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Face au Covid-19, la vie en pointillé des immunodéprimés : "Ça fait trois ans que je n'ai pas pris mon fils dans mes bras"

Article rédigé par Louis Boy
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 9min
Craignant pour leur santé, de nombreuses personnes vulnérables continuent de s'isoler et d'adopter les gestes barrières. (PAULINE LE NOURS / FRANCEINFO)
Très vulnérables à une forme grave de la maladie, ils sont nombreux à continuer de s'isoler. Et se sentent exclus d'une société qui a abandonné le masque et la crainte du virus.

Les attestations de circulation, le gel hydroalcoolique, le "nous sommes en guerre" d'Emmanuel Macron... Trois ans après le début du premier confinement, le 17 mars 2020, la pandémie de Covid-19 a laissé des traces dans les mémoires et a parfois emporté des proches ou provoqué des symptômes persistants chez des malades. Mais les restrictions, elles, n'ont pas duré, puisqu'il n'en est plus question aujourd'hui. Pourtant, de nombreuses personnes, particulièrement vulnérables face au virus, continuent de le craindre. C'est le cas des immunodéprimés et d'autres malades porteurs de comorbidités importantes. "En fait, on n'a jamais été déconfinés", résume Lise qui, comme d'autres, a répondu à un appel à témoignages de franceinfo.

Les critères de vulnérabilité, reconnus par décret, concernent encore des millions de personnes, y compris chez les moins de 65 ans. Parmi eux figurent les 300 000 immunodéprimés de France, surreprésentés parmi les patients en réanimation au plus fort de l'épidémie, dont le système immunitaire affaibli ne peut lutter contre les infections. Avant 2020, "je me vaccinais déjà contre la grippe, mais je ne craignais pas de finir à l'hôpital", reconnaît Vincent, greffé du rein, qui prend depuis près de 20 ans des médicaments qui affaiblissent son système immunitaire (on parle de traitement immunosuppresseur). "Le Covid a mis en exergue le danger dans lequel on vit."

"Cette pandémie ne se terminera pas"

Beaucoup de ces malades ont "fermé les écoutilles" et ne les ont pas rouvertes depuis 2020, comme le résume Raynald, qui ne voit plus que sa compagne et son fils de 5 ans, en enseignement à distance depuis le début de la pandémie. "J'allais au ciné, dans les musées, à la bibliothèque chercher des bouquins... Je n'ai plus de vie." Alice, dans la même situation, a dû créer "un protocole" avec son fils collégien, qu'elle élève seule. "Je ne lui fais plus changer ses vêtements quand il rentre, mais il se lave les mains, il reste dans sa chambre, on ne mange plus ensemble." Partagée entre la peur de le priver de sa jeunesse et celle d'être contaminée, elle doit supporter une lourde "charge mentale" : "Si j'attrape le virus, je risque de faire de mon fils un orphelin." Coupée de la plupart de ses proches, de son travail, des activités qu'elle pratiquait, elle se sent toujours "sur une île déserte".

"En bas de chez nous, il y a un restaurant. La vie continue sous nos yeux, et on ne peut pas y participer."

Aurélie, immunodéprimée

à franceinfo

Aurélie, qui sortait beaucoup avant la pandémie, a aussi renoncé à sa vie sociale, ne voyant plus que des amis portant le masque ou ayant fait un test. En couple recomposé, elle a dû prendre une décision plus radicale quand le port du masque à l'école est devenu optionnel : elle et son compagnon ont confié leurs enfants ados à leurs autres parents, "pour ne pas leur imposer une vie monacale". "Je vois mon fils de 17 ans une heure par mois, dehors quand il ne fait pas trop froid. On papote et je rentre. On ne peut plus se faire un ciné ou un bowling, comme avant." A chaque fois, la distance demeure la règle. "Ça fait trois ans que je n'ai pas pu le prendre dans mes bras." Son compagnon retrouve ses enfants un week-end sur deux, puis s'isole une semaine, soit le temps d'incubation du virus. "On ne devrait pas avoir à faire ces choix de vie. On pensait que ça ne durerait que deux, trois mois, mais ça traîne. Cette pandémie ne se terminera pas."

"Tout ça me rend misanthrope"

Au fil des mois, ces malades vulnérables ont vu le reste de la société reprendre le fil d'une vie presque normale et abandonner progressivement le masque. Dans les lieux publics, le risque de transmission du virus a donc augmenté. "Début 2022, il fallait absolument que je travaille", se souvient Madeleine, illustratrice, qui vend notamment des affiches de concerts. Elle installe alors son stand devant une salle, à Lille, où elle vit. "C'était plein, il y avait plus de 100 personnes et j'étais la seule masquée. Alors que les hôpitaux étaient bondés, je prenais un énorme risque. Je l'ai très mal vécu et je n'ai plus recommencé."

Parfois, les relations se sont aussi tendues avec ceux qui ne comprennent pas les précautions prises par ces malades. Plusieurs personnes interrogées par franceinfo assurent avoir fait, volontairement ou non, "le tri" dans leurs fréquentations. "Certains étaient compréhensifs quand on était au cœur de l'épidémie, mais le sont de moins en moins, regrette Alice. Ils me demandent si je leur fais la gueule, alors que j'essaie simplement de vivre." Anne "ne fait plus confiance à personne" après s'être brouillée avec une amie qui lui a transmis le Covid-19. Avant une de leurs soirées, "elle est allée à un concert, sans me le dire".

Au fil du temps, "un écart se creuse" avec les proches qui ont repris une vie normale, ajoute Aurélie. Elle a le sentiment "d'avoir pris la pilule rouge" qui, dans le film Matrix, révèle la réalité crue du monde et l'"individualisme" qui va avec. "Je crois que j'aurais du mal à reprendre une vie normale. Tout ça me rend un peu misanthrope", confie-t-elle.

"Je comprends ce que signifie être mis de côté"

En public, beaucoup constatent aussi qu'il est désormais difficile de passer inaperçu derrière un masque FFP2. Ils disent être observés, soit comme des paranoïaques, soit comme des malades contagieux à éviter. Vincent le ressent de façon pesante et remarque "des regards de travers". "Des personnes m'ont dit que je n'avais pas compris que le Covid était terminé", témoigne-t-il. Greffé, il doit régulièrement se justifier auprès de ceux qui s'étonnent de sa prudence. "Je comprends maintenant ce que signifie être mis de côté pour que la majorité continue à avancer."

Cadre dans une collectivité locale, il a choisi de reprendre le travail en présentiel, toujours masqué ou seul dans son bureau. Mais d'autres s'y refusent, souvent sur les conseils de leur médecin, et la situation peut se tendre. Alice assure que son employeur a engagé une procédure de licenciement contre elle et plusieurs de ses collègues, entre Noël et le jour de l'An, au motif que l'accord sur le télétravail dans leur entreprise ne permettait pas de rester chez soi en permanence, comme ils le faisaient depuis trois ans.

"Pour mes managers, l'état d'urgence sanitaire est terminé, donc il n'y a plus de risque."

Alice, immunodéprimée

à franceinfo

Et de regretter : "Je ne perds pas juste mon travail, c'est aussi une de mes seules fenêtres sur ma vie d'avant." 

Les personnes vulnérables ne pouvant pas télétravailler ont longtemps eu droit au chômage partiel ou à son équivalent, l'autorisation spéciale d'absence (ASA), pour les fonctionnaires. Ce n'est plus le cas depuis le 1er mars, plaçant certains employés dos au mur. Enseignante dans un lycée, Lise se prépare à retourner dans son établissement. Elle n'a pu obtenir une classe réduite, permettant la distanciation : "J'ai eu beau batailler... Dans l'Education nationale, il n'y a pas les moyens. On nous demande de nous adapter."

"J'évite de penser à l'avenir"

La professeure, atteinte d'une forme de myopathie, craint surtout les conséquences du virus sur sa pathologie. Les précautions s'avèrent plus cruciales encore pour les immunodéprimés, chez qui le vaccin a peu d'effet ou n'offre qu'une protection limitée dans le temps. "Je dis que j'ai une lune de miel de quatre semaines" après une injection, résume Alice. Reste l'option des anticorps monoclonaux, un traitement lourd administré de façon préventive à certains patients, mais dont l'efficacité varie selon les variants. Quant au Paxlovid, seul médicament qui peut être administré en cas de contamination, il reste peu prescrit.

Faute de remède efficace, Madeleine et Aurélie ont rejoint des collectifs en ligne qui militent pour une meilleure protection des personnes vulnérables. "On essaie de se faire entendre du ministère de la Santé, de faire installer des purificateurs d'air, des capteurs de CO2 [qui aident à évaluer le risque de contamination et le besoin d'aération d'une pièce], résume cette dernière. Pour l'instant, je ne vous cache pas qu'on fait chou blanc." Beaucoup partagent ce désarroi, à l'image d'Elise :

"On nous parle de vivre avec le virus, mais pour ça, il faut s'adapter. On peut vivre par -15°C dehors, mais pas en maillot de bain."

Elise, immunodéprimée

à franceinfo

Comme d'autres, elle peine à garder l'espoir d'un retour de certaines habitudes, par précaution envers les personnes vulnérables, comme le port du masque en public. Et n'ose imaginer la suite de sa vie si le virus continuait à circuler : "Honnêtement, j'évite de penser à l'avenir."

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