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"J'avais prévu un beau mois d'avril..." : des commerçants racontent leur crainte de l'après-confinement

Article rédigé par Louis San
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11 min
Un écriteau sur la porte d'un magasin, à Paris, le 18 mars 2020. (MATHIEU MENARD / HANS LUCAS / AFP)

Fleuriste, libraire, gérante de magasin de prêt-à-porter… Tous ont été contraints de baisser leur rideau pour une durée indéterminée, après les mesures prises par le gouvernement pour tenter d'endiguer la pandémie.

"On est dans le flou." Avec les mesures de confinement prises en raison de la pandémie de coronavirus, les commerces jugées "non indispensables" à la vie de la nation ont été contraints de fermer. Ceux qui ont encore la possibilité de recevoir du public ont drastiquement réduit leur activité et font leur possible pour assurer la sécurité des clients et de leurs salariés.

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Depuis mi-mars, l'économie française est quasiment à l'arrêt. Le ministre de l'Economie et des finances Bruno Le Maire a évoqué, mardi 24 mars, "un choc comparable à la grande récession de 1929". Les premiers chiffres disponibles sont éloquents. La crise sanitaire provoque une perte d'activité économique évaluée autour de 35% en France, avec un effet "assez hétérogène" selon les secteurs, selon l'Insee. "L'industrie tourne à 25% de ses capacités aujourd'hui", selon Bruno Le Maire. L'activité du secteur privé connaît aussi un sérieux coup de frein. Franceinfo fait un tour de France de ces commerçants, inquiets de voir cette situation durer, qu'ils aient ou non fermé boutique.

Anne Renou, dirigeante de deux magasins de prêt-à-porter à La Rochelle (Charente-Maritime)

Anne Renou est à la tête des boutiques A ton étoile et Own, au cœur de la vieille ville. Elle a mis au chômage partiel ses deux employées, après avoir baissé le rideau. "On est en début de saison, je venais de commander mon stock", raconte la commerçante de 35 ans, qui a ouvert ses deux magasins il y a huit ans et six ans. "Fin juin, je dois solder, alors que je n'ai rien vendu", soupire-t-elle.

Dans la nuit du samedi 14 au dimanche 15 mars, après l'annonce par le Premier ministre de la fermeture des magasins non essentiels : "J'étais inquiète, tout cela fait gamberger."

Je ne dormais pas. A trois heures du matin, j'étais sur le site du gouvernement pour me renseigner sur le chômage partiel.

Anne Renou

à franceinfo

Dix jours plus tard, son compte sur le portail du gouvernement dédié à l'activité partielle n'est toujours pas finalisé et Anne Renou attend une réponse de l'administration. Reste que le dispositif, qui vise à éviter des licenciements massifs, a été plébiscité par les employeurs. Le chômage partiel a été demandé par 220 000 entreprises et concerne au total 2,2 millions de salariés en France, a annoncé la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, dimanche.

Depuis la fermeture des boutiques, "on est quasi à moins 100%", déplore Anne Renou. Quelques commandes sont passées sur le site, "mais ce n'est pas cela qui me fait vivre". L'année 2020 s'annonce compliquée. "Je pense qu'on ne rattrapera pas les pertes, à moins de faire une excellente saison cet été", anticipe-t-elle. "Il faut rester optimiste, de toute façon, il n'y a que ça à faire."

Giuseppe Parlato, fleuriste à Marseille (Bouches-du-Rhône)

"On a fait une distribution géante." Juste avant de fermer pour une durée inconnue, Giuseppe Parlato a donné et déposé les fleurs coupées, qui ne se conservent pas, sur des tombes du cimetière de Saint-Pierre, près de son kiosque. Pour ce qui est des plantes, il a réussi à les entreposer chez lui. "On est en location, on a de la place, j'ai un petit hangar", détaille ce père de trois enfants. "Normalement, on devait acheter une maison derrière, mais je ne sais pas si on va pouvoir le faire", ajoute-t-il nerveusement.

Agacé, Giuseppe Parlato dénonce une "mascarade" du gouvernement. Il se plaint du manque d'informations sur l'aide qui sera accordée aux petites entreprises contraintes de fermer. Le ministre de l'Economie s'est engagé à verser une indemnité de 1 500 euros forfaitaires à certaines conditions. "Je me demande bien qui va rentrer dans les cases", s'interroge le fleuriste, qui travaille seul avec l'aide de sa mère.

Pour avoir l'aide de 1 500 euros, il faut faire moins 70% de chiffres d'affaires entre mars 2019 et mars 2020 ? C'est impossible en fermant à la moitié du mois.

Giuseppe Parlato

à franceinfo

Le ministère de l'Economie précise toutefois à franceinfo que ce chiffre de 70% de baisse de chiffre d'affaires a été mentionné, car certains professionnels – ceux de l'événementiel, l'hôtellerie ou la restauration – ont connu une chute de leur chiffre d'affaires dès février. Surtout, Bercy précise que les commerces qui ont été contraints de baisser le rideau "sont éligibles à l'aide puisque c'est l'Etat qui leur demande de fermer. Il faut simplement qu'ils se fassent connaître sur le site des impôts, début avril, quand les choses seront calées".

Karima Larfaoui, gérante d'un magasin de glisse aux Angles (Gard)

Pour elle, "c'est la catastrophe." En cette période, les activités de plein air sont à éviter. Dommage, c'est le domaine de Karima Larfaoui, qui dirige le magasin Out & Fun, aux Angles, ville qui jouxte Avignon (Gard). Elle vend notamment des trottinettes sportives, des trottinettes électriques ou encore des paddles.

"Le plus gros mois, c'est avril, plus que Noël", quand les beaux jours arrivent, affirme Karima Larfaoui. "L'année dernière, il a représenté 20% de mon chiffre d'affaires annuel, souligne-t-elle. Elle précise avoir toujours en parallèle sa boutique en ligne, ouverte en 2015. "En ce moment, les gens sont frileux et n'osent pas acheter", relève la commerçante, qui travaille seule. Karima Larfaoui redoute la prolongation de la période de confinement.

J'avais prévu un beau mois d'avril. Ne pas le faire, je préfère ne pas y penser.

Karima Larfaoui

à franceinfo

Ce mois d'avril était aussi l'occasion de fêter le premier anniversaire de l'ouverture de la boutique. Cette question de calendrier interroge la commerçante, car elle ne peut comparer sa situation de mars 2020 à l'année précédente pour pouvoir prétendre à l'aide de 1 500 euros versée par l'Etat. Le ministère de l'Economie assure toutefois à franceinfo que dès lors que son commerce a été fermé à la demande l'Etat, la question du chiffre d'affaires ne se pose pas, même s'il a ouvert après mars 2019.

Pour Karima Larfaoui, "si un commerce comme le mien ferme ne serait-ce que deux mois à cette période de l'année, la faillite est inévitable". Pour la suite, elle met d'abord en avant la nécessité de vaincre le coronavirus avec un traitement et un vaccin. Et de conclure : "Ce n'est pas sur l'Etat qu'il faudra compter pour nous aider, mais sur les scientifiques pour nous sauver."

Christine Carli, gérante d'une librairie à Metz (Moselle)

Christine Carli gère la librairie Hisler, une institution pour les habitants de la belle de l'Est. Son magasin, qui s'étend sur quelque 1 100 m2 et emploie 36 personnes, est fermé. Les commandes sur internet "ont également été suspendues par mesure de sécurité, indique-t-elle. Nous travaillons étroitement avec le Syndicat du livre et nous suivons ses recommandations."

En attendant la reprise, la libraire s'active sur les réseaux sociaux pour maintenir le lien avec ses clients. Elle prépare l'après-confinement, afin d'être opérationnelle au moment du retour à la normale. "Nous sommes en lien avec les fournisseurs puisque la question des offices [livraisons de livres] va se poser par la suite. Les offices qui étaient prévus ont été suspendus. Certains seront peut-être reportés sur les mois suivants, d'autres pas."

"Le Syndicat du livre travaille avec tous les distributeurs pour que les libraires n'aient pas une quantité trop importante de livres lors de la reprise, poursuit Catherine Carli.

Frank Bolaers, luthier à Lille (Nord)

Cet artisan, seul à la tête de Cosmik guitare, venait d'arriver à la montagne pour les vacances lorsque le gouvernement a annoncé son plan de lutte contre l'épidémie. Frank Bolaers est aussitôt rentré chez lui, mais pour l'instant, il n'est pas inquiété. "Heureusement, j'avais un peu du travail en avance. J'avais une guitare en cours de fabrication et trois devis importants, notamment pour une guitare qui avait entièrement brûlé, détaille-t-il. Cela peut me faire sans problème un mois, un mois et demi de travail." Sans compter que l'un de ses clients, en Russie, vient tout juste de lui commander une nouvelle six cordes.

Ça va, parce que j'ai fait ma commande de bois avant que tout cela n'arrive, j'ai un peu de trésorerie et des commandes. Je ne suis pas au jour le jour.

Frank Bolaers

à franceinfo

Il ne faudrait quand même pas que le confinement se prolonge trop longtemps. "Il faut que les clients puissent venir chercher leurs instruments pour que je sois payé et il faut que l'on m'amène de nouvelles grattes à régler et à faire réparer", insiste ce passionné de 52 ans. Frank Bolaers ne fabrique que des guitares sur mesure, vendues entre 2 000 et 4 000 euros. "S'il n'y a que des réparations, je gagne zéro euro, mais je vis. C'est ce qui me permet de payer le loyer, les charges, d'acheter le bois, explique-t-il. Quand il y a des commandes, c'est de l'argent que je peux mettre de côté, c'est le petit plus." 

Nicolas Lacroix, gérant d'un magasin spécialisé dans les abris de jardin, à Toulouse (Haute-Garonne)

"Pour nous, début mars, c'est le début de la saison", explique le dirigeant de 38 ans. A cette période de l'année, les Français ressortent dans leur jardin, le préparent pour pouvoir en profiter pendant le printemps et l'été. "Là, tout s'est arrêté du jour au lendemain", remarque le gérant des "Chalets toulousains".

Le magasin de 2 500 m2 est bouclé. Des commandes sont toujours possibles via internet, mais pour acheter un abri de jardin, les clients préfèrent se déplacer et voir les produits. Sur les deux "livreurs-poseurs" employés, l'un a été mis en chômage partiel. Son salarié encore en activité ne fait pas de pose en ce moment, mais il assure quelques livraisons.

Confiant, Nicolas Lacroix mise sur un "pic d'achats" à la sortie du confinement, notamment parce que, selon lui, les gens dépensent moins en ce moment.

J'ai des des clients qui m'ont appelé, même le dimanche, pour savoir quand le magasin allait ouvrir.

Nicolas Lacroix

à franceinfo

D'ici là, la solidarité s'est mise en place entre les commerçants. Dans la zone d'activité où il travaille, des rondes sont organisées à tour de rôle pour contrôler les bâtiments et s'assurer qu'il n'y ait pas de cambriolages.

Benjamin Lévy, caviste à Paris

Benjamin Lévy dirige la Binouze, qui regroupe deux caves à bières parisiennes. Pendant le confinement, un seul des établissements est ouvert, car maintenir l'activité des deux n'était pas viable financièrement. En effet, les "commerces de détail de boissons en magasin spécialisé" sont autorisés à ouvrir.

Dans l'après-midi, le magasin reçoit en moyenne dix clients avec "des paniers intéressants, entre 40 et 50 euros", plus que d'habitude, remarque le dirigeant de 32 ans. Selon lui, le chiffre de dix clients est plutôt similaire à celui des jours normaux. "Le gros de l'activité, pour nous, c'est après le travail, après 18 heures."

Pour recevoir du monde en toute sécurité en ces temps de pandémie, du gel hydro-alcoolique est à disposition à l'entrée du magasin, deux clients maximum peuvent entrer en même temps. Ils doivent se tenir à au moins un mètre de distance et ne pas toucher les bouteilles. Benjamin Lévy, lui, porte un masque, des gants et assure désinfecter le terminal de paiement après chaque utilisation.

Il est désormais seul à faire tourner la boutique, ses quatre employés ont été mis en chômage partiel. Pour compléter cette activité minimale, il a développé une nouvelle offre : des livraisons de bières dans tout Paris intra muros à partir de 80 euros d'achat. Le trentenaire assure lui-même les trois ou quatre courses quotidiennes. "Cela me fait de sacrées grosses journées", remarque-t-il.

C'est de la survie. Si je n'avais pas fait tout ça, je n'aurais pas pu rouvrir.

Benjamin Lévy

à franceinfo

En attendant des jours meilleurs, il arrête les commandes, écoule les stocks et compte payer les loyers aux dates prévues. "C'est compliqué, mais je vais les payer maintenant, souffle-t-il. Je n'ai pas envie de me retrouver avec deux ou trois mois à payer d'un coup." Comment voit-il l'après ? "Je pense que les gens vont sortir, que ça va être une grande fête", lance-t-il, optimiste, prêt à partir faire sa tournée du soir dans Paris. "Ça n'a jamais aussi bien roulé."

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