Cet article date de plus de trois ans.

Vaccin contre le Covid-19 : pourquoi les scientifiques se réjouissent mais appellent à la prudence

Les infectiologues Odile Launay et Jean-Paul Stahl, le virologue Christian Bréchot et Alain Astier, membre de l’Académie nationale de pharmacie, réagissent à l'annonce des laboratoires Pfizer et BioNTech. 

Article rédigé par franceinfo
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Un laboratoire de Bueno Aires (Argentine) où sera produit un vaccin expérimental contre le Covid-19. (JUAN MABROMATA / AFP)

Un vaccin développé par Pfizer (États-Unis) et BioNTech (Allemagne) est "efficace à 90%" pour prévenir les infections au Covid-19 selon l'essai à grande échelle de phase 3 en cours, dernière étape avant une demande d'homologation, ont annoncé conjointement ces sociétés lundi 9 novembre. Des résultats "encourageants" puisqu'ils montrent "pour la première fois qu'on devrait pouvoir avoir un vaccin qui nous protège contre cette infection", se réjouit mardi 10 novembre sur franceinfo Odile Launay, professeure en maladie infectieuse à l'Université de Paris. "Tout le monde se réjouit. Mais tout le monde dans le monde scientifique prend du recul", ajoute Jean-Paul Stahl, professeur de maladies infectieuses et tropicales au CHU de Grenoble. 

>> Ce que l'on sait du prometteur vaccin des laboratoires Pfizer et BioNTech

"Faire une annonce ne veut pas dire que tout est fait, a souligné Jean-Paul Stahl. Cela veut dire que les données qu'ils ont engrangées à travers les effets cliniques sont assez prometteuses". Mais pour le professeur, "il reste pas mal de questions en suspens auxquelles il faudra répondre dans les semaines ou mois qui viennent".

Des interrogations sur le public visé

Pour l'infectiologue, il faut parvenir à savoir si "c'est un vaccin qui protège uniquement une personne infectée, ou si c'est un vaccin qui empêche le portage du virus". Car ce ne sont pas du tout les mêmes populations qui seraient visées, alerte-t-il. 

Dans le cas d'une inhibition du portage, c'est l'ensemble de la population. Si c'est juste protéger des individus, ce sont essentiellement les personnes à risque. On n'est pas du tout dans les mêmes stratégies.

Jean-Paul Stahl

à franceinfo

Jean-Paul Stahl ajoute qu'il faudra ensuite vérifier si le vaccin est efficace "chez les personnes qui en ont le plus besoin, c'est-à-dire les personnes fragiles, entre autres les personnes immunodéprimées, soit par l'âge, soit par des médicaments divers ou diverses pathologies".

Jean-Paul Stahl attire également l'attention sur "la sécurité, c'est-à-dire de s'assurer qu'il n'y a aucun effet secondaire significatif pour pouvoir le mettre sur le marché en toute sécurité". Ces précautions valent "pour tous les vaccins, et celui-là ne doit pas échapper à la règle".

Un pourcentage de vaccination déterminant

Alain Astier, membre de l’Académie nationale de pharmacie appelle lui aussi à la prudence : "Si cela se confirme c'est un progrès tout à fait intéressant et un espoir tout à fait significatif. L'efficacité va dépendre du pourcentage de vaccinations dans la réalité." Ce vaccin serait "efficace à 90%", selon Pfizer et BioNTech.

Si 100% des gens sont vaccinés, il suffit d'avoir une efficacité de vaccin de 60%. Par contre, si à peine 70% à 75% de la population se fait vacciner il faut que l'efficacité du vaccin atteigne 80%.

Alain Astier

à franceinfo

"Donc avec 90% on est tout à fait dans les clous, et je pense que si ça se confirme ce sera tout à fait réel", résume celui qui a dirigé pendant près de 40 ans le département de pharmacie du groupe hospitalier Henri-Mondor à Créteil.

Toutefois, modère Odile Launay, professeure en maladie infectieuse à l'Université de Paris, l'efficacité de ce vaccin dépendra, comme le soulignait le Pr Stahl, de l'objectif poursuivi : "Si ce vaccin évite la transmission, effectivement, on pense qu'aujourd'hui il faut qu'il y ait 70% de la population qui soit immunisée pour que le virus arrête de circuler. Mais on peut aussi avoir une approche différente, une vaccination pour une protection individuelle. Dans ce cas-là, il faudra vacciner le plus grand nombre possible de personnes qui sont susceptibles de faire des formes graves".

La nécessité de résultats sur la sécurité à plus long terme

Des annonces prometteuses mais "l'essai n'est pas terminé", explique Alain Astier. Il s'agit pour le moment, d'une analyse intermédiaire. "C'est très bien mais il faut attendre la fin des résultats de l'essai clinique", insiste le membre de l’Académie nationale de pharmacie.

Un élément retient son attention, "Pfizer dit que dans l'essai clinique, qui compte 45 000 personnes, il y a une variété ethnique, c'est important parce qu'un sujet d'origine africaine ou européenne ou latino-américaine ne répond de la même manière". Cependant pour Alain Astier, "on ne sait pas, si des personnes à risques plus jeunes et très âgées sont incluses également parce que le caractère de dangerosité dépend de l'âge de la personne. Donc, 90% cela semble intéressant mais il faut être prudent."

On a besoin d'avoir des données sur la sécurité de ce vaccin, sur la sécurité, non pas immédiate, mais aussi dans les mois qui suivent, avant que ce vaccin puisse avoir une autorisation d'utilisation. 

Pr Odile Launay, membre du comité scientifique vaccin Covid-19

à franceinfo

Il y aura sûrement dans un premier temps "une autorisation temporaire", le temps d'avoir ces données complémentaires, exlique Odile Launay. "Mais on peut espérer qu'on aura ces autorisations avant la fin de l'année. Ce qui veut dire la possibilité de commencer à disposer du vaccin au cours du premier trimestre 2021", précise-t-elle.

Une transparence totale sur les effets secondaires

Selon Christian Bréchot, professeur à University of South Florida, président de Global Virus Network et ancien directeur général de l’Inserm et de l’Institut Pasteur, le résultat final ne sera "peut-être pas 90%. Ce sera peut-être 80, voire même 75%. Mais ce sera très significatif".

Il appelle lui aussi à "garder la tête froide" car il faut "vérifier l'absence d'effets secondaires". "Jusqu'à présent, les nouvelles sont très encourageantes et ça fait partie des bonnes nouvelles.

Ce n'est pas seulement l'efficacité de prévention. C'est la sécurité qui est essentielle et la transparence totale sur d'éventuels effets, mais qui pour l'instant sont mineurs.

Christian Bréchot

à franceinfo

Christian Bréchot ajoute que l'essai Pfizer et BioNTech  a été réalisé "sur environ 40 000 personnes". "Ils ont une analyse intérimaire qui montre qu'il y a eu 94 personnes qui ont développé une infection Covid-19. Sur ces 94 personnes, seulement 9 étaient dans le groupe vacciné. Tous les autres étaient dans le groupe non vacciné. La différence est déjà très significative", juge le virologueChristian Bréchot précise que "l'étude ne sera finale que quand ils auront atteint ce qu'ils s'étaient fixé comme objectif de 164 infections à Covid-19".

Un vaccin "complexe" à distribuer car il doit être conservé à -70 degrés

Odile Launay souligne également que se posera la question de la distribution de ce vaccin "révolutionnaire", comme le qualifie son confrère virologue Jean-François Saluzzo, car il doit se conserver à -70 degrés, d'après les laboratoires. "C'est évidemment relativement complexe de transporter à des températures aussi basses, mais c'est tout à fait faisable. Ça s'est déjà fait", rassure Odile Launay.

La question de la logistique va également se poser sur "la capacité et la nécessité de pouvoir stocker ces vaccins dans des congélateurs à moins 70 ou 80 degrés et ensuite de pouvoir distribuer ce vaccin dans les structures qui vont être amenées à vacciner avec le respect de la chaîne du froid" dans les différents pays, concède-telle. "On sait déjà que ce vaccin doit être conservé à -80 degrés, mais on a quelques jours pour l'utiliser au frigidaire. Cela fait partie des difficultés et des questions logistiques qui vont être réglées", assure l'infectiologue.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.