"J'ai discuté et j'ai évolué" : cinq sénateurs racontent pourquoi ils ont changé d'avis sur l'inscription de l'IVG dans la Constitution
Le contraste est spectaculaire. En février 2023, le Sénat avait adopté à une courte majorité un amendement du sénateur LR Philippe Bas visant à inscrire dans la Constitution "la liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse". A l'époque, 166 sénateurs s'étaient prononcés pour et 152 contre, dont une écrasante majorité de Républicains. Un an plus tard, le 28 février, la chambre haute a voté cette fois très largement (267 voix pour et 50 contre) le texte du gouvernement visant à constitutionnaliser "la liberté garantie de la femme d'avoir recours à une interruption volontaire de grossesse [IVG]."
Lundi 4 mars, les parlementaires, réunis en Congrès à Versailles, devraient adopter définitivement l'entrée de l'IVG dans la Constitution. Pourquoi des dizaines de sénateurs ont-ils modifié leur vote ? Franceinfo a posé la question à cinq d'entre eux.
François Bonneau, sénateur centriste : "J'ai discuté avec pas mal de personnes"
Comme onze autres de ses collègues du groupe Union centriste, François Bonneau a changé d'avis. "Sensible aux arguments des juristes du Sénat", cet élu de Charente a d'abord voté contre la constitutionnalisation de l'IVG, "la Constitution étant un édifice fragile". Puis, le sexagénaire, qui "a discuté avec des élus" et "pas mal de personnes" s'est rendu compte que "la balance entre le risque de fragiliser la Constitution et le droit inaliénable des femmes à disposer de leur corps penchait en faveur de ce dernier aspect".
"J'ai évolué et je me suis fait ma propre opinion. Il faut avoir l'humilité de le reconnaître".
François Bonneau, sénateur centriste de Charenteà franceinfo
"Je ne voulais pas laisser d'ambiguïté sur le fait que j'étais pleinement sensible à cette cause, à ce droit des femmes", poursuit encore le sénateur.
Françoise Gatel, sénatrice centriste : "Une opinion dominante a gagné la bataille des idées, il faut l'acter"
"Je vous fournis deux cachets de paracétamol, bon courage", sourit Françoise Gatel, juste avant de raccrocher le combiné. Il est vrai que la position de la sénatrice d'Ille-et-Vilaine concernant son changement de pied sur l'inscription de l'IVG dans la Constitution n'est pas simple à suivre. Sur le fond, elle assure toujours ne pas trouver "utile" cette inscription, y voyant surtout "un symbole, même si c'est un symbole important".
Françoise Gatel s'inquiète aussi de "la petite aventure juridique" que représente l'introduction du mot "garantie". "C'est juridiquement incertain puisque cela veut dire que l'on va avoir une exigence de résultat de l'Etat. Aujourd'hui, le vrai sujet pour moi, ce n'est pas l'inscription dans la Constitution, mais que l'on rende ce droit effectif en s'assurant que la couverture territoriale des centres pratiquant l'IVG soit suffisante", développe l'élue.
Pourtant, le 28 février, la sénatrice a finalement voté pour. "Il y a une opinion dominante qui a gagné la bataille des idées, il faut l'acter. J'ai constaté que ce texte allait passer, j'en prends acte, je n'allais pas voter contre. Ni m'abstenir". Mais la sénatrice regrette que le débat juridique ait été "inaudible".
"Cela fait des semaines et des mois que l'on explique que ceux qui sont hostiles à l'inscription de l'IVG dans la Constitution seraient des horribles conservateurs que l'on culpabilise."
Françoise Gatel, sénatrice centristeà franceinfo
"J'ai peut-être eu un moment d'incohérence lors de mon vote mercredi", laisse-t-elle néanmoins échapper, tout en assurant : "je ne changerai pas de position lundi au Congrès".
Jean-François Husson, sénateur LR : "Le Sénat a fait entendre sa voix à plusieurs reprises"
Comme 39 de ses collègues Les Républicains au Sénat, Jean-François Husson a voté en faveur de la révision constitutionnelle, jeudi, alors qu'il s'était, lui aussi, opposé à l'inscription de la "liberté" de recourir à l'IVG en février 2023. Comment expliquer l'évolution de son vote sur deux textes similaires ? "Entre les idées originelles du gouvernement, qui voulait d'abord passer par un référendum, et le résultat final, le Sénat a fait entendre sa voix à plusieurs reprises", soutient l'élu Les Républicains.
"Les différents temps du débat ont permis de corriger les aspérités, et c'est plutôt à mettre au crédit de la démocratie représentative."
Jean-François Husson, sénateur LRà franceinfo
Pour lui, "ce n'est pas la peine d'hystériser la société" en continuant à s'opposer à ce texte. D'autant qu'à ses yeux, "on donne le sentiment de pinailler pour pas grand-chose. J'ai vu que l'opinion publique était à une forte majorité favorable à cette inscription dans la Constitution, et qu'elle avait des difficultés à saisir toute la subtilité de nos derniers doutes", explique-t-il. Dans ce contexte, il y avait "peut-être une incompréhension inutile" qu'il fallait, selon lui, dissiper.
Sophie Primas, sénatrice LR : "Les Français ne comprenaient pas cette position"
Comme nombre de ses collègues, Sophie Primas avait d'abord refusé de voter la constitutionnalisation du recours à l'IVG. Pour elle, "il y avait un consensus autour de l'idée que la Constitution n'avait pas vocation à égrener l'ensemble des libertés dont on dispose dans la loi. Je suis restée là-dessus au premier vote, je trouvais cela assez logique", se remémore-t-elle. Un an plus tard, la sénatrice des Yvelines estime que "les choses ont maturé".
Surtout, la parlementaire francilienne considère que l'opinion publique a évolué sur cette question. "Ce qui émerge du débat, c'est qu'une partie de la presse et des féministes considère que si on n'est pas favorable à cette inscription dans la Constitution, on est contre l'IVG", souffle-t-elle, d'où sa volonté de clarifier sa position à l'occasion du vote de mercredi. "Je voyais bien que les Français ne comprenaient pas cette position", concède-t-elle.
"Les Français restaient dans cette logique un peu binaire, 'pour ou contre l'IVG'. Comme je ne suis vraiment pas contre l'IVG, j'ai voté pour."
Sophie Primas, sénatrice LRà franceinfo
Avec ce vote, Sophie Primas salue un "signal" avec "une valeur symbolique", mais redoute que celui-ci "n'aura pas d'impact" sur l'accès concret à des possibilités d'interrompre sa grossesse. "Cela ne règle rien. Cela nous protège à peine d'une menace qui n'est pas réelle." A ses yeux, "le vrai respect des femmes" passe par la présence "de gynécologues libéraux dans toute la France".
Catherine Dumas, sénatrice LR : "Quand vous êtes législateur, vous devez tenir compte des évolutions de la société"
Dans la vie politique de Catherine Dumas, un paramètre a changé entre février 2023 et février 2024 : elle a été réélue sénatrice de Paris, en septembre dernier. Alors en campagne, elle était il y a un an dans "un moment un peu particulier", éloignée "de ce champ". "Je n'étais pas rentrée dans le détail juridique de la formulation", reconnaît la parlementaire, membre de la commission des affaires étrangères.
Entre-temps, l'élue de droite a perçu une véritable "demande" sur l'inscription de l'IVG dans la Constitution : "J'ai pas mal de gens qui se sont manifestés autour de moi. Quand vous êtes législateur, vous devez tenir compte des évolutions de la société", souligne-t-elle, "complètement convaincue" de la nécessité de protéger ce droit acquis de haute lutte par Simone Veil, il y a un demi-siècle. La sénatrice constate aussi un changement de perception au Palais du Luxembourg depuis l'année dernière : "Pour avoir échangé avec certains collègues, il y a une perception des hommes politiques qui change. Si les femmes font évoluer les hommes, tant mieux", conclut la sénatrice.
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