Loi immigration : "Psychodrame", "Tract du Front national des années 80"... Des députés et sénateurs racontent la CMP de l'intérieur

Malgré les discussions, les membres de la commission mixte paritaire n'ont pas réussi à s'accorder lundi soir sur une version du texte porté par le gouvernement. Les 14 députés et sénateurs de cette commission doivent se réunir à nouveau ce mardi matin à l'Assemblée nationale, dans une ambiance visiblement tendue.
Article rédigé par franceinfo
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Illustration des débats sur le projet de loi immigration à l'Assemblée nationale à Paris, le 11 décembre 2023. (ALEXIS SCIARD / MAXPPP)

Confusion, interruptions, tractations et, finalement, une suspension : la réunion de députés et sénateurs qui doit décider du sort de la loi immigration doit reprendre mardi 19 décembre, après s'être interrompue dans la nuit, butant sur des désaccords de dernière minute entre l'exécutif et la droite qui font planer des nuages sur ce texte comme sur l'avenir du quinquennat d'Emmanuel Macron.

Déjà freinée dès son démarrage, lundi à 17h par une suspension de 4 heures, cette commission mixte paritaire (CMP), que beaucoup pensaient voir se terminer dans la soirée, a finalement été arrêtée peu après minuit trente, avec encore plusieurs dizaines d'articles à examiner. Alors qu'un accord se dessinait entre la droite et le camp présidentiel, les négociations ont pâti d'un différend inattendu sur les allocations familiales. La droite veut conditionner les prestations sociales à cinq ans de présence sur le territoire (30 mois pour ceux qui travaillent), y compris les aides personnalisées au logement (APL), que la majorité souhaite au contraire voir échapper à ces restrictions.

Certains parlementaires "très clairement dépités"

Et rapidement, de nombreuses voix se sont élevées pour dénoncer le déroulé de cette CMP. "C'est l'avenir même de la majorité qui est en jeu", a ainsi estimé mardi matin sur France Inter le député RN du Gard Yoann Gillet, membre de la commission mixte paritaire. Pour Yoann Gillet, cette CMP est l'occasion de voir si "la majorité [présidentielle] tient encore debout". Il soutient que cette dernière "semble se fracturer très fermement" : "On voit que plusieurs clans s'opposent, qu'il y a des pressions en interne sur les uns et que certains répondent aux ordres de Matignon", affirme le député du Rassemblement national. Yoann Gillet dit constater que certains parlementaires "sont très clairement dépités". Sans les nommer, il accuse certains élus d'avoir "rangé leurs convictions dans leur poche".

"Jamais je n'ai vécu de psychodrame de cet ordre", fustige pour sa part Marie-Pierre de La Gontrie, sénatrice PS de Paris, également membre de la CMP. Mardi matin, sur France Inter, la sénatrice socialiste critique la manière dont s'est tenue cette réunion avec "des suspensions qui durent des heures" et confie ne pas voir "ce que peut apporter [à la majorité] d'avoir quelques heures de la nuit" avant de reprendre la CMP ce mardi matin. Selon elle, "le gouvernement et une majorité [ont comme] seul cap d'avoir un texte coûte que coûte". 

Marie-Pierre de La Gontrie accuse "la droite" d'être "un peu ivre de son pouvoir" et de ne "pas savoir s'arrêter". Elle "ne sait pas s'arrêter aux frontières du Rassemblement national", dénonce-t-elle. La sénatrice socialiste estime que "ce qu'on vit dans cette commission est très grave".

"On voit revenir un climat de 'La France aux Français' et c'est ce sur quoi on s'est tous battus à gauche, mais aussi au centre et dans la droite républicaine ; tout cela a explosé en vol et c'est très grave"

Marie-Pierre de La Gontrie

sur France Inter

 

Une critique également relayée par Danièle Obono, elle aussi membre de cette CMP : "Il faut arrêter le massacre, cette course mortifère à l'extrême-droitisation absolue de la macronie". Sur franceinfo, la députée La France insoumise dénonce une situation "déraisonnable" et évoque "un passage en force qui piétine le Parlement". Elle considère que les tractations entre la majorité présidentielle et le parti LR représentent une forme de "commission parallèle" et un "mépris total du débat parlementaire". 

Danièle Obono accuse "les macronistes [d'être] en-dessous de tout" : "Ça se voyait à leur visage, et surtout à leur silence quand ils avalaient couleuvre après couleuvre", fustige-t-elle. L'élue insoumise note notamment que les élus de la majorité "ont adopté (...) des amendements qui avaient été repoussés en commission des Lois". "Ils ont mangé leur chapeau, et ils vont continuer à essayer de négocier tout ça", dénonce-t-elle, jugeant cette attitude "absolument lamentable".

"Ce ne sont même plus des couleuvres qu'ils avalent, ce sont des boas constricteurs"

"Ce texte ressemble furieusement à un tract du Front national des années 80", a fustigé pour sa part le sénateur communiste Ian Brossat sur franceinfo. Bien qu'Ian Brossat ne soit sénateur que depuis trois mois, il explique que "c'est absolument inédit et les anciens me disent qu'on n'avait jamais vu une commission mixte paritaire durer aussi longtemps et se dérouler dans des conditions pareilles, avec des interruptions de séance extrêmement fréquentes, des suspensions qui interviennent les unes après les autres". "Ce ne sont même plus des couleuvres qu'ils avalent, ce sont des boas constricteurs", ironise Ian Brossat.

Celui qui est aussi porte-parole du Parti communiste français (PCF) s'inquiète de voir une loi immigration qui intégrerait la notion de "préférence nationale, puisque c'est de ça qu'il s'agit" : "Donner une victoire idéologique pareille à l'extrême droite, je pense que c'est une très lourde responsabilité et je ne sais pas si les Macronistes se rendent compte de ce qu'ils sont en train de faire".

Le problème dans ce projet de loi que le porte-parole du PCF voudrait enterrer, c'est que les élus de la majorité présidentielle ne veulent pas travailler avec la gauche. "Ils passent leur temps à regarder du côté droit de l'hémicycle, qu'il s'agisse du Sénat ou de l'Assemblée nationale. C'est leur choix et donc c'est à eux de l'assumer." C'est donc eux seuls "qui portent la responsabilité" de cette loi en devenir. Lorsque le texte rédigé par la CMP sera voté par le Sénat et à l'Assemblée nationale, Ian Brossat espère tout de même qu'il "se trouvera quelques parlementaires macronistes pour retrouver une boussole républicaine et pour rejeter ce texte qui ressemble furieusement à un tract du Front national des années 80."

Du côté des communistes, Ian Brossat compte, "lorsque nous aurons l'occasion de le faire", saisir le Conseil constitutionnel "parce que nous sommes convaincus que plusieurs mesures ne sont pas constitutionnelles et seront donc censurées."

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