Crise du logement : pourquoi le nombre d'annonces de maisons et d'appartements à louer est-il en chute libre ?

Article rédigé par Robin Prudent
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7 min
Le nombre d'annonces de biens immobiliers à louer a considérablement diminué ces dernières années. (PAULINE LE NOURS / FRANCEINFO)
Le marché immobilier de la location, pris en tenaille entre un durcissement de l'accès à la propriété et une saturation du parc social, se retrouve bloqué. De quoi alimenter la crise du logement, à laquelle le gouvernement compte s'attaquer.

"Je me sens emprisonnée." Depuis une dizaine d'années, Sophie*, 39 ans, dort sur un matelas installé dans le salon de son appartement de Noisy-le-Grand, en banlieue parisienne (Seine-Saint-Denis). Impossible pour cette mère célibataire de quitter le T2 qu'elle occupe avec son fils. Son dossier pour un logement social n'a jamais avancé et ses recherches de location s'arrêtent avant même de pouvoir visiter un appartement de deux chambres, malgré 1 600 euros de salaire et 400 euros de pension et d'allocation. "Une fois, j'ai appelé une agence et le gars m'a dit très poliment que ce ne serait pas possible avec mon dossier. Il a mal raccroché et il a explosé de rire en disant à son collègue : 'La meuf, elle croit qu'elle va avoir un T3 !', se remémore la secrétaire commerciale. J'en ai pleuré."

Le cas de Sophie est loin d'être isolé. Depuis plusieurs années, le marché de la location s'est grippé. Entre 2019 et 2023, l'offre de biens à louer a été divisée par deux, selon un rapport du site Bien'ici, qui regroupe les annonces immobilières des principales agences françaises. Et la situation s'est encore dégradée ces derniers mois. Au premier trimestre 2023, l'offre était inférieure de 17% à celle de début 2022. "Il y a une tension très forte sur l'offre locative, principalement dans les métropoles", confirme Emmanuel Trouillard, chargé d'études logement à l'Institut Paris Région.

Nombre d'offres de biens à louer sur la plateforme Bien'ici. (ROBIN PRUDENT / FLOURISH)


Face à ce blocage qui affecte le premier poste de dépenses des Français, les associations d'aide au logement estiment que l'exécutif tarde à réagir. "Alors que cette crise frappe des millions de personnes, le gouvernement se hâte lentement", s'exaspère Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation Abbé-Pierre, dans une tribune publiée dans La Croix.

Un premier pas doit enfin être franchi, lundi 5 juin. Après avoir été reportée, la présentation des conclusions du Conseil national de la refondation sur le logement est organisée ce jour-là, avec de nombreuses propositions à la clé. "Le logement est au cœur des préoccupations de ce gouvernement", a assuré le 23 mai à l'Assemblée le ministre en charge du dossier, Olivier Klein. Mais la multiplicité et la complexité des facteurs qui ont abouti à cette crise pourraient rendre sa résolution délicate.

"L'accession à la propriété est devenue le Saint Graal"

Dans les vitrines joliment décorées des agences immobilières parisiennes, le manque d'offres de biens à louer commence à laisser des trous béants. "A la fin du mois de mai, on a fait trois locations, alors qu'habituellement, à cette période, on en fait 13 ou 15", se lamente Cyrille Kadoch, directeur d'une agence du 20e arrondissement de la capitale. Une situation jamais vue depuis l'ouverture de son enseigne, il y a plus de dix ans, et qui ne fait pas les affaires de ce quadragénaire en chemise bleue, impeccablement repassée. "En ce moment, tout le monde attend. Par effet de ricochet, les marchés se bloquent", explique Philippe de Ligniville, directeur général adjoint de Bien'ici.

L'une des explications est à chercher du côté du marché de la transaction. Les offres de biens à vendre tapissent les agences des grandes villes jusqu'au plafond, mais les acheteurs sont devenus rares ces derniers mois. L'augmentation des taux d'intérêt et le durcissement des conditions d'octroi des prêts ont rendu l'accession à la propriété plus difficile. Résultat : "Les gens qui ne peuvent plus prétendre à la propriété restent locataires" et ne libèrent pas leur bien en location pour les nouveaux arrivants sur le marché, analyse Virginie Monvoisin, professeure d'économie à la Grenoble Ecole de management.

Cette situation, Audrey la connaît bien. L'assistante de direction de 43 ans a le profil idéal pour devenir propriétaire : un CDI depuis 17 ans, un mari également en CDI et un apport financier conséquent. Mais impossible pour la famille de quitter sa location de la banlieue lyonnaise. "L'accession à la propriété est devenue le Saint Graal. C'est un peu dur à vivre. On est nés ici, on travaille ici et on ne peut toujours rien se payer à cause des prix prohibitifs", souffle cette mère de deux enfants. Un exemple typique de "blocage du parcours résidentiel", mis en avant par Emmanuel Trouillard, de l'Institut Paris Région.

Des HLM saturés

Cette obstruction "par le haut" n'est pas la seule à enserrer le marché de la location. L'accès aux HLM est aussi bouché. Environ 2,3 millions de ménages précaires sont en attente d'un logement social, selon la Fondation Abbé-Pierre. Et la situation s'aggrave d'année en année, avec un nombre de constructions inférieur aux objectifs du gouvernement et une baisse des dotations. "Il y a eu beaucoup moins d'efforts budgétaires qui ont été faits sur le parc social", explique Pierre Madec, économiste à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Le ministre délégué au Logement, Olivier Klein, dénonce, lui, la responsabilité de certains élus locaux "qui ont refusé de signer des permis de construire".

"Le marché locatif est pris en tenaille entre le manque de débouchés sur les logements sociaux et l'accès difficile à la propriété."

Emmanuel Trouillard, chargé d'études logement à l'Institut Paris Région

à franceinfo

Les orientations politiques et fiscales d'Emmanuel Macron ont également éloigné les investisseurs de l'immobilier locatif, selon les économistes interrogés. Un exemple emblématique : le remplacement de l'ISF par l'impôt sur la fortune immobilière (IFI). "La réforme de la fiscalité du capital incite les ménages les plus aisés à ne pas investir dans le logement, mais plutôt dans des biens financiers" qui sont moins taxés, explique Pierre Madec. Conséquence : au début de l'année 2023, le nombre de logements autorisés à la construction continue de plonger, selon les chiffres du ministère de la Transition écologique. Une tendance de fond accentuée par la guerre en Ukraine et l'inflation des matériaux de construction.

"Ça va exploser"

Les investisseurs qui continuent tout de même à miser sur l'immobilier sont aussi tentés de placer leurs biens en dehors du circuit de la location de longue durée. "Depuis les années 2010, le développement du parc des locations saisonnières, type Airbnb, est venu se greffer au développement des résidences secondaires ou occasionnelles, note Emmanuel Trouillard. Tout cela a tendance à grignoter le parc locatif sur le long terme et à contrecarrer les efforts de construction."

Pour autant, l'exécutif ne semble pas prêt à inverser la tendance. L'examen d'une proposition de loi transpartisane prévoyant la régulation de ces locations et la diminution de leurs abattements fiscaux a été reporté le 23 mai par l'Assemblée nationale.

Dans les agences immobilières, les professionnels pointent également une autre responsable de la crise actuelle : l'interdiction de louer les logements les plus énergivores, classés G, depuis le 1er janvier 2023. "Je ne sais pas quel technocrate a pondu ça, mais vraiment, ce n'est pas possible", s'insurge un agent immobilier. "Ça va exploser", anticipe l'une de ses collègues. Car si moins de 2% des habitations sont aujourd'hui concernées, "il s'agit prioritairement des petits appartements anciens au cœur des grandes métropoles, typiquement là où il y a le plus de besoins", explique Emmanuel Trouillard. Selon ce spécialiste, la rénovation thermique des bâtiments est essentielle, mais aurait dû être lancée bien plus tôt pour éviter d'écarter de nombreux biens du marché.

"Le logement est complètement ignoré par l'exécutif"

Face à ces obstacles, quelles propositions peuvent émerger ? "A court terme, il y a une nécessité de mieux solvabiliser les ménages précaires, avec des aides au logement", propose l'économiste Pierre Madec. Il rappelle qu'avec l'encadrement des loyers, l'effet inflationniste de ces aides se trouve largement réduit. "On peut également changer le discours qui n'incite pas les ménages les plus aisés à investir dans le logement à la location et augmenter les moyens financiers versés au logement social", énumère l'économiste. Mais la partie est loin d'être gagnée. "Pour l'instant, le logement est complètement ignoré par l'exécutif", déplore Virginie Monvoisin, membre de l'association Les Economistes atterrés.

"Peut-être que ça fait peur au gouvernement parce que la crise du logement est une boîte de Pandore. On est à la croisée de beaucoup de problématiques, c'est un sujet inflammable."

Virginie Monvoisin, professeure d'économie

à franceinfo

Après plusieurs mois de concertations tous azimuts, le ministre assure que les mesures présentées dans le cadre du Conseil national de la refondation sur le logement seront toutes étudiées et largement reprises. "Rien ne sera mis sous le boisseau", assurait Olivier Klein fin avril sur France Culture.

En attendant les actes, les locataires sont de plus en plus nombreux à devoir se loger dans des habitations inadaptées à leurs besoins, déplore la Fondation Abbé-Pierre. Parmi eux, Sophie, qui devra une nouvelle fois aller chercher ses habits dans la chambre de son fils, enjamber le Tancarville dans le couloir et ressortir son matelas du placard pour dormir au milieu du salon, avec vue sur sa petite cuisine ouverte. "C'est usant, ça fout le moral à zéro, mais je ne peux rien faire. Je suis obligée de rester là où je suis."

* Le prénom a été modifié.

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