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Parcoursup : ces lycéens en territoire rural ou isolé qui ne peuvent pas étudier dans les grandes villes

De nombreux jeunes ont choisi de ne faire, pour l'après-bac, aucun vœu dans les métropoles ou d'y refuser des admissions, en raison du coût élevé de la vie et de l'éloignement familial.
Article rédigé par Lucie Beaugé, franceinfo
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 11min
Une lycéenne regarde les résultats de ses vœux sur le site de Parcoursup, à Lille (Nord), le 22 mai 2018. (DENIS CHARLET / AFP)

Admis, sur liste d'attente ou refusés : les résultats de Parcoursup tombent au compte-gouttes depuis jeudi 1er juin. La plateforme d'affectation à l'enseignement supérieur est redoutée par bon nombre de candidats. Par sa sentence, elle détermine leur formation, leur lieu d'études et de vie sur plusieurs années et, à long terme, leur orientation professionnelle. Mais pour certains, issus de territoires ruraux ou isolés, une barrière financière s'est établie bien avant celle des algorithmes. Franceinfo a interrogé plusieurs lycéens, actuellement en fin d'année de terminale, limités dans leur choix d'orientation post-bac. 

"Quand je remplissais mes vœux sur Parcoursup, je faisais en fonction de l'internat. S'il n'était pas proposé par le lycée, alors je ne demandais pas la prépa", raconte à franceinfo Laura*, qui donne en exemple le lycée Condorcet (Paris). Elle vit pourtant à Vémars (Val-d'Oise), petite ville de moins de 3 000 habitants située à 30 km de la capitale. Mais le temps de transports jusqu'à l'établissement, plus d'une heure et demie, ne lui aurait pas permis de suivre les cours dans de bonnes conditions. Une mère assistante de direction, un père agent de sécurité : impossible pour elle de se loger à Paris, où il faut débourser plus de 800 euros par mois pour un petit appartement. En attente dans plusieurs prépas parisiennes avec internat, elle espère remonter dans la liste et se faire une place au lycée Janson de Sailly. 

>> Parcoursup : plus de 500 000 candidats ont reçu une réponse positive

Avec l'inflation galopante et un marché locatif en tension, le financement des études constitue une difficulté supplémentaire pour les familles vivant loin d'une grande ville dans laquelle l'enfant se projette pour étudier. "C'est un frein qu'on a toujours identifié, mais il n'a eu de cesse de se renforcer. On le voit dans la masse d'e-mails de parents qui nous demandent si on a des solutions de logements à Paris", relève auprès de franceinfo Margot Lecœur, présidente de la fédération Des territoires aux grandes écoles, qui regroupe 52 associations locales pour l'égalité des chances en milieu rural. Elles attribuent chaque année des bourses au mérite, d'un montant de 6 000 euros sur deux ans, aux lycéens qui peinent financièrement à intégrer les grandes écoles des métropoles. Dans l'antenne du Pays basque, où Margot Lecœur est également responsable, "dix dossiers supplémentaires pour des bourses ont été déposés par rapport à l'année dernière", alors que le nombre de lycées conventionnés est resté le même.

Assumer le loyer d'une grande ville

En liste d'attente pour une double licence histoire-espagnol à Toulouse, Olyana a renoncé à ce cursus alors qu'elle était bien classée. "Je n'aurais pas pu y aller. Entre le loyer d'un appartement toulousain, les charges et les courses... Je ne veux pas tomber dans la précarité si jeune", raconte à franceinfo cette lycéenne bretonne, qui souhaitait malgré tout "mesurer la valeur" de son dossier. Autour d'elle, des profs ont essayé de la faire changer d'avis, suggérant qu'il existait "des solutions" à ce problème de financement. Mais Olyana craignait de reproduire le modèle de sa mère qui, au même âge, "ne pouvait pas manger certains jours". "Elle a essayé de travailler à côté des études, mais n'a pas réussi à finir ses études de droit", relate celle qui a accepté son admission en licence d'histoire à Rennes. Elle logera au domicile familial à Cardroc (Ille-et-Vilaine), à environ 30 km de la métropole, et se rendra à la fac en bus, puis en voiture une fois le permis de conduire passé.

"Je n'ai que 1 450 euros de bourse par an. Je trouve dommage que la situation de ma mère [isolée avec trois enfants] ne soit pas prise en compte. Avec 500 euros par mois, j'aurais pu faire d'autres choix d'orientation que celui de rester en Bretagne."

Olyana

à franceinfo

Selon une étude de 2019 de la Fondation Jean-Jaurès, "52% des foyers ont la possibilité de financer un logement en dehors de la région ou de l'académie du jeune", un chiffre qui "descend de huit points pour les foyers ruraux". Un avis du Conseil économique, social et environnemental (Cese) de 2017 rappelle lui aussi que, pour les jeunes en territoire rural, "l'aspect financier est un frein à la poursuite des études supérieures, notamment quand elles nécessitent le départ du foyer parental". Si les lycéens vivant dans une grande agglomération peuvent aussi être amenés à déménager durant leurs études, les cas sont en réalité plus limités, l'offre de formations étant plus fournie dans leur ville d'origine. "Il existe des inégalités territoriales d'accès à l'enseignement supérieur puisque le taux de diplômés réduit globalement à mesure que l'on s'éloigne des grandes villes, en particulier le long de la diagonale Bordeaux-Nancy", pointe un rapport de la Cour des comptes publié en février.

Des hypermarchés de campagne aux supérettes de centre-ville

Samuel, lui, a vu certaines écoles privées de relations internationales et sciences politiques, comme HEIP à Bordeaux (Gironde), lui faire de l'œil. Mais le lycéen originaire de Mouguerre (Pyrénées-Atlantiques), près de Bayonne, ne peut assurer à la fois le coût de la vie dans une grande ville et les frais de scolarité du privé. "Je compte déjà faire un prêt de 50 000 euros pour payer le logement et vivre décemment sur cinq ans. Ces formations coûtent 10 000 euros dès la première année", expose Samuel à franceinfo. Son vœu numéro 1 reste Sciences Po Paris, délocalisé à Reims (Marne). "J'ai demandé cette antenne dans le but de réduire les frais", explique le Basque qui, quelques jours après notre entretien, y a finalement été refusé. A la rentrée, il étudiera à Lyon dans le cadre d'une licence mêlant science politique et droit, ou à Assas, à Paris, s'il remonte sur la liste d'attente. En vue de sa nouvelle vie, loin des parents et des plats maison, le jeune homme anticipe déjà les achats du quotidien. 

"Pour faire mes courses, je pense utiliser Too Good To Go [application de lutte contre le gaspillage alimentaire], c'est une manière de bien manger pour pas trop cher."

Samuel

à franceinfo

"Les étudiants qui habitent chez leurs parents n'ont généralement pas besoin de se nourrir seuls. Pour les autres, le panier de courses a énormément augmenté, cela joue beaucoup sur le porte-monnaie. En plus, ils passent des hypermarchés de campagne aux supérettes de centre-ville", où les prix sont déjà plus élevés, rappelle Margot Lecœur. Autre ligne de dépenses pour ces jeunes déracinés de leur terroir : le train. "Les tarifs ont explosé ces deux dernières années. Alors que cela est important pour eux de rentrer, les boursiers ne peuvent souvent se le permettre qu'à Noël et durant l'été", affirme la présidente des Territoires aux grandes écoles. Prix minimum pour un aller-retour entre Paris et Bayonne : 150 euros. "La carte Avantage jeune, c'est bien, mais il faut faire davantage pour réduire la distance entre le monde rural et les villes dans lesquelles sont concentrées les écoles", juge-t-elle.

La crainte de ne pas se sentir à sa place

Au-delà de la question du portefeuille, les ambitions des jeunes ruraux sont freinées par d'autres obstacles. "Il y a un vrai coût émotionnel et affectif pour eux", explique à franceinfo Clément Reversé, sociologue au centre Emile-Durkheim à Bordeaux, dont les travaux croisent jeunesse et ruralité. "J'ai fait le choix de garder une prépa relativement bien classée, Fermat à Toulouse, et de refuser l'excellence, Louis Le Grand à Paris, car je n'étais pas prête à faire certains sacrifices, illustre Helena auprès de franceinfo. Financièrement, j'aurais pu, mais vivre dans une ville que je ne connais pas ne m'enchantait pas."  

"Ma mère souffre d'une maladie chronique et il ne me reste qu'une seule grand-mère. En m'installant à Paris, je n'aurais même pas pu rentrer tous les mois."

Helena

à franceinfo

Cette lycéenne originaire de Mazamet (Tarn), près de Castres, craignait également de subir de plein fouet le fossé entre son mode de vie rural et un quotidien au cœur d'une métropole de sept millions d'âmes. "J'ai eu cette peur de me perdre et de ne pas réussir à me faire d'amis, a fortiori dans un lycée comme Louis Le Grand, très élitiste", estime Helena. Celle qui s'estime "chanceuse" d'avoir grandi dans une famille où la littérature avait une place importante se souvient avec ironie de sa dernière escapade parisienne. "J'étais au musée d'Orsay et j'y ai vu des élèves de primaire. Dans mon école, à leur âge, on visitait des fermes", s'amuse la Tarnaise. Entre peur du décalage et sentiment d'illégitimité, de nombreux lycéens ruraux s'autocensurent au moment de faire leurs vœux. Sur Parcoursup, Olyana n'a ainsi pas sélectionné la Sorbonne, se disant qu'elle n'avait "pas le niveau", en plus de manquer d'argent.

Deux fois moins de ruraux vont jusqu'au master

Parfois, les réticences viennent aussi des proches. "Il y a des familles qui insistent très clairement sur le fait que partir, c'est enclencher une forme de rupture", remarque Clément Reversé. Débarquer de son village natal dans une métropole peut en outre être perçu comme un "changement de milieu social" et donc une "trahison". "On trouve une forte proportion de classes populaires et d'ouvriers non qualifiés en milieu rural", rappelle le sociologue. A ces biais propres aux ruraux s'ajoute souvent le sentiment de ne pas avoir été suffisamment informé des possibilités d'orientation. Un ressenti partagé par 42% des jeunes de zones rurales, contre 32% pour les jeunes d'agglomération parisienne, mentionne la Fondation Jean-Jaurès. 

Conséquence ultime : la part de diplômés titulaires d'un master ou d'un doctorat est "deux fois plus faible en milieu rural très peu dense (7,3% des 18-29 ans) qu'en milieu urbain (15,4%)", souligne le Cese. Mais pour Clément Reversé, rester dans sa région d'origine et faire des études plus courtes peut aussi être un choix mûri et stratégique : "On a tendance à se demander si les ruraux manquent d'ambition professionnelle. En réalité, ils ont un rapport logique entre formation et emploi, le tout en lien avec leur territoire. Ils anticipent leur insertion professionnelle bien plus concrètement que les urbains."

* Le prénom a été modifié à la demande de la personne interviewée.

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