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Témoignages Statut, reconnaissance, salaires... Des sages-femmes, touchées par un manque d'effectifs en plein été, racontent leur mal-être

Alors que de nombreuses maternités sont frappées par une pénurie de personnel en cette période estivale, des sages-femmes expliquent les raisons du malaise qui touche leur profession.

Article rédigé par franceinfo, Rachel Rodrigues
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Les sages-femmes mobilisées pour dénoncer leurs conditions de travail, le 5 mai 2021, lors de la Journée internationale de la sage-femme, à Toulouse (Haute-Garonne).  (FREDERIC SCHEIBER / HANS LUCAS / AFP)

La liste est longue : 14 postes manquants au Centre Hospitalier Intercommunal (CHI) de Créteil (Val-de-Marne), 40 à celui de Mayotte, ou encore trois dans une clinique du Mans (Sarthe)... Dans les maternités, la saison estivale est compliquée pour les sages-femmes, comme l'atteste un recensement effectué par le Conseil national de l'Ordre des sages-femmes que franceinfo a pu consulter. Surchargés, certains services se voient même parfois dans l'obligation de supprimer certains actes, comme les échographies à Mayotte et les consultations à Créteil. 

Début juillet, le CNOSF tirait déjà le signal d'alarme sur la pénurie de personnel. "Alors que les hôpitaux attendent une vague de naissances propre à la saison estivale, les services de maternité peinent énormément à recruter", affirme Anne-Marie Curat, présidente du CNOSF. Laurence Heddebaut, sage-femme coordinatrice au CHU de Douai (Nord), le confirme : "Nous avons dû nous démener pour recruter cet été, en sollicitant le Conseil de l'Ordre des sages-femmes et en postant sur la page Facebook de l'hôpital." La période estivale est généralement assurée par les sages-femmes tout fraîchement diplômées. Mais cette année, les anciens étudiants n'ont pas répondu présent à l'appel des hôpitaux, préférant se tourner vers le libéral dès la sortie d'école.

Cette alerte est donnée quelques mois à peine après de multiples mobilisations organisées par la profession, au printemps. Les 26 janvier, 10 et 24 février, 8 mars et 5 mai dernier, les sages-femmes sortaient dans la rue pour faire entendre leurs revendications, après un Ségur de la santé qu'elles jugeaient décevant"Excepté la prime de 183 euros que tout le personnel de la fonction publique hospitalière a pu toucher, nous n'avons eu absolument aucune revalorisation salariale", regrette Camille Dumortier, présidente de l'ONSSF (Organisation nationale syndicale des sages-femmes). Entre le manque de reconnaissance, l'absence de revalorisation salariale et la méconnaissance du métier, les contestations sont multiples pour les 24 000 sages-femmes de France.

"Nous sommes épuisées"

"En vingt-six ans de métier, c'est la première fois que j'appréhende autant la situation. Il est 18h26 et je n'ai toujours pas mangé aujourd'hui. Ça fait plusieurs jours que ça dure. Nous sommes épuisées", raconte Marion*, sage-femme dans une maternité privée d'Ile-de-France. Elle a renoncé à 15 jours de vacances avec sa famille pour effectuer des gardes, en renfort.

Les sages-femmes libérales sont aussi nombreuses à venir prêter main-forte aux services hospitaliers, à côté de leur travail en cabinet. C'est le cas d'Inès, qui exerce dans les Yvelines et qui a été contactée en mai par l'hôpital de son secteur, en prévision du manque de personnel pour cet été : "Dans le service où je suis, quand je travaille de nuit, je suis la seule sage-femme. C'est toujours comme ça, mais le problème c'est qu'en ce moment, le service est plein, explique-t-elle. Une auxiliaire de puériculture nous épaule, mais bien souvent, nous n'avons pas énormément de temps à accorder aux patientes. Nous devons aller droit au but."

La tension est d'autant plus forte que les maternités connaissent une vague de naissances depuis quelques semaines. "Beaucoup de projets de grossesse ont été décalés par les couples, du fait de la crise du Covid. Et là, ça reprend", explique Inès. Dans le service de Marion, les patientes défilent. "Les femmes enceintes ne sont pas en vacances", rappelle-t-elle. Elle raconte que le jour de notre entretien, elle a rencontré pas moins de 21 patientes.

En première ligne au sein des maternités, les sages-femmes libérales le sont aussi depuis leurs cabinets : "On se reprend tout le travail qui ne peut pas être effectué à l'hôpital", explique Ambre, sage-femme libérale dans le Loiret. Le premier confinement, il y a plus d'un an, a également engendré une multiplication des sorties précoces de l'hôpital, avec des femmes invitées à rentrer chez elles 48 heures seulement après l'accouchement, pour faire de la place au sein des services. Et cette tendance se poursuit aujourd'hui. "Dans ces moments-là, c'est à nous, sages-femmes libérales, d'assurer le suivi post-natal des mamans, en nous rendant à domicile, ajoute Ambre. Mais, personnellement, je ne peux pas absorber tout le monde." A flux tendu depuis plus d'un an, la sage-femme, qui reçoit déjà une dizaine de patientes par jour, raconte devoir refuser des rendez-vous : "Mon agenda déborde", déplore-t-elle.

Des salaires peu valorisants

Le mal-être dans la profession est profond, et le désamour envers l'hôpital est croissant. Les sages-femmes libérales ne constituent encore que 35% de la profession. Mais elles sont de plus en plus nombreuses à faire le choix du cabinet, délaissant la "pression" et le "manque d'autonomie" qu'elles reprochent à l'hôpital, au profit de "plus de liberté" en cabinet. Autre point noir : les salaires jugés trop peu attractifs. A un niveau débutant, les sages-femmes des hôpitaux peuvent espérer toucher un salaire de 1 800 euros brut, en moyenne.

"Les sages-femmes nouvellement diplômées pleurent quand elles reçoivent leur première paie."

Camille Dumortier

présidente de l'ONSSF (Organisation nationale syndicale des sages-femmes)

 

Les sages-femmes, pourtant définies comme profession médicale dans le Code de la santé publique, aux côtés des médecins et des chirurgiens-dentistes, peinent à être considérées comme telles au sein des hôpitaux. "Nous sommes dans un entre-deux où nous ne sommes à la fois pas considérées comme profession médicale, à l'instar des médecins ou des dentistes, mais pas non plus comme des professions paramédicales, comme les infirmières ou les aides-soignantes", explique Camille Dumortier. D'un point de vue administratif, les sages-femmes sont donc des agents de la fonction publique hospitalière. Une place qu'elles contestent, estimant que cela dévalue leurs responsabilités médicales.

Face à ce manque de reconnaissance, les syndicats de sages-femmes demandent le statut de praticien hospitalier, détenu, entre autres, par les médecins à l'hôpital, et qui leur donnerait accès à de meilleures conditions de travail et à des perspectives d'évolution de carrière (et de salaire) bien plus importantes. A l'heure actuelle, la profession de sage-femme comporte deux grades, contre 13 échelons pour un médecin, un chirurgien ou un dentiste.

"Oubliées" du Ségur de la santé

Par ailleurs, les responsabilités se multiplient pour les sages-femmes. Depuis 2009, les sages-femmes peuvent, en effet, opérer le suivi gynécologique et contraceptif des femmes : une pratique qui peine encore à être connue du grand public. En 2015, la pratique des IVG médicamenteuses a également été ajoutée à leur champ de compétences. Mais alors que les tâches s'accumulent pour les sages-femmes, la reconnaissance ne suit pas.

"Nous avons aujourd'hui beaucoup de casquettes et le salaire n'est pas en corrélation avec toutes les compétences que nous avons."

Inès

sage-femme libérale dans les Yvelines

Lors du Ségur de la santé, qui a rendu ses conclusions fin juillet dernier, les sages-femmes se sont senties "oubliées" par des négociations auxquelles elles n'ont pas pu prendre part : "Il y a eu des négociations salariales pour d'autres catégories professionnelles, et pour les sages-femmes, il ne s'est rien passé", regrette Camille Dumortier. "Dans un dîner, quand on parle de notre métier, on nous dit souvent qu'on fait 'le plus beau métier du monde', mais, dans les faits, la réalité n'est pas aussi rose que ça", regrette Sophie, sage-femme en Côte-d'Or.

Pour lutter contre ce manque de reconnaissance à l'hôpital, les syndicats entendent pousser à la création d'une 6e année d'étude, pour permettre aux étudiants de se spécialiser dans un domaine qu'ils n'auraient pas eu le temps de creuser, faire une thèse d'exercice ou tout simplement répartir l'ensemble des compétences apprises sur un temps plus large. A l'heure actuelle, devenir sage-femme requiert un niveau master, et donc un cycle de formation de cinq ans.

La profession reste également dans l'attente d'un rapport de l'IGAS (Inspection générale des affaires sociales) sur l'évolution du métier de sage-femme, censé rendre plusieurs préconisations, notamment sur le statut de la profession. Il devrait être dévoilé "dans les semaines prochaines", a assuré à franceinfo le ministère de la Santé. Les sages-femmes attendent avec espoir.

* Le prénom a été modifié.

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