Projet de loi immigration : la réforme de l'aide médicale d'Etat, l'autre caillou dans la chaussure du gouvernement

La droite a promis de ne pas voter le projet de loi sur l'immigration en cas de maintien de la régularisation des travailleurs sans-papiers dans les "métiers en tension". Mais elle exige également une réforme de l'aide médicale d'Etat, qui divise l'exécutif.
Article rédigé par Mathilde Goupil - avec AFP
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La Première ministre, Elisabeth Borne, et le ministre de la Santé, Aurélien Rousseau, à la sortie d'un Conseil des ministres, le 23 août 2023 à Paris. (XOSE BOUZAS / HANS LUCAS / AFP)

Maintes fois reporté, décrié à gauche comme à droite et contesté par les associations de défense des exilés… Le projet de loi immigration arrive au Sénat, lundi 6 novembre, avec des débats inflammables en perspective.

Le principal point d'achoppement concerne l'article 3 du texte, qui prévoit la régularisation des travailleurs sans-papiers dans les "métiers en tension". La droite en a fait une "ligne rouge", tandis que la majorité est divisée sur la nécessité de le conserver. Mais les échanges promettent également d'être houleux sur la transformation de l'aide médicale d'Etat (AME), en "aide médicale d'urgence".

Le projet de loi du gouvernement ne prévoyait initialement pas de réforme de cette aide, qui offre une couverture des frais de santé aux étrangers en situation irrégulière présents en France depuis au moins trois mois et disposant de très faibles revenus. Mais le texte, amendé par la commission des lois du Sénat, contrôlée par la droite, prévoit désormais de limiter le panier de soins de l'AME au "traitement des maladies graves et douleurs aiguës", aux "vaccinations réglementaires" et aux "soins liés à la grossesse".

La droite y voit un "appel d'air" pour l'immigration

Cible historique de la droite et de l'extrême droite depuis sa création en 2000, l'AME est régulièrement accusée par ses détracteurs de coûter "trop cher" – environ 1,2 milliard d'euros annuels pour 400 000 bénéficiaires, soit 0,5% des dépenses de l'Assurance maladie. "J'observe que depuis 10 ans, (…) il y a un doublement du coût, qui est bien au-dessus du milliard", note ainsi le président du groupe LR au Sénat, Bruno Retailleau, auprès de Public Sénat.

La droite et l'extrême droite accusent aussi l'AME de générer un "appel d'air" pour l'immigration clandestine. Par ailleurs, "l'AME donne accès à un panier de soins qui est quasiment celui des résidents" français, se désole le président du groupe LR au Sénat, Bruno Retailleau, auprès de Public Sénat.

Un rapport (document PDF) de l'Inspection générale des finances et de l'Inspection générale des affaires sociales rappelait en 2019 que l'offre d'un socle de soins minimum aux étrangers en situation irrégulière était obligatoire, notamment en raison des engagements internationaux de la France. Mais ce rapport soulignait aussi que l'AME était "l'un des [systèmes] les plus généreux de l'Union européenne".

Pour autant, le rapport conseillait "d'envisager avec prudence toute évolution de l'AME (…), en particulier une nouvelle réduction du panier de soins". Il estimait que cette dernière solution présentait "des risques non négligeables pour la santé publique". Et aussi qu'elle pouvait être "contreproductive dans une optique d'efficience de la dépense publique", un "retard de soins menant à une aggravation de l'état de santé", soit, in fine, "à des soins plus coûteux". 

Le gouvernement divisé

Du côté du gouvernement, c'est le grand écart. A la recherche depuis des mois d'un compromis avec la droite, le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, s'est dit dans Le Parisien favorable "à titre personnel" à l'idée de restreindre l'AME, s'attirant les foudres d'une partie de l'exécutif.

Olivier Véran, le porte-parole du gouvernement et médecin, a de son côté assumé "un vrai désaccord" avec le ministre de l'Intérieur, en défendant le système actuel. Auditionné au Sénat, le ministre de la Santé, Aurélien Rousseau, a, lui aussi, défendu un "dispositif de santé publique", dont la suppression risquerait d'entraîner "le déversement sur l'hôpital de tous les soins urgents" et la "diffusion" de maladies infectieuses comme la tuberculose. Une position partagée par le corps médical : début novembre, plus de 3 000 soignants, dont la lauréate du prix Nobel de médecine Françoise Barré-Sinoussi, sont montés au créneau via une tribune dans Le Monde pour défendre l'AME.

Un pré-rapport pour trancher

Pour trancher la position de l'exécutif, la Première ministre, Elisabeth Borne, a confié une mission d'examen du dispositif à deux vétérans de la politique aux profils opposés : Patrick Stéfanini, venu de la droite et spécialiste des questions d'immigration, et Claude Evin, ancien ministre des Affaires sociales issu du PS. "La position du gouvernement résultera bien sûr des conclusions", avait-elle assuré, demandant à "tout le monde" de "tirer dans le même sens".

Si le rapport définitif est attendu le 2 décembre, un pré-rapport a été remis jeudi 2 novembre à Matignon. "L'AME n'est pas un facteur d'attractivité", estiment les deux signataires, rapportent Les Echos. Ils s'opposent en outre fermement à opérer une distinction entre soins urgents et non urgents, que les médecins peinent parfois eux-mêmes à faire. Les auteurs du pré-rapport proposent en revanche des adaptations de l'AME, comme sa limitation dans le temps, estimant qu'une aide trop longue peut inciter à rester dans la clandestinité.

Au-delà des arguments de fond, une partie de la majorité pourrait vouloir céder à LR afin de s'assurer leur vote, évitant, ce faisant, une nouvelle adoption d'un texte sans vote via l'utilisation de l'article 49.3.

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