Projet de loi immigration : on vous détaille la nouvelle version de l'article sur les métiers en tension voté par le Sénat

Les sénateurs poursuivent le durcissement du projet de loi immigration. La chambre haute a modifié en profondeur la régularisation dans les métiers en tension, volet le plus emblématique du projet défendu par le gouvernement.
Article rédigé par franceinfo
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Le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, lors de l'examen du projet de loi immigration au Sénat, le 7 novembre 2023. (LUDOVIC MARIN / AFP)

Après avoir obtenu gain de cause en votant mardi la suppression l'aide médicale d'Etat (AME), la majorité sénatoriale, composée des élus Républicains et centristes, a poursuivi sa réécriture en profondeur du projet de loi immigration, mercredi 8 novembre, en détricotant la régularisation des travailleurs dans les métiers en tension voulue par le gouvernement.

Le président du groupe Les Républicains (LR), Bruno Retailleau, avait annoncé la couleur en s'adressant au ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin. "Depuis le départ, nous avons dit notre opposition à l'article 3 et à l'article 4 [sur la régularisation des travailleurs sans-papiers dans les métiers en tension]. Ce soir, j'espère bien qu'ils seront supprimés", avait lancé le sénateur de Vendée. Mission accomplie pour les sénateurs LR, qui avaient promis de ne pas voter le texte en cas du maintien de ces articles, qui incarnaient le principal point de divergence entre la droite et l'exécutif au Palais du Luxembourg. 

Le dispositif de régularisation voulu par le gouvernement supprimé par la droite

Le texte initial présenté aux parlementaires par le gouvernement proposait de régulariser de "plein droit" les personnes en situation irrégulière travaillant dans des "métiers en tension", c'est-à-dire où la main d'œuvre manque. L'article 3 du projet de loi prévoyait que les personnes sans-papiers puissent obtenir un titre de séjour d'une validité d'un an renouvelable en justifiant de trois ans de présence en France ainsi que de huit fiches de paie.

Le but de l'exécutif était d'assouplir la circulaire Valls, qui fixe aujourd'hui les critères d'admission à un titre de séjour pour les travailleurs en situation irrégulière. Pour être régularisé, un employé doit présenter une promesse d'embauche signée par son employeur, une procédure "moyenâgeuse", selon Gérald Darmanin. L'article proposé par le gouvernement proposait aux travailleurs de déposer eux-mêmes cette demande, sans obtenir l'aval de leur employeur, qui n'y a pas toujours intérêt.

"C'est un article qui évoque le fait que des personnes qui sont déjà sur le territoire national puissent accéder (…) à des régularisations, parce qu'on a besoin de cette main d'œuvre", a souligné lors des débats le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin. Mais la majorité sénatoriale, opposée à la création d'un droit automatique à la régularisation, a voté la suppression de l'article 3. Les élus ont également voté en faveur du retrait de l'article 4, qui devait permettre aux demandeurs d'asile originaires de certains pays d'être autorisés à travailler dès leur arrivée dans l'Hexagone. 

"Quand on est à plus de 7% de taux de chômage, penser que résoudre les problèmes de la pénurie d'emplois [passe] nécessairement par la régularisation de cette immigration illégale, clandestine, est quelque chose de l'ordre de l'abandon", a déclaré dans l'hémicycle Bruno Retailleau, redoutant un "appel d'air" migratoire créé par un "droit automatique à la régularisation".

Pour parvenir à ce vote et à la suppression de cet article 3, les parlementaires LR ont dû négocier le soutien de l'Union centriste (UC), l'autre composante de la majorité sénatoriale. Un amendement, déposé par les deux formations, longtemps divisées sur ces questions, fixe les contours d'un nouvel article 4 bis, modifiant en profondeur les conditions de la proposition gouvernementale. 

Un nouvel article 4 bis qui durcit les conditions de régularisation

Adopté dans la nuit de mercredi à jeudi par les sénateurs, l'article 4 bis restreint de manière drastique les conditions d'obtention d'une carte de séjour "travailleur temporaire" ou "salarié" d'un an. Ce n'est qu'à "titre exceptionnel", et non plus de plein droit comme le prévoyait le gouvernement, qu'un travailleur en situation irrégulière pourra prétendre à un titre de séjour.

Ce dernier doit désormais avoir travaillé au moins douze mois sur les deux dernières années dans des "métiers et zones géographiques caractérisés par des difficultés de recrutement", selon les termes de cet article. Autre condition fixée par ce nouveau dispositif, le demandeur devra justifier d'au moins trois ans de résidence dans l'Hexagone. Toutefois, cet article conserve une des caractéristiques de la proposition du gouvernement : la demande pourra être déposée par le travailleur, sans l'accord ou l'aval de l'employeur. 

La régularisation sera délivrée par le préfet, qui détiendra le pouvoir décisionnaire dans ces procédures. Ils "auront dorénavant l'obligation de vérifier, non seulement la réalité et la nature des activités professionnelles de l'étranger, mais aussi son insertion sociale et familiale", se félicite Bruno Retailleau dans un communiqué.

Selon Gérald Darmanin, l'article 4 bis rédigé et adopté par LR et l'UC est "acceptable pour le gouvernement". L'amendement adopté par le Sénat satisfait en partie le ministre de l'Intérieur. "La politique, c'est assez simple, c'est se battre pour des convictions. On essaie [de faire passer] 100% de ses convictions, [mais] quand on peut en avoir 50%, on peut en être heureux", a-t-il expliqué dans l'hémicycle. 

L'avenir du texte bientôt entre les mains des députés

Pour entrer en vigueur, l'article 4 bis doit être adopté par les députés à l'Assemblée nationale. Attendu à compter du 11 décembre, l'avenir du projet de loi immigration reste flou. Interrogé par Le Figaro, le député Renaissance et président de la commission des lois, Sacha Houlié, promet le rétablissement du "texte ambitieux de l'exécutif, tout le texte de l'exécutif. Y compris le volet sur les régularisations".

Invité de Public Sénat, jeudi, Bruno Retailleau a réagi aux propos de Sacha Houlié : "Qu'il se méfie, il n'y a pas de majorité absolue à l'Assemblée nationale". Au Palais Bourbon, la majorité pourrait en effet avoir besoin du groupe LR pour faire passer son texte sans utiliser le 49.3. En cas de modification en profondeur du texte adopté au Sénat par les députés, l'élu de Vendée prévient que les débats au cours de la commission mixte paritaire seront difficiles et rudes. "S'il y a détricotage, ce sera niet", prévient Bruno Retailleau.

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