"Bernadette" : ces quatre moments où Bernadette Chirac a soufflé à l'oreille de son président de mari
Plus qu'une Première dame, Bernadette Chirac est devenue auprès de Jacques Chirac une conseillère de l'ombre, souvent ignorée par son mari, jusqu'au soir du premier tour de l'élection présidentielle de 2002, alors qu'elle avait prédit la qualification de Jean-Marie Le Pen. Dans le film "Bernadette", qui sort mercredi 4 octobre, la réalisatrice Léa Domenach revient sur le sens politique de Bernadette Chirac, interprétée par Catherine Deneuve.
Quand Bernadette Chirac entre en politique en devenant conseillère générale de Corrèze en 1979, "elle n'est pas enchantée, c'est un ordre de Jacques Chirac", rappelle Erwan L'Eléouet, auteur du livre "Bernadette Chirac, les secrets d'une conquête" (éditions Fayard). "Maladivement timide" au départ, la future Première dame profitera de ces 36 années de mandat en Corrèze pour se donner "une légitimité politique", jusqu'à "imprimer sa marquer à l'Élysée".
Elle s'oppose à la dissolution de l'Assemblée nationale
En 1997, la dissolution de l'Assemblée nationale, décidée par Jacques Chirac a conduit à un épisode de cohabitation avec Lionel Jospin, "Bernadette Chirac parle de bêtise. Elle pensait que la dissolution était une erreur stratégique", affirme Erwan L'Eléouet.
Dans ce dossier, Bernadette Chirac identifie Dominique de Villepin, alors secrétaire général de l'Élysée, comme l'un des défendeurs de cette dissolution qui fera perdre la majorité de droite à l'Assemblée. "Elle le considère comme un ennemi parce qu'elle le surnomme Néron, du nom du despote cruel." Le lendemain des résultats, "elle salue Dominique de Villepin d'un 'Bonjour Monsieur le stratège', dans les couloirs de l'Élysée. Elle a le regret de ne pas avoir été suffisamment entendue par son mari et par ses conseillers."
En 1997, Jacques Chirac vient de commencer son premier mandat, deux ans auparavant. "La mue ne s'est pas complètement faite, elle n'est alors pas encore la femme d'influence, qu'elle sera plus tard avec les Pièces jaunes", souligne Erwan L'Eléouet.
Elle voit venir le FN au second tour en 2002
La présence surprise du Front national au second tour de l'élection présidentielle de 2002 est un marqueur fondateur de l'influence de Bernadette Chirac. "Elle l'avait dit haut et fort, note Erwan L'Eléouet. Le soir du premier tour, le 21 avril 2002, c'est la première fois que Jacques Chirac salue l'intuition politique de sa femme devant ses conseillers, en disant qu'elle est l'une des rares à l'avoir à l'avoir mise en garde sur la possible présence de Jean-Marie Le Pen au second tour. Jacques Chirac n'est pas un spécialiste de la félicitation conjugale..."
"Les choses ont changé en 2002, même le regard de son mari : il a fini par lui reconnaître un sens politique."
Erwan L'Éléouet, auteur de "Bernadette Chirac - Les secrets d'une conquête"à franceinfo
Car, pour la première fois, une Première dame est élue localement, en tant que conseillère générale de Corrèze, entre 1979 et 2015. Bernadette Chirac explique alors avoir senti, sur le terrain, le vent tourner en faveur du Front national. "Elle est en prise directe avec les revendications des Français. Il y a aussi l'idée qu'elle sillonne la France pour les pièces jaunes, donc elle entend beaucoup de mécontentement. Elle parlait aux membres du personnel de l'Élysée, aux policiers ou aux argentiers, aux jardiniers. Elle se faisait une idée de la grogne par toutes ces remontées et toutes les discussions qu'elle pouvait avoir.".
Elle réconcilie Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy
En 1995, le couple Chirac se sent trahi par Nicolas Sarkozy, qui a choisi de soutenir Édouard Balladur pour le premier tour de l'élection présidentielle. "Bernadette Chirac, c'est à la fois la femme qui, en 1995, dit 'Je le tuerais de mes propres mains s'il le faut', parce qu'elle est ulcérée, une colère très, très forte. Mais c'est celle qui, à la différence de Jacques Chirac, va jeter la rancune à la rivière", indique Erwan L'Eléouet.
La Première dame œuvre pour pousser Nicolas Sarkozy en vue de la présidentielle de 2007. "Il y a même des rendez-vous secrets organisés dans un appartement de Versailles, au départ elle veut cacher de son mari ce soutien, analyse l'auteur du livre "Bernadette Chirac, les secrets d'une conquête", sorti en poche aux éditions Pluriel. C'est une pragmatique, elle considère que Nicolas Sarkozy peut faire gagner sa famille politique."
Ce soutien affiché très tôt pour Nicolas Sarkozy serait également un calcul politique. "Elle pense aussi à la vie d'après. La vie d'après, c'est l'idée d'écarter les juges dans l'affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris. Nicolas Sarkozy peut être l'homme qui peut éloigner les juges, c'est le sentiment qu'elle peut avoir. Mais il est aussi l'homme qui va avec qui elle va négocier le remboursement des frais des emplois fictifs."
Car, selon Erwan L'Eléouet, la mairie de Paris avait retiré sa plainte après l'engagement du couple Chirac à rembourser les frais liés à ces emplois fictifs. "Qui supporte la majeure partie des frais liés à ces emplois fictifs ? C'est UMP. C'est Bernadette Chirac qui est à la manœuvre pour ce dossier, il y a de la stratégie et du pragmatisme politique."
Elle incite Jacques Chirac à se séparer d'une proche conseillère
Quand Jacques Chirac signe "l'appel de Cochin", en décembre 1978, il est hospitalisé à l'hôpital Cochin, blessé après un accident de voiture en Corrèze. Il reçoit la visite de deux conseillers très influents, Marie-France Garaud et Pierre Juillet, qui l'encouragent à signer ce texte anti-européen et contre la politique du président de l'époque, Valéry Giscard d'Estaing, dont Jacques Chirac a été Premier ministre de 1974 à 1976.
"Bernadette Chirac juge à ce moment-là que ces deux conseillers peuvent être néfastes à son mari, explique Erwan L'Eléouet. On dit même que Jacques Chirac aurait regretté ensuite d'avoir signé cet appel." Après cet épisode, Bernadette Chirac pousse alors son mari à évincer sa conseillère, Marie-France Garaud, après l'échec du RPR aux élections européennes en 1979.
Marie-France Garaud avait pourtant été "une alliée de choix" pour Bernadette Chirac. Selon Erwan L'Eléouet, la future conseillère avait en effet réussi à convaincre une journaliste du Figaro d'abandonner une relation naissante avec Jacques Chirac. "Celle qui avait été une alliée en 1976 devient une ennemie, deux ans plus tard, résume l'auteur. Bernadette Chirac l'a fait savoir dans une interview au magazine Elle, en ayant cette phrase à la fois cruelle et qui dit tout de son influence : 'On ne se méfie jamais assez des bonnes femmes'. C'est aussi une manière de dire 'Vous ne m'avez pas vue arriver, vous m'avez certainement prise pour une potiche, mais j'ai eu votre peau'." Pour Erwan L'Eléouet, à ce moment-là, Bernadette Chirac "signe la mise à l'écart de Marie-France Garaud."
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