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Projet de loi immigration : quatre questions sur la suppression de l'aide médicale d'Etat votée par le Sénat

Dans le cadre de l'examen du texte, les sénateurs de droite ont obtenu la transformation de l'AME. Le nouveau dispositif entend réduire le panier de soins actuellement accordé aux personnes en situation irrégulière.
Article rédigé par franceinfo
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Le président du groupe Les Républicains, le sénateur Bruno Retailleau, s'exprime lors d'un débat sur le projet de loi immigration au Sénat à Paris, le 7 novembre 2023. (LUDOVIC MARIN / AFP)

Après des débats agités dans l'hémicycle, le Sénat s'est prononcé, mardi 7 novembre, sur le futur de l'aide médicale d'Etat (AME), un dispositif d'accès aux soins réservé aux étrangers en situation irrégulière. Les Républicains et leurs alliés centristes ont voté, dans la soirée, en faveur de la suppression du dispositif et de sa transformation, à l'occasion de l'examen du projet de loi immigration. Franceinfo répond à quatre questions sur ce vote et ses conséquences.

1 Qu'est-ce que l'aide médicale d'Etat ? 

Ce dispositif, entré en vigueur le 1ᵉʳ janvier 2000, permet aux étrangers en situation irrégulière de bénéficier d'une prise en charge à 100% des soins médicaux et hospitaliers, financée par l'Etat, "dans la limite des tarifs de la Sécurité sociale", précise le site officiel de l'administration française. Pour bénéficier d'une carte d'admission à l'AME, valable un an et renouvelable, les demandeurs doivent respecter certains critères, comme le fait de séjourner en France depuis plus de 3 mois et de disposer de revenus annuels inférieurs à 9 719 euros (pour une personne seule vivant en métropole). 

Les défenseurs de l'AME reconnaissent dans ce dispositif "un outil essentiel à la santé des individus et à la santé publique". C'est ce que rappellent 3 000 soignants, dont l'ancien président du conseil scientifique Covid-19, Jean-François Delfraissy, dans une tribune publiée dans le journal Le Monde, jeudi 2 novembre. Ils y plaidaient pour le maintien de l'AME, quelques jours avant l'examen du projet de loi immigration au Sénat. Selon les signataires du texte, la suppression de ce mécanisme "aurait pour conséquence directe d'entraîner une dégradation de leur état de santé, mais aussi globalement celui de la population tout entière"

2 Pourquoi les sénateurs ont-ils voté en faveur de sa suppression ? 

Au deuxième jour de l'examen du projet de loi immigration au Sénat, les élus de droite ont frappé un grand coup. La suppression de l'AME ne figurait pas initialement dans la version du texte présentée par le gouvernement. Elle a été introduite par un amendement déposé par la majorité sénatoriale de droite. Par un vote large de 200 voix pour et 136 contre, les élus conservateurs ont acté, mardi en fin de soirée, la suppression de l'AME et sa transformation en une aide médicale d'urgence (AMU).

Plusieurs arguments ont été avancés par les sénateurs LR pour cette réforme, réclamée de longue date notamment par la droite. Selon eux, la couverture santé offerte par l'AME aux étrangers en situation irrégulière génère "un appel d'air" pour l'immigration clandestine. "Un quart des étrangers en situation irrégulière cite l'accès aux soins gratuits comme raison de leur migration", explique Bruno Retailleau, président du groupe LR au Sénat, interrogé par Public Sénat. L'élu reprend un chiffre publié en 2019 dans un rapport (document PDF) de l'Inspection générale des finances et de l'Inspection générale des affaires sociales. Toujours selon Bruno Retailleau, le dispositif actuel est trop généreux et "donne accès à un panier de soins qui est quasiment celui des résidents".

Les détracteurs de l'AME la jugent également trop coûteuse. Un rapport d'information publié en mai 2023 par la commission des finances de l'Assemblée nationale s'inquiète de la "soutenabilité" de ce dispositif, dont le coût est évalué à 1,2 milliard d'euros par an. "Les perspectives financières de ce dispositif interrogent (…). Le poids financier de l'AME est en effet en croissance continue depuis la création de cette aide", souligne le rapport parlementaire. Au total, les dépenses liées à cette aide ont progressé de 47,8% depuis 2017, appuie ce document. 

3 Pourquoi le gouvernement ne s'est-il pas opposé à l'abandon de l'AME ? 

Lors du vote au Sénat mardi soir, le gouvernement ne s'est pas opposé à la suppression de l'AME. La ministre déléguée aux Professions de Santé, Agnès Firmin Le Bodo, a assuré que cette réforme déposée par la droite n'avait "rien à faire" dans le projet de loi. "Mélanger les débats sur l'AME et le contrôle de l'immigration est un non-sens", a justifié la ministre, assurant que "le gouvernement est très attaché à l'AME".  

Malgré cette opposition de principe, l'exécutif n'a pas apporté un soutien franc aux amendements déposés par les différents groupes de gauche, réclamant la suppression de la réforme introduite par la majorité sénatoriale. Les élus LR et centristes de la Chambre haute ont fait de ce sujet un moyen de monnayer leur soutien au projet de loi immigration, dont l'exécutif a besoin pour faire adopter le texte par le Parlement sans avoir recours à l'article 49.3 de la Constitution.

Pour autant, le camp présidentiel reste divisé sur la réforme de l'AME. Avant le vote au Sénat, le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, s'était dit dans les colonnes du Parisien favorable à "titre personnel" à une refonte du dispositif. Sans attendre la fin de l'examen du texte, le ministre de la Santé, Aurélien Rousseau, a, lui, critiqué dans l'émission "Quotidien" le vote des sénateurs, estimant que cette suppression de l'aide médicale d'Etat était "une profonde erreur", et "même une faute". 

4 Que prévoit l'aide médicale d'urgence, censée remplacer l'AME ? 

La suppression de l'aide médicale d'Etat et son remplacement par l'aide médicale d'urgence impliquent la fin de la couverture intégrale des frais de santé pour les étrangers en situation irrégulière. Dans le texte voté au Sénat, l'accès aux soins est réduit à un socle recentré sur les maladies graves, les soins liés à la grossesse, les vaccinations et les examens de médecine préventive.

Critiqué pour cette transformation de la couverture santé accordée aux étrangers sans-papiers, Bruno Retailleau a défendu cette mesure proposée par LR. "On ne laisse mourir personne", a-t-il assuré à Public Sénat, en rappelant les soins pris en charge par l'AMU.

A ce stade, il n'est toutefois pas assuré que la suppression de l'AME soit un jour mise en œuvre. Après les débats au Sénat, le projet de loi immigration doit désormais être étudié par l'Assemblée nationale. A compter du 11 décembre, les députés se pencheront donc sur le texte, et auront la possibilité d'en retirer cette mesure.

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