensaient que ce Congrès était inaccessible. Que le conservatisme serait plus fort. Et pourtant, nous sommes là (...) Nous [les féministes], nous sommes si fortes, et si on ne lâche rien, à la fin, on gagne." Elle n'oublie pas de rendre hommage à toutes les féministes et à toutes celles qui ont permis à ce texte d'aboutir, en citant même "les nièces des sénateurs qui ont su convaincre leurs oncles". Elle annonce aux "militants anti-choix" qu'ils "ont définitivement perdu", avant de s'adresser aux féministes.
"C'est un message pour toutes celles qui ont connu le temps où le prix du choix pouvait être l'exclusion, la prison ou la mort, qui ont connu l'humiliation de la clandestinité, la douleur des curetages sans anesthésie, les cintres et les aiguilles."
Mélanie Vogel, sénatrice écologisteau Congrès
Après les discours, les actes. Les députés et sénateurs vont déposer leur bulletin dans deux salles attenantes à l'hémicycle. Un peu avant 19 heures, Yaël Braun-Pivet annonce enfin l'adoption de la réforme et l'inscription de l'IVG dans la Constitution. Dans l'hémicycle, une longue ovation debout peut débuter. Des militantes entonnent l'hymne du MLF Debout les femmes, repris par quelques députées issues de la Nupes. "Levons-nous, femmes esclaves / Et brisons nos entraves / Debout, debout, debout !" Mélanie Vogel et les féministes vont désormais pouvoir se tourner vers de nouveaux combats, à commencer par l'amélioration de l'accès à l'IVG partout sur le territoire.
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