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Covid-19 : pourquoi l'année 2021 risque d'être celle d'un "baby crash"

Article rédigé par Yann Thompson
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
La crise du Covid-19 fait redouter une baisse de la natalité en France et dans le monde dans les prochains mois. (ELLEN LOZON / FRANCEINFO)

Vous imaginiez que les jeunes couples avaient profité du confinement pour faire des bébés ? Selon les premières tendances, ce "baby boom" n'aura pas lieu – bien au contraire.

Depuis quelques semaines, ils arrivent. Les "bébés du confinement", conçus à partir de la mi-mars, poussent leurs premiers cris dans les maternités françaises. De Nantes à Mulhouse, de Pontoise à Foix, un constat partagé : la nouvelle génération ne se bouscule pas au portillon. "On a eu une diminution des naissances de 7% en décembre 2020 par rapport à décembre 2019", rapporte Cyril Huissoud, gynécologue-obstétricien au CHU de Lyon. Tendance similaire au sein du groupe privé Elsan, qui a enregistré une baisse d'activité d'environ 5% dans sa trentaine de maternités à travers le pays en fin d'année.

L'entame de 2021 est encore plus calme. Sur la première quinzaine de janvier, les accouchements ont chuté d'environ 35% au CHRU de Nancy, de 29% au CHU de Nantes et d'environ 27% au centre hospitalier de Saint-Denis par rapport à la même période en 2020. "Les prévisions des prochains mois ne sont pas terribles", ajoute Martine Mabiala, cadre supérieure de santé à Saint-Denis, qui table sur un recul avoisinant les 22% d'ici avril. L'Insee est d'ailleurs formel : le nombre de naissances enregistrées en France en janvier a chuté de 13% par rapport à janvier 2020, une baisse inédite depuis 1975, a annoncé l'institut jeudi 25 février. 

Après ses conséquences sur la mortalité, la crise du Covid-19 va-t-elle entraîner une deuxième crise démographique ? En France, pays déjà marqué par un recul de la natalité depuis une décennie, aucune donnée nationale ne permet encore de mesurer clairement l'ampleur du phénomène. A l'échelle mondiale, le brouillard reste épais : "Nous avons encore très peu de données sur l'impact du Covid-19 sur le nombre de grossesses", reconnaît Karoline Schmid, responsable du dossier à l'ONU. Mais les indices d'un futur "baby crash" se multiplient.

La majorité des projets d'enfant retardés ?

Voilà des mois que des chercheurs consolident, étude après étude, l'hypothèse d'un recul des naissances. "Des enquêtes sur les intentions de fécondité des couples ont été menées dans plusieurs pays avec des résultats convergents : les gens entendent souvent reporter le moment où ils feront des bébés", résume Eva Beaujouan, démographe à l'université de Vienne, en Autriche.

Ainsi, en octobre, 37% des Italiens qui avaient prévu d'avoir ou de concevoir un enfant en 2020 ont déclaré avoir reporté ce projet, selon un rapport d'experts remis au gouvernement italien (PDF, en italien). Ils sont 21% à avoir purement et simplement abandonné l'idée. Au printemps, trois démographes italiens avaient mené une étude similaire auprès de jeunes Européens (PDF, en anglais). Parmi ceux qui avaient entamé l'année avec un éventuel "projet bébé", 51% des Français déclaraient avoir finalement reporté l'échéance et 17% disaient y avoir renoncé.

Une telle inhibition par temps de crise n'a rien d'inédit. "Depuis des décennies, on observe que les chocs économiques dans les pays développés bouleversent le calendrier des naissances, explique Gilles Pison, chercheur associé à l'Institut national d'études démographiques (Ined). Les couples reportent leurs projets d'enfants, ce qui réduit les naissances pendant environ deux ans, avant un fréquent rattrapage par la suite."

Des millions de naissances en moins ?

S'appuyant sur les crises économiques et les pandémies du passé, deux économistes américains ont estimé que le Covid-19 allait faire chuter le nombre de naissances d'environ 8% aux Etats-Unis en 2021 – soit quelque 300 000 berceaux laissés vides par rapport à la normale, selon leur rapport mis à jour en décembre (en anglais).

Cette baisse pourrait être de l'ordre de 15% entre novembre 2020 et février 2021, d'après une publication allemande (PDF, en anglais). "Un tel recul serait supérieur de moitié à celui qui a suivi la Grande Récession de 2008-2009 et d'une ampleur équivalente aux baisses consécutives à la pandémie de grippe espagnole de 1918-1919 et à la Grande Dépression des années 1930", écrivent les trois auteurs, qui ont analysé les recherches Google aux Etats-Unis liées notamment à la grossesse.

A l'échelle mondiale, le recul de la natalité pourrait atteindre 10 à 15% en 2020 et 2021, avance le groupe bancaire HSBC. Cela signifierait une quinzaine ou une vingtaine de millions de naissances perdues, "soit un impact sur la population mondiale près de dix fois supérieur au nombre de morts" dues à la pandémie.

Moral, libido et avenir en berne

A l'échelle individuelle, comment une crise sanitaire en vient-elle à affecter les choix des couples ? "Il y a différents types d'effets, liés au virus, au confinement ou encore à la crise économique", résume la démographe Eva Beaujouan. Même s'il a relativement peu endeuillé les jeunes adultes, le coronavirus a pu toucher certains couples désireux d'avoir des enfants et les contraindre à se soigner en priorité. Diverses études aux Etats-Unis, en Chine ou encore en Malaisie (en anglais) laissent également entrevoir de possibles effets du virus sur la fertilité masculine.

La pandémie et les restrictions sanitaires ont surtout généré des niveaux d'angoisse importants dans la population. "Le stress semble avoir affecté négativement la libido", rapporte la chercheuse. Selon un sondage Ifop réalisé fin avril (PDF), les Français en couple ont déclaré avoir eu moins de rapports sexuels que d'ordinaire durant le confinement.

"Pendant le confinement, les gens ont aussi fait moins de rencontres, ce qui a pu retarder les mises en couple et donc les projets de famille."

Eva Beaujouan, enseignante-chercheuse à l'université de Vienne

à franceinfo

L'effet psychologique le plus durable tient sans doute au retentissement économique de la crise. "La perte d'un emploi ou la peur du chômage peut avoir une grosse influence sur la décision de fonder ou d'agrandir sa famille", insiste la démographe. Par ailleurs, pour certains couples, le contexte mondial est devenu si sombre que l'idée même d'y faire naître des enfants a été écartée.

Des projets de grossesse ont également été contrariés, au printemps, par la fermeture des centres d'assistance médicale à la procréation. "En France, le nombre de ponctions d'ovocytes a chuté de 32% entre janvier et octobre par rapport à la même période en 2019, rapporte Claire de Vienne, chargée du dossier à l'Agence de la biomédecine. C'est du jamais-vu, cela a causé une détresse majeure parmi les patients."

Singapour débloque une aide d'urgence

L'impact de la pandémie sur la natalité sera variable d'un pays à l'autre. "Dans des pays comme la France, qui ont une politique familiale développée et qui soutiennent massivement l'économie pendant la crise, la baisse sera sans doute moins importante que dans des pays avec un filet social plus mince, comme les Etats-Unis ou le Royaume-Uni, avance le démographe Gilles Pison, auteur d'une note sur la fécondité en EuropeLes pays qui ont une fécondité déjà basse, comme l'Italie, devraient être davantage touchés que les autres."

L'Italie est l'un des pays les plus préoccupés par la situation. Le président, Sergio Mattarella, y a fait directement allusion dans ses vœux télévisés (en italien), le 31 décembre. "La prévision d'une nouvelle baisse des naissances est le signe de l'incertitude que le virus a instillée dans notre communauté", a-t-il déclaré. Le démographe Alessandro Rosina, tout aussi inquiet, rappelle que l'Italie compte déjà l'un des taux de fécondité les plus faibles d'Europe (1,3 enfant par femme). Pour lui, le risque à terme est celui d'"un effondrement de l'économie et du système de protection sociale".

"Cette crise pourrait mener à une chute qui aggravera de manière irréversible nos déséquilibres démographiques, incompatibles avec un avenir solide pour notre pays."

Alessandro Rosina, enseignant-chercheur à l'Université catholique de Milan

à franceinfo

En Asie, l'urgence est déjà de mise dans plusieurs pays. A Singapour, où le taux de fécondité est de 1,1 enfant par femme, le gouvernement a mis en place une prime de naissance exceptionnelle de 3 000 dollars (environ 1 865 euros) pour les enfants nés entre le 1er octobre 2020 et le 30 septembre 2022. Objectif : "rassurer les couples et les inciter à poursuivre leurs projets de parentalité".

Confronté à une chute des grossesses de 11,4% en mai, juin et juillet, le Japon envisage lui aussi de renforcer son dispositif de soutien à la natalité. Les naissances dans ce pays vieillissant devraient s'effondrer de 10% en 2021, selon l'institut de recherche privé Dai-ichi Life, cité par Nikkei Asia (en anglais).

La natalité en hausse dans les pays pauvres ?

A l'inverse de la plupart des pays développés, certains pays en développement pourraient voir leur natalité grimper sous l'effet de la crise. "Les pays du Sud ont une fécondité élevée mais celle-ci a tendance à se réduire, rappelle Gilles Pison. On pourrait assister à un arrêt de cette baisse, voire à une remontée des indicateurs, en raison de la difficulté d'accès à la contraception et aux centres d'avortement pendant la crise."

Dans son rapport 2020 sur la planification familiale (PDF, en anglais), l'ONU rapporte que la pandémie a perturbé la production et la distribution des moyens de contraception dans le monde, causant des pénuries. Si elle était de 10%, cette baisse du recours aux contraceptifs dans les pays pauvres pourrait avoir entraîné une hausse de 15 millions des grossesses non désirées, selon des estimations du Guttmacher Institute (en anglais) datées d'avril. Au printemps, le Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA) redoutait plutôt 7 millions de grossesses non voulues en cas de prolongation durable des confinements (en anglais)

Aux Philippines, 214 000 enfants issus de grossesses non désirées pourraient naître en 2021 du seul fait des difficultés d'accès aux plannings familiaux causées par le confinement, selon une étude de l'UNFPA relayée en juin par le gouvernement (en anglais). Une hypothèse de plus qui, comme les autres, devra être confirmée au fil des mois, à mesure que des données fiables émergeront.

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