Déconfinement : à Paris, les restaurateurs se préparent à une reprise "à la fois positive et angoissante"
Le 19 mai, après de longs mois de fermeture, les bars et restaurants vont pouvoir rouvrir mais uniquement en terrasse. "On ne sera pas rentable", prévient l'un des gérants interrogés par franceinfo.
Depuis la fin du week-end de Pâques, une ambiance de fin de service règne à la Brasserie Rosie. Les chaises et les tables sont empilées les unes sur les autres et des cartons jonchent le sol à côté d'un fût de bière. "Nous avons fait du click and collect d'octobre jusqu'à Pâques et puis nous nous sommes rendus compte que Paris se vidait alors on a complétement fermé", explique Kevin Caradeuc, le co-gérant de la brasserie ouverte en janvier 2020. Depuis la fermeture, il vient tous les jours avec son associée, Juliette Cerdan, pour gérer le quotidien administratif de l'établissement de 500 m2. "C'est un peu notre bébé, on a mis toutes nos forces et économies dedans alors on a besoin de venir", justifie-t-il, à côté d'un tapis de sol, qui lui sert à se maintenir en forme entre deux réceptions de factures. Le 19 mai, leur activité, comme celle des tous les bars et restaurants va pouvoir reprendre, mais uniquement en extérieur et à 50% de la capacité de la terrasse. Une bonne nouvelle qu'ils accueillent avec une certaine pointe d'appréhension et d'amertume.
Le casse-tête du planning
Ici, le service en terrasse n'était pas l'objectif initial. "Nous avons 200 couverts à l'intérieur et seulement 10 à l'extérieur, note Kevin Caradeuc. On avait pensé notre business plan pour un véritable service de restaurant classique." Pour se préparer à la reprise de l'activité, il a donc fallu faire preuve de diplomatie : "On a réussi à mettre 16 couverts dehors en demandant à nos voisins, qui sont des boutiques, si on pouvait un peu s'étendre. A partir de 19h30, on pourra donc mettre 60 couverts mais uniquement jusqu'à 21 heures, à cause du couvre-feu... "
Pour les terrasses de moins de 50 m2 comme c'est le cas ici, l'exécutif demande l'installation de plexiglas ou de paravents entre les clients. Une option difficile à mettre œuvre, selon Kevin Caradeuc. "Ils nous l'annoncent un peu tard, on ne sera jamais livré d'ici le milieu de semaine prochaine, déplore-t-il. Et ça coûte très cher, alors on va plutôt faire du système D et mettre les cliens dos à dos et les espacer d'un mètre."
Autre défi avant l'ouverture : l'organisation du planning pour les 45 salariés du restaurant avec un service réduit à cause des contraintes sanitaires. "On va peut-être tourner à sept sur le service du midi et 10 le soir. Mais le midi, le service ne sera pas à table, c'est-à-dire que les clients vont commander et venir récupérer leur commande au comptoir." Son objectif est ainsi d'économiser les charges sur le salaire d'un employé le midi.
"Si au total, on est 20 à travailler dans la journée, c'est déjà le bout du monde..."
Kevin Caradeuc, gérant de la Brasserie Rosieà franceinfo
Un casse-tête partagé à quelques centaines de mètres de là par Olivier, le gérant du bar-restaurant La Rêverie, dont les fenêtres sont recouvertes de bâches. "On a dû adapter notre planning pour le couvre-feu à 19 heures en octobre. Maintenant, il faut l'adapter pour la fermeture à 21 heures et après à 23 heures. Ils ne se rendent pas compte de tout le travail que ça demande", déplore-t-il. A La Rêverie, parmi les 20 salariés, ceux qui vont pouvoir revenir travailler seront les plus anciens. Cela se fera aussi "au volontariat", avance-t-il un peu hésitant. Les autres vont rester en chômage partiel.
En attendant, Olivier passe ses journées à se préparer en appelant ses fournisseurs pour qu'ils livrent la nourriture et l'alcool nécessaires pour les 32 couverts de la terrasse. "On ouvre pour nos clients mais on ne sera pas rentable. Si les autres bars ouvrent et pas nous, que vont dire les clients ? On le fait pour ne pas perdre notre reputation, pour ne pas être oubliés..." Avant de concéder :
"Mais je suis très heureux de rouvrir, même si ça ne se voit pas !"
Olivier, gérant de La Rêverieà franceinfo
A quelques centaines de mètres plus loin, du côté de boulevard Beaumarchais, un autre Olivier, qui gère lui le bar Le Génie, vient tout juste de rouvrir la vente à emporter... sans qu'elle ne lui rapporte beaucoup. "C'est juste pour faire acte de présence jusqu'au 19 mai, concède-t-il. J'ai rouvert depuis le lundi 3 mai et j'ai dû faire 50 euros de vente par jour depuis, ce n'est rien du tout."
De très chères terrasses éphémères
En temps normal, la terrasse couverte du Génie peut compter jusqu'à 20 personnes mais "avec le protocole sanitaire, on ne pourra servir que 10 personnes", note Olivier, qui a déjà négocié avec la mairie de Paris une extension sur la voie publique en vue du 19 mai. Pour le moment, celle-ci est encore gratuite mais le restaurateur craint que les terrasses éphémères ne deviennent payante, comme l'avait annoncé la mairie de Paris dans Le Parisien (article payant). "Si les bars et restaurants peuvent ouvrir mi-mai comme annoncé, nous ne leur imposerons pas de droits en terrasse tout de suite. Nous les exonérerons jusqu'à la fin de l'été", avait ensuite rétropédalé la maire Anne Hidalgo dans Le Journal du dimanche (article payant).
"Je paye déjà 3 000 euros par mois pour cette terrasse d'environ 20 m2, vitupère Olivier en délimitant la terrasse du bout du doigt. Si on doit payer la même chose pour étendre, ça ne devient pas rentable..." De son côté la mairie de Paris temporise : "Dès lors qu'il y a une occupation commerciale de l'espace public, vous êtes obligé de percevoir une taxe en tant que collectivité." Une concertation est actuellement en court avec les riverains, les professionnels du secteur et la mairie de Paris sur l'intégration de ces terrasses éphémères au règlement des terrasses et étalages de la ville. "Les discussions sur le montant du loyer devraient se tenir dans les prochains jours donc aura quelque chose au mois de juin", assure la mairie qui précise qu'il sera "moins cher" que celui actuellement payé par les commerçants.
Une bonne nouvelle pour eux, car ils craignent pour la plupart un été particulièrement difficile pour leur trésorerie. Après les aides de l'Etat via le fonds de solidarité, la reprise de l'activité marque aussi la fin du chômage partiel. Malgré l'annonce de Bruno le Maire d'accorder le fonds de solidarité jusqu'à la fin du mois de mai et d'alléger ses conditions d'obtention à partir juin, l'inquiétude demeure. Invité de la matinale de franceinfo le 10 mai, le ministre de l'Economie a de nouveau encouragé les restaurateurs :
"Rien ne serait pire que de maintenir des dispositifs qui, dans le fond, seraient plus rentables si on ne reprend pas l'activité plutôt que de reprendre l'activité."
Bruno Le Maire, ministre de l'Economiesur franceinfo
"Les restaurants risquent de prendre très cher, prévient Cécile M'kavavo, présidente du syndicat des HCR la branche hôtels, cafés et restaurants du CFE-CGC. On va devoir se séparer de salariés si on n'a plus les aides de l'Etat car beaucoup de patrons ne pourront plus honorer les charges et il y aura des choix drastiques à faire."
Une crainte partagée par Juliette Cerdan, de la Brasserie Rosie : "Cette reprise est à la fois positive et angoissante. D'un côté, on est très heureux de rouvrir mais on sait déjà qu'on ne pourra pas gagner de l'argent et on se demande ce qu'on fera si l'épidémie repart." Et ce n'est pas la perspective de l'ouverture complète du restaurant dès le 30 juin qui peut la réjouir. "Je crois que cet été sera vraiment dur, surtout pour les restaurants de la région parisienne car l'activité est plus calme et cette année il n'y aura pas de touristes." D'autant que le gouvernement a déjà douché l'enthousiasme des clients et professionnels du secteur : il ne sera pas possible d'être à plus de six autour de la table.
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