#MeTooGarçons : "Les hommes, comme les femmes, parlaient avant #MeToo mais on ne les écoutait pas", rappelle la sociologue Lucie Wicky

Article rédigé par Catherine Fournier - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
L'acteur Aurélien Wiik à Saumur (Maine-et-Loire), le 23 avril 2006. (CAPMAN VINCENT / SIPA)
Doctorante en sociologie, Lucie Wicky, spécialiste des violences sexuelles subies par les hommes et les garçons, décrypte pour franceinfo ce mouvement de prise de parole qui émerge sur les réseaux sociaux.

"Les garçons du cinéma se réveillent", a prévenu Aurélien Wiik jeudi 22 février. A la veille de la cérémonie des César 2024, l'acteur a lancé sur Instagram le hashtag #MeTooGarçons, dans le sillage de la seconde vague #MeToo qui déferle sur le cinéma français avec la mise en cause de plusieurs figures du septième art. "De mes 11 ans à mes 15 ans, j'ai été abusé par mon agent", a révélé le comédien de 43 ans, encourageant d'autres victimes de sexe masculin à "signaler leurs histoires" avec ce mot clé. Depuis, de nombreux témoignages d'hommes anonymes et de personnalités affluent sur les réseaux sociaux, dépassant le cadre du cinéma. 

Les associations de lutte contre les violences sexistes et sexuelles saluent l'émergence d'une prise de parole masculine dans le mouvement #MeToo. Lucie Wicky, doctorante en sociologie à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (Ehess) et à l'Institut national d'études démographiques (Ined), réalise actuellement la première étude en France sur les violences sexuelles subies par les hommes et les garçons. Elle analyse le phénomène pour franceinfo.

Franceinfo : Cette prise de parole des hommes victimes de violences sexuelles vous semble-t-elle inédite par son ampleur ?

Lucie Wicky : On a l'impression de découvrir quelque chose alors qu'il existe une continuité dans la prise de parole sur les violences sexuelles. Dans les années 1990, on a vu apparaître des témoignages d'hommes victimes de pédocriminalité. L'affaire d'Outreau a mis un coup de frein à ces témoignages dans les années 2000, mais à cette même période, après la première enquête sur les violences faites aux femmes (Enveff, à télécharger), les violences sexuelles ont été mises sur la place publique. C'est à partir des années 2010-2015 que la parole des hommes surgit à nouveau publiquement : je pense à la création de l'association Colosse aux pieds d'argile – par Sébastien Boueilh – sur les violences dans le rugby. Puis à celle de La Parole libérée, fondée par des hommes victimes du père Preynat. Ou encore à la publication par Laurent Boyet du livre Tous les frères font comme ça, qui raconte l'inceste qu'il a subi de la part d'un aîné.

Les hommes, comme les femmes, parlaient avant #MeToo mais on ne les écoutait pas. Ce qui est novateur, depuis le mouvement général de l'automne 2017, c'est la répétition et la fréquence de cette prise de parole. Les réseaux sociaux sont aussi un nouvel espace de dénonciation, individuel, social et médiatique.  

Avez-vous néanmoins observé une difficulté plus importante, chez les hommes, à parler de ces violences sexuelles ? 

On ne peut pas affirmer qu'il y a une sous-déclaration ou une silenciation particulières des hommes victimes de violences sexuelles. Il est vrai qu'ils ont moins d'espaces identifiés pour parler de ces violences. La plupart d'entre eux ignorent, par exemple, que le Collectif féministe contre le viol (CFCV) s'adresse à toutes les victimes. Il y a aussi un enjeu de masculinité non négligeable. Dans les entretiens que je mène, les hommes qui ont été victimes dans l'enfance parlent d'eux à la troisième personne, comme une stratégie pour mettre à distance l'impact sur l'homme qu'ils sont devenus aujourd'hui. Mais si l'on entend moins les hommes, c'est avant tout parce qu'ils sont moins victimes que les femmes. 

Que disent, justement, les chiffres sur les violences sexuelles subies par les hommes ? 

Ils montrent que les hommes sont essentiellement victimes dans l'enfance et l'adolescence. Plus de 80% le sont avant l'âge de 18 ans. Et 50% déclarent être victimes entre 0 et 10 ans, dans la famille et l'entourage proche. Alors que les femmes sont victimes de violences sexuelles tout au long de la vie, les hommes dans ce cas sont rares (3,9%, contre 14,5%).

"Les hommes sont essentiellement – à 90% – agressés par des hommes adultes ou des garçons plus âgés. Il y a une véritable intersection entre la domination adulte et la domination masculine."

Lucie Wicky, doctorante en sociologie

à franceinfo

La Familia grande, le livre de Camille Kouchner, nous avait déjà fait redécouvrir cette réalité. Et c'est ce qu'illustre de nouveau le mouvement #MeTooGarçons. S'il n'y a pas de #MeToo d'hommes adultes, c'est parce qu'il s'agit d'une minorité statistique.

Comment cette parole d'hommes victimes est-elle reçue et perçue ?

Des travaux de chercheurs britanniques ont démontré que lorsque des hommes portent plainte pour des violences subies dans l'enfance, les affaires sont plus souvent poursuivies devant la justice. Un enjeu de genre se maintient dans la réception de la parole. Les hommes sont davantage pris au sérieux et crus que les femmes, à situation de violence égale, en tout cas quand ils sont hétérosexuels. Les hommes gays et ceux qui s'identifient comme bisexuels ont tendance à être plus discrédités dans leur récit des faits. On les soupçonne de l'avoir cherché, comme pour les femmes, avec une inversion de la culpabilité. 

Un mouvement #MeTooGay avait malgré tout émergé en septembre 2020...

Depuis #MeToo, cette prise de parole se déploie de manière sectorielle, dans le milieu gay, le sport, l'église... C'est un coup de projecteur qui permet de mieux écouter les victimes. En 2017, le mouvement avait démarré par le cinéma, mais s'était élargi. Va-t-il en être de même pour #MeTooGarçons ? On ne peut, en tout cas, que se réjouir de ces prises de parole publiques.

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