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"Certains tiendront jusqu'au bout" : à "Tolbiac la rouge", nuits blanches et jours d'autogestion pour les étudiants bloqueurs

Depuis le 26 mars, cette fac parisienne est occupée par des étudiants opposés à la réforme de l'accès à l'université. Entre espoirs de "convergence des luttes" et tentations violentes, ils racontent comment ils comptent empêcher l'évacuation du site par la police.

Article rédigé par franceinfo - Mathilde Goupil
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Dans l'université de Tolbiac, à Paris, le jeudi 12 avril 2018. (MATHILDE GOUPIL)

Un fumigène rouge fend la nuit dans le 13e arrondissement de Paris. Derrière les grilles du centre Pierre-Mendès France de l'université Paris 1, au 90, rue de Tolbiac, une fanfare donne du souffle depuis plusieurs heures. Dans la foule massée à l'extérieur, certains se sont mis à danser. Jeudi 12 avril au soir, les occupants de ce site emblématique de l'opposition à la réforme de l'accès à l'université célèbrent bruyamment ce qu'ils considèrent être une victoire face aux CRS. Car cette fois, ils ont bien cru y passer. 

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Plus tôt dans la soirée, des rangées de camions des forces de l'ordre sont repérées aux abords de l'université par ses occupants. Plusieurs dizaines de policiers se postent en différents points autour du centre, bloqué depuis la fin mars par un collectif d'étudiants grévistes qui a pris le nom de "Commune libre de Tolbiac". Les occupants craignent le pire, alors que les locaux de la Sorbonne, dans le 5e arrondissement, viennent d'être vidés des étudiants qui s'y étaient installés durant l'après-midi.

Les occupants de Tolbiac, à Paris, font brûler un fumigène, jeudi 12 avril, alors que les CRS encadrent le site. (MATHILDE GOUPIL / FRANCEINFO)

En fin de soirée, la préfecture annonce que cette présence policière avait seulement pour objectif de "sécuriser le site". Mais pour les occupants de Tolbiac, ce sont les renforts rameutés via les réseaux sociaux qui ont découragé les forces de l'ordre de tenter une évacuation du site. Une tâche qui s'annonce difficile, dans cette tour de 22 étages qui ne dispose que d'un point d'entrée. Surtout qu'après trois semaines d'occupation des lieux et de multiples alertes, la Commune libre compte bien tenir le plus longtemps possible.

a tourne mieux depuis une semaine"

Dans les couloirs de la fac, rien ne laisse imaginer que les occupants sont sous la menace d'une évacuation. A l'entrée, une banderole affiche le nom du collectif en majuscules. Plus loin, deux étudiants finissent leur nuit sur un canapé défoncé. Aux murs, entre les tags de soutien aux cheminots ou à la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, les règles de vie décidées en assemblée générale se rappellent aux occupants et aux curieux –"pas d'alcool fort", "interdiction de fumer à l'intérieur", "pas de photo sans accord"... 

Comme dans la ZAD ou dans les mouvements Nuit debout, "on fonctionne en autogestion", rappelle Adèle, 17 ans, qui fait des allers-retours entre Tolbiac et la Suisse où elle étudie la communication. Les décisions sont prises en commun. Certains s'occupent du ménage, d'autres du petit-déjeuner. "Tu veux une chouquette ?" lance un étudiant à ceux qu'il croise dans les couloirs. Ici, un point pour recycler les déchets. Là, le programme des conférences tenues par des enseignants favorables au blocage des universités. Ce jeudi 12 avril, l'amphi K accueille un cours de deux heures sur le revenu universel. 

Le coin cuisine aménagé au rez-de-chaussée de l'université de Tolbiac, dans le 13e arrondissement, à Paris. (MATHILDE GOUPIL / FRANCEINFO)

Après trois semaines d'occupation, "les étudiants sont mieux organisés", glissent trois agents de sécurité, engagés par l'université pour "protéger les biens et les personnes". Durant la journée, les occupants tiennent à ce que l'université reste "un lieu ouvert". Mais à la tombée de la nuit, la grille se ferme d'un cadenas, et des tours de garde se mettent en place pour parer à toute éventuelle intrusion – comprenez celle de militants d'extrême droite ou de policiers. Seuls les initiés peuvent encore pénétrer dans l'établissement par le biais d'une échelle, discrètement installée sur le côté de l'établissement.

"Une cinquantaine d'étudiants", pas toujours les mêmes, dort ici chaque nuit, estime le service de sécurité. Un amphi leur est réservé, qui doit impérativement rester silencieux. Noé, un habitué de Tolbiac, âgé de 19 ans, reconnaît que "ça tourne mieux depuis une semaine". 

Au début, c'était quasiment que des meufs qui faisaient le ménage. On fait face aux mêmes problèmes que la société extérieure.

Noé, 19 ans,

à franceinfo

La crainte des vacances

Mais à l'approche des vacances de printemps et des premiers examens, certains s'inquiètent. La mobilisation tiendra-t-elle ? Pour les enseignants et les personnels administratifs de Tolbiac réunis en assemblée générale jeudi 12 avril, l'une des principales préoccupations du jour est d'élargir le mouvement. L'une prône le recours à des "cours alternatifs" durant la grève, qui ne sont pas au programme mais permettent de "conserver un contact avec les étudiants non mobilisés". Pour un autre, ce sont aux enseignants de convaincre "un à un" leurs collègues. 

Corentin, étudiant en géographie aux cernes creusés, estime que les vacances qui s'étalent du 20 avril au 2 mai, constituent un "risque". Mais, point positif, "les camarades des facs non occupées", déchargés de leurs cours, auront ainsi plus de temps pour les rejoindre. Il compte aussi sur "le soutien des cheminots, des personnels hospitaliers et des postiers", dont certains sont venus rendre visite aux occupants de Tolbiac mercredi 11 avril.

Les ascenceurs de la tour de Tolbiac sont condamnés depuis le début de l'occupation. (MATHILDE GOUPIL / FRANCEINFO)

"Il ne faut pas croire que si Tolbiac tombe, le mouvement s'arrêtera !" s'exclame une enseignante en assemblée générale. Mais la réputation et la mobilisation des étudiants de "Tolbiac la rouge" ont fait du lieu le symbole de la contestation estudiantine, au point d'occulter les autres universités occupées (une dizaine de sites en France, sur 400). "Il faut garder Tolbiac, assure Babette, étudiante à la Sorbonne évacuée jeudi 12 avril. Ça va être compliqué de tenir sans endroit central pour se réunir."

Lunettes de piscine et sérum physiologique

Après deux semaines d'occupation, la Commune de Tolbiac a donc tenu une assemblée générale pour discuter des scénarios à adopter en cas d'évacuation policière. Corentin assure qu'il n'y a pas eu "de prises de position" sur l'attitude à avoir face aux forces de l'ordre, les occupants étant partagés entre "pacifistes" et "violents". "On ne forcera personne à évacuer ou à rester ici. Mais certains tiendront le site jusqu'au bout."

S'il y a de la violence utilisée de la part des CRS, on se défendra.

Corentin, étudiant en géographie

à franceinfo

En attendant, Adèle a choisi d'intégrer l'équipe des "médic", ces occupants qui disposent d'un matériel de premiers secours. Des lunettes de piscine et du sérum physiologique ont été distribués à ceux qui le souhaitaient, "pour qu'on n'ait pas trop de blessés graves", précise Corentin. Dans la cour, des sacs de bouteilles en verre vides sont stockés derrière des tables de cours et des matelas. Certaines sont remplies de peinture. Ce sont des munitions. Elles n'ont pas été utilisées jusqu'à présent, les occupants de Tolbiac préférant appeler sur les réseaux sociaux à "faire nombre" devant la fac pour éviter une évacuation.

Un tag sur les amphithéâtres d'été de Tolbiac. (MATHILDE GOUPIL / FRANCEINFO)

Leurs messages Twitter (6 300 abonnés) et Facebook (8 100 "likes") sont rapidement relayés, y compris par des personnalités à l'influence importante. Jeudi 12 avril, face à la troisième menace d'évacuation en trois jours, le candidat du Nouveau parti anticapitaliste à la présidentielle, Philippe Poutou, a ainsi appelé les volontaires à rejoindre le site en danger. Son message a été partagé 1 400 fois, soit cinq fois plus que celui de la Commune de Tolbiac. En quelques heures, la fac pratiquement vide a vu débouler plusieurs centaines de soutiens devant les grilles.

Si certains occupants assurent "sursauter" dès qu'ils entendent "une sirène la nuit", l'évacuation n'est pourtant pas le sujet numéro 1 sur place, assure Babouche, une étudiante de Paris 1. En débardeur noir et treillis militaire, la jeune femme balaie l'hypothèse d'une évacuation pour se concentrer sur l'expérience du quotidien en collectivité. "Notre vie ici prouve que l'autogestion fonctionne. On applique des choses dont on débat depuis des années." "On capitalise du savoir, renchérit son amie Louise ("un pseudo en hommage à Louise Michel").

En trois semaines, j'ai appris à construire une table basse, à cuisiner des pâtes pour 250 personnes et j'ai assisté à une conférence où je n'aurais jamais mis les pieds avant.

Louise, étudiante à Paris 1

à franceinfo

"On sait que les CRS vont finir par arriver, mais c'est un sujet comme un autre, assure Babouche. S'arrêter pour eux, c'est les laisser gagner."

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