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Origine inconnue, fantasmes sur l'Asie... Comment expliquer la peur du coronavirus 2019-nCoV ?

Article rédigé par Louis Boy
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9 min
Un homme portant un masque de protection sort d'une pharmacie à Bordeaux, le 20 janvier 2020. (MAXPPP)

Les médecins décrivent des standards hospitaliers submergés d'appels. Certains y voient le résultat d'un emballement médiatique. Mais aussi une angoisse classique face aux maladies émergentes, sans forcément de rapport avec leur ampleur réelle.

"On parle d'un virus qui a les symptômes d'une pneumonie, mais même des gens qui ont un rhume nous appellent." Depuis des jours, le CHU de Grenoble croule sous les appels de personnes pensant – à tort – souffrir du coronavirus 2019-nCoV, assure Jean-Paul Stahl, qui y est professeur de maladies infectieuses et tropicales. Les samedi 25 et dimanche 26 janvier, l'hôpital a reçu une centaine d'appels sur ce seul sujet, "y compris de gens sans symptôme, qui ont simplement reçu un colis venu de Chine". Mêmes "questions invraisemblables" au CHU de Strasbourg, raconte sa consœur Samira Fafi-Kremer, cheffe de service du laboratoire de virologie. Une inquiétude qu'elle constate jusque dans son entourage, "où des gens me demandent si on peut tous mourir".

Les masques de protection sont en rupture de stock dans certaines pharmacies, des clients craignent de tomber malades à cause de colis envoyés de Chine, notre rubrique #VraiouFake est interpellée sur des rumeurs innombrables... Certes, le virus se répand dans son pays d'origine et en dehors, un premier cas européen de transmission entre humains a été rapporté en Allemagne et l'ampleur de l'épidémie dépasse déjà celle du Sras. Mais seuls six cas de ce coronavirus ont été recensés en France au 31 janvier. Tous sur des patients qui avaient récemment séjourné en Chine. Alors ceux qui s'alarment et craignent de contracter l'épidémie en France ont-ils raison ou cèdent-ils à une panique exagérée ? Et comment expliquer cette réaction ?

Rester vigilant mais ne pas paniquer

Même parmi les spécialistes, le message n'est pas uniforme. "Quelqu'un qui n'a pas voyagé n'a aucune raison d'avoir attrapé ce coronavirus", estime Samira Fafi-Kremer. Aux patients qui souffriraient d'un trouble respiratoire et ne se sont pas rendus en Chine, elle conseille avant tout "d'éviter d'embrasser les gens et de se laver les mains. Clairement, il faut arrêter de paniquer." "Ça ne veut pas dire qu'il ne faut pas être préparé, car le potentiel de dissémination est évident", insiste tout de même Jean-Paul Stahl. Mais "on a tort de penser qu'à l'heure où on parle [le 29 janvier], il s'agit d'un problème gravissime. Il n'y a qu'à voir les chiffres" pour relativiser le nombre de personnes touchées.

En revanche, Astrid Vabret, cheffe du service virologie du CHU de Caen, s'agace de ceux qui "aux premières annonces disent, 'ce n'est rien, il n'y a pas beaucoup de morts', sans penser que ça peut n'être que le début". A la différence de ses confrères, qui pensent que le public devrait pour l'instant davantage se préoccuper des épidémies de grippes saisonnières, car celles-ci tuent en moyenne 10 000 personnes par an, elle estime qu'on ne peut pas les mettre sur le même plan : "C'est comparer des choux et des carottes. La grippe est quelque chose qu'on surveille chaque année, il y a un traitement, un vaccin..."

Le coronavirus 2019-nCoV est un phénomène émergent. Par définition, on ne sait pas ce qui va arriver.

Astrid Vabret

à franceinfo 

En bien ou en mal. Sans paniquer, elle juge nécessaire "de s'informer et de rester vigilant" au sujet de l'avancée de l'épidémie, qui dépendra notamment de la réussite des mesures de confinement prises par la Chine.

Des mesures spectaculaires contre l'épidémie

Un élément a de quoi rassurer, et met tout le monde d'accord : notre connaissance du 2019-nCoV est déjà très importante pour un virus qui a émergé en décembre. "Avoir une première 'carte d'identité' en moins de deux mois, c'est très rapide", explique Frédéric Vagneron, historien spécialiste des épidémies et postdoctorant au Centre Alexandre-Koyré, qui rappelle qu'il avait fallu des années pour en faire autant avec le VIH dans les années 1980. Cela s'accompagne d'un degré de transparence jamais vu de la part de la Chine.

On ne peut jamais être sûrs, mais on a des informations, c'est déjà un gros progrès.

Astrid Vabret

à franceinfo

Mais mieux informer le grand public, c'est aussi communiquer sur des mesures spectaculaires, comme la mise en quarantaine de la ville chinoise de Wuhan et de ses 11 millions d'habitants. "Avouez que ça a de quoi inquiéter", pointe Samira Fafi-Kremer. Car si cette décision est pertinente, elle souligne aussi la gravité de la situation. La virologue se met à la place du grand public face aux nombreuses questions encore sans réponse. "Un virus qu'on ne connaissait pas, qui vient d'un animal pas encore identifié, venu d'un pays assez opaque à la population très dense" laisse beaucoup de place aux spéculations.

Une anxiété face à la mort

L'épidémie de coronavirus naît aussi dans un contexte où l'information est foisonnante, parfois contradictoire, pas toujours vérifiée et où la confiance en la parole des autorités vacille. "Quand la ministre de la Santé a des mots rassurants, plein de gens se disent qu'elle cache quelque chose", constate Jean-Paul Stahl, sans parler de la méfiance envers le régime chinois.

Dans un monde où toute parole rassurante est mise en doute, il ne reste que l'inquiétude.

Jean-Paul Stahl

à franceinfo

Les nombreuses zones d'ombre qui subsistent au sujet de ce virus ravivent une peur enfouie en nous, estime le psychologue Pierre-Eric Sutter. Jusqu'au VIH dans les années 1980, nos sociétés occidentales ont cru être débarrassées des grandes épidémies de maladies infectieuses, rappelle l'historien Frédéric Vagneron. Leur retour est donc d'autant plus un choc.

Quand malgré le progrès scientifique, on se trouve d'un coup dans l'incertitude de ne pas avoir de remède, l'angoisse refoulée de la mort revient instantanément.

Pierre-Eric Sutter

à franceinfo

"Sait-on comment ne pas l'attraper ?""Vais-je y passer ?" : les questions sans réponse que pose une telle épidémie sont nombreuses, explique ce spécialiste de l'angoisse, qui s'intéresse notamment aux craintes des collapsologues au sein de l'observatoire qu'il dirige, l'Obveco. A ses yeux, "l'opacité de la manifestation du virus peut être particulièrement inquiétante" et si les symptômes ressemblent à ceux d'autres maladies, "on se demande comment le voir venir". 

Toutes ces sources d'inquiétudes peuvent provoquer "une surcharge émotionnelle forte, qui déclenche la mécanique du stress" et conduit à "réagir avant de réfléchir". Pour Pierre-Eric Sutter, celui qui panique face au coronavirus est un peu comme "un piéton qui manque de se faire écraser, mais fait un pas en arrière avant même d'avoir vu le danger, parce qu'il a perçu le risque avant de l'avoir compris".

Une psychose envers les personnes asiatiques

Dans ce contexte d'incertitude, la provenance de cette nouvelle épidémie ravive également une crainte ancienne des maladies venue de Chine, et de "l'Orient" en général, expliquent les historiens. "Dans la deuxième moitié du XXe siècle, les grandes épidémies sont surtout venues de Chine" – de la "grippe asiatique" en 1958 au Sras de 2003 – rappelle Patrice Bourdelais, directeur des études à l'EHESS, démographe et historien spécialiste des épidémies. Le pays a une vaste population, s'étend sur des zones climatiques très diverses, et était encore il y a peu en proie à la malnutrition, qui a encouragé la consommation de gibier en tout genre (le nouveau coronavirus est "probablement" d'origine animale, mais "son espèce d'origine n'a pas encore été identifiée avec certitude", selon l'Institut Pasteur). "Ça se sédimente dans les mémoires", explique Patrice Bourdelais, créant l'idée qu'un virus venu de Chine "sera en général assez grave".

S'y ajoutent un certain nombre de fantasmes sur "l'Orient" d'une manière générale, qui remontent à loin. L'historien Frédéric Vagneron explique que les premiers dispositifs de surveillance sanitaire internationale, établis au XIXe siècle, visaient déjà à protéger les pays occidentaux du risque de maladies "exotiques" venues de l'est – la Chine, mais aussi les pèlerins de La Mecque, par exemple – au moyen, notamment, de quarantaines. "Les Etats européens commencent à se soucier de la santé de leurs populations, et on pense alors que les maladies vont venir des colonies, des tropiques..." résume-t-il.

Dans leur forme la plus dangereuse, ces préjugés sur les pays d'origine des épidémies débouchent sur des réflexions et comportements racistes, comme ceux qui visent les personnes perçues comme d'origine asiatique en France dénoncé ces derniers jours. A Strasbourg, Samira Fafi-Kremer a eu vent d'un appel d'une mère s'inquiétant pour son enfant "juste parce qu'il s'était assis à côté d'une personne qu'elle pensait chinoise". Même son de cloche à Grenoble, où des personnes sans aucun symptôme appelaient le CHU "après avoir simplement croisé dans le tram quelqu'un d'apparence asiatique", raconte Jean-Paul Stahl. "La recherche de coupable est un grand classique" dans une telle situation, confirme le psychologue Pierre-Eric Sutter. Et les paniques face à des épidémies se sont toujours accompagnées de la désignation de boucs émissaires, rappelle l'historien Patrice Bourdelais : "Pendant les grippes médiévales, ce sont les populations juives qui étaient la cible de pogroms."

Les médias également critiqués

En revanche, l'angoisse face au coronavirus n'est pas forcément un mal en soi, rappellent les médecins. "Le risque 0 n'existe pas", estime ainsi Astrid Vabret, qui conseille de rester vigilant en attendant de savoir comment évoluera l'épidémie. En attendant un possible vaccin contre le 2019-nCoV, ses confrères Jean-Paul Stahl et Samira Fafi-Kremer espèrent, quant à eux, que le coronavirus aidera à rappeler qu'il existe aussi d'autres virus dangereux, comme la grippe saisonnière et la rougeole.

Il serait bon que cette peur pousse les gens à se vacciner quand les vaccins existent déjà.

Samira Fafi-Kremer

à franceinfo

Le psychologue Pierre-Eric Sutter, lui, invite à "comprendre qu'il est légitime d'avoir peur, mais que la panique est exagérée, et qu'il faut atténuer par une réponse rationnelle la surchauffe émotionnelle". Il recommande de "se donner les moyens d'agir", par exemple en apprenant à identifier les symptômes auprès d'une source fiable et en sachant quel numéro appeler en cas de soupçon. Et ne conseille pas de se couper des informations, mêmes si elles sont inquiétantes, mais de "faire face aux événements".

Ce qui n'empêche pas tous ces experts de pointer le rôle des médias dans l'amplification de l'inquiétude au sujet de l'épidémie en cours. "Le décompte permanent de personnes infectées", auquel se livrent de nombreux médias, dont franceinfo, "est ressenti comme un compte à rebours", explique Samira Fafi-Kremer, au point de donner l'impression que "ce sera bientôt notre tour"Une dynamique alimentée par la vitesse à laquelle circule aujourd'hui l'information, dont il est difficile de sortir aussi bien pour les médias que pour les lecteurs. "Il est difficile d'informer sans tomber dans le sensationnel, mais sans que ça ne passe non plus inaperçu. Vous êtes bien placé pour savoir qu'il y a une appétence pour le côté dramatique des informations", déplore Astrid Vabret, la virologue du CHU de Caen. "Mais le côté 'thriller virologique' alimente les fantasmes."

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