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Covid-19 en France : comment les capteurs de CO2 ont tant bien que mal fini par s'imposer

Alors que l'on sait depuis plus d'un an que le Covid-19 se transmet essentiellement par voie aérienne, les capteurs de CO2, permettant de savoir si l'air d'un espace clos est correctement renouvelé, ont mis plusieurs mois à convaincre les autorités. Ils pourraient pourtant être de bons alliés pour lutter contre le virus.

Article rédigé par Brice Le Borgne
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Un capteur de dioxyde de carbone dans un RER, en région parisienne. (FRANCEINFO)

Cela fait plus d'un an que les promoteurs des détecteurs de CO2 le répètent : surveiller la qualité de l'air et aérer en conséquence est un geste barrière tout aussi nécessaire que le port du masque ou la distanciation physique. Nous voici en septembre 2021, et collectivités, écoles et universités sont de plus en plus nombreuses à se doter de détecteurs. Comment en est-on arrivé là ? Quel est l'intérêt de mesurer la qualité de l'air ? Franceinfo revient sur l'histoire de cet outil, qui a fini tant bien que mal par devenir un allié dans la lutte contre la pandémie.

Tout commence à la fin du mois de mars 2020, alors que la France est confinée. L'aération des espaces clos est alors loin d'être systématiquement indiquée par les autorités sanitaires dans les visuels de prévention sur les gestes barrières. "Au départ, on a pensé que le virus se transmettait à courte distance, se souvient Fabien Squinazi, médecin biologiste et membre du Haut Conseil de la santé publique (HCSP). Mais le virus survit bien dans les gouttelettes qui restent en suspension dans l'air, beaucoup plus longtemps que ce que l'on pensait."

Au fil des premières études scientifiques, la transmission du Covid-19 à distance est de plus en plus évoquée, via les aérosols, ces micro-gouttelettes expulsées par une personne qui tousse, parle, chante ou respire profondément. Et qui peuvent rester en suspens durant plusieurs heures dans une pièce confinée. "Comme on évoquait déjà la possibilité qu'il y ait une contamination par aérosols, un collègue a eu l'idée selon laquelle le destin des aérosols est le même que celui des molécules de CO2, raconte Bertrand Maury, chercheur au CNRS. Et que si on mesure l'un, on mesure l'autre, même s'il n'y a pas de coefficient de proportionnalité bien connu. S'il y a beaucoup de CO2, il y a beaucoup d'aérosols."

Une lente prise de conscience

Rapidement, plusieurs groupes de travail se mettent en marche. Et notamment au HCSP, qui publie dès avril 2020 ses premières recommandations sur l'aération des espaces fermés. Des dizaines de chercheurs et de spécialistes se réunissent en collectifs, comme Projet CO2 qui a pour but de rassembler les connaissances et diffuser des conseils, notamment sur l'utilité des capteurs de dioxyde de carbone.

"La littérature scientifique s'est étoffée depuis un an, ça a clairement explosé, se réjouit Bertrand Maury, également membre du Projet CO2. On a découvert de vieilles archives du XIXe siècle, la qualité de l'air était un sujet dont les gens étaient très conscients. Cela a quasiment disparu il y a quelques dizaines d'années, et le Covid-19 a fait que ce sujet est revenu au goût du jour."

Mais si les travaux scientifiques progressent, le sujet a du mal à percer auprès de toute la population. "Le message de l'aération est arrivé assez tard dans la communication gouvernementale", regrette Fabien Squinazi, du HCSP. Au fil des différents avis du Haut Conseil, de l'arrivée des pictogrammes "Aérez les pièces" dans les plaquettes de prévention des autorités, la qualité de l'air est de plus en plus prise au sérieux. Et avec elle, l'utilité des détecteurs de CO2.

Concrètement, un capteur de CO2 est un boîtier simple, dont la taille varie entre celle d'une grosse éponge et celle d'un boîtier plus imposant. Son prix peut varier de 50 à 400 euros en fonction notamment de ses fonctionnalités qui diffèrent selon les modèles : de simples voyants rouges qui s'allument lorsque le seuil de 800 parties par million (ppm), recommandé par le HCSP, est dépassé ; ou un système plus élaboré de sauvegarde et d'analyse des données.

Ces capteurs existaient avant le Covid-19 : dans les lieux accueillant du public, la loi prévoit déjà des seuils à ne pas dépasser. "Dans la règle générale, c'est 1 300 ppm, explique Fabien Squinazi. Mais le HCSP a été encore plus exigeant, il a demandé à descendre encore plus bas." A 800 ppm, donc, et même dans des lieux où le port du masque est obligatoire, car il ne filtre pas la totalité des aérosols. 

Popularité croissante

La courbe montrant l'évolution de la recherche des termes "capteur CO2" sur Google en témoigne : ce n'est qu'en 2021 que le sujet intéresse le plus. Au début, en avril 2021, plusieurs études scientifiques confirment la transmission du Covid-19 par voie aérienne. Dans le même temps, l'usage des capteurs de CO2 est recommandé par différents pays, comme la Suisse

Pendant les vacances de Pâques, la ville de Paris a annoncé qu'elle installait environ 500 capteurs dans 230 établissements, de la crèche au collège. Si aérer les salles de classe est déjà une habitude pour de nombreux enseignants, l'objectif de ce dispositif est d'interroger ces pratiques et de produire une analyse en partenariat avec Airparif et des chercheurs du CNRS. "On a vu que ça avait un impact en termes de comportement. Les enseignants étaient surpris de voir qu'il fallait ouvrir si régulièrement", se réjouit Anne Souyris, maire adjointe en charge de la santé publique.

Les données enregistrées ont été analysées et résumées dans un rapport publié le 3 septembre. Il indique que la majorité des mesures sont comprises entre 800 et 1 600 ppm, mais "pour certaines classes en école, des niveaux de CO2 atypiques ponctuellement supérieurs à 3 000 ppm peuvent être observés".

Autre mesure, aux conséquences radicales, racontée par Bertrand Maury, dans une université. "Certains bâtiments sont modernes, mais d'autres bien plus vétustes. Un confrère a fait des mesures dans une salle d'examen dans laquelle la ventilation était en panne. Le capteur affichait un taux de l'ordre de 2 000. La réaction a été nette, la salle n'a plus été utilisée", explique-t-il.

Un investissement intenable pour les collectivités

Mais c'est en cette rentrée 2021 que l'intérêt pour les capteurs de CO2 a explosé. Le protocole sanitaire élaboré par le ministère de l'Education nationale est clair : "La mesure de la concentration en CO2 à l’aide de capteurs permet d’évaluer facilement le niveau de renouvellement d’air. Il est recommandé d’équiper les écoles et les établissements scolaires de capteurs mobiles afin de déterminer la fréquence d’aération nécessaire pour chaque local." Mais pas d'obligation, regrettent certains médecins et enseignants. Dans une tribune publiée par Le Monde, un collectif insiste. "La recommandation d’équiper les établissements de détecteurs de CO2 ne peut suffire : cela doit être la règle", écrivent-ils.

Localement, plusieurs régions, départements et communes lancent successivement leurs commandes de capteurs. La région Auvergne-Rhône-Alpes a annoncé installer 3 000 détecteurs dans des lycées. L'Occitanie a fait une annonce comparable. Des villes de toute taille s'en équipent. Problème : le coût reste à la charge des collectivités. Et avec environ 360 000 salles de classe dans l'enseignement public à équiper, avec un capteur d'un montant, par exemple, de 100 euros, la facture grimpe à près de 36 millions d'euros dans toute la France. Et encore faut-il que ces capteurs soient vraiment utiles. Dans certaines salles de classe, les fenêtres ne s'ouvrent que de quelques centimètres, et les enseignants ne peuvent rien faire face à un capteur indiquant une concentration en CO2 trop élevée.

Après son expérimentation au printemps dernier, la ville de Paris aimerait déployer davantage de détecteurs. "Mais il nous faudrait 3 millions d'euros pour équiper les 11 000 salles de classe à Paris", souligne Anne Souyris. Pour trouver les fonds nécessaires, la ville vient d'écrire aux ministères de la Santé et de l'Education nationale pour solliciter une aide à destination des collectivités. De son côté, Jean-Michel Blanquer estimait sur France Inter, le 1er septembre, que "la plupart des collectivités ont tout à fait les moyens de les acheter. Lorsqu'elles sont en difficulté, c'est bien volontiers que nous sommes en appui."

En attendant, les entreprises qui fabriquent des capteurs remplissent leur carnet de commandes. Dans la région de Forbach (Moselle), comme le raconte Le Républicain lorrain, la société SES Automation n'a de cesse de répondre aux demandes des collectivités. Elle a reçu 70 commandes, dont une de 80 capteurs pour le département du Vaucluse, ou de 220 détecteurs pour la ville de Vincennes (Val-de-Marne). Une effervescence qui, de l'avis de plusieurs interlocuteurs interrogés par franceinfo, aurait peut-être pu faire gagner du temps face à l'épidémie si elle était survenue un an plus tôt.

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