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Déconfinement : cinq questions sur le couac législatif qui a retardé la prolongation de l'état d'urgence sanitaire

Un vide juridique a permis théoriquement aux Français de se déplacer à plus de 100 km de leur domicile pendant cette journée du 11 mai.

Article rédigé par Ilan Caro
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
La façade du Conseil constitutionnel, rue de Montpensier, à Paris. (MANUEL COHEN / AFP)

Une France déconfinée, mais en plein vide juridique pendant quelques heures. La loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire, définitivement votée par le Parlement samedi, n'a pas pu entrer en vigueur comme prévu avant le lundi 11 mai. Saisi par quatre voies différentes, le Conseil constitutionnel n'avait pas eu le temps d'examiner toutes les requêtes avant l'heure du déconfinement. Il a finalement rendu son avis lundi soir, validant le texte mais censurant partiellement des élements liés à l'isolement des malades du Covid-19 et au traçage numérique de leurs contacts. 

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Un couac juridique que le gouvernement a dû colmater en toute hâte, grâce à un décret signé en pleine nuit. Explications.

1Que contient le texte voté samedi par le Parlement ?

Le projet de loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire jusqu'au 10 juillet a été adopté par le Parlement samedi au terme d'une procédure particulièrement rapide, en moins d'une semaine. Ce texte sensible a toutefois fait l'objet d'âpres débats, notamment sur la responsabilité pénale des élus et décideurs face à la pandémie, ou encore sur la question du traçage des malades du coronavirus et des cas contacts.

C'est également ce projet de loi qui permet de limiter les déplacements des Français à 100 km autour de leur domicile, de réserver l'accès aux transports en commun aux personnes se rendant au travail pendant les heures de pointe, ou encore de donner un cadre juridique pour les systèmes d'information permettant les enquêtes épidémiologiques.

2Pourquoi n'a-t-il pas été promulgué immédiatement ?

Comme tout projet de loi, ce texte, bien que voté par le Parlement, doit ensuite être promulgué par le président de la République pour entrer en vigueur. Entre l'adoption du texte et sa promulgation, le Conseil constitutionnel peut être saisi pour vérifier sa conformité à la Constitution. Dans ce cas, la promulgation est suspendue à la décision des Sages.

Emmanuel Macron, qui dispose de ce pouvoir, avait annoncé qu'il saisirait lui-même le Conseil constitutionnel pour contrôler cette loi, dans l'idée que le texte soit promulgué dimanche soir. Le président du Sénat, Gérard Larcher (LR), a confirmé saisir lui aussi les Sages dès samedi soir, pour s'assurer que les mesures mises en œuvre sont "nécessaires et adaptées aux circonstances".

Deux autres saisines ne sont arrivées que le lendemain sur le bureau du Conseil constitutionnel : l'une émane des groupes de gauche (PS, PCF, LFI) à l'Assemblée, l'autre de leurs homologues du Sénat. 

3Pourquoi le Conseil constitutionnel n'a-t-il pas pu statuer dans les temps ?

Cette multiplication du nombre de saisines a vraisemblablement constitué une charge de travail supplémentaire pour les membres de la vénérable institution de la rue de Montpensier. Contrairement à celles du président de la République et du président du Sénat, qui ont simplement demandé au Conseil constitutionnel de s'assurer de la conformité du texte, les saisines des parlementaires développent des arguments juridiques visant à faire censurer certaines dispositions. Arguments que les Sages sont tenus d'examiner un par un avant de justifier leur décision.

Le Conseil constitutionnel n'a reçu ces deux saisines que dimanche après-midi, ce qui ne lui a laissé que très peu de temps pour les examiner. Les groupes parlementaires de gauche qui en sont à l'origine assurent qu'il était difficile pour eux de les boucler plus tôt, la version finale du texte ayant été votée samedi après-midi. "Nous avons produit 19 pages d'argumentaire juridique en seulement 24 heures", explique ainsi à franceinfo le patron des sénateurs socialistes, Patrick Kanner.

Le Conseil constitutionnel a donc informé le secrétariat général du gouvernement qu'il ne pourrait rendre sa décision dans la journée de dimanche, comme espéré par l'exécutif, mais seulement le 11 mai.

4Quelles ont été les conséquences de ce couac ?

Les mesures contenues dans le projet de loi n'ont pas pu entrer en vigueur ce lundi. Pour parer à cette situation, le gouvernement a pris un décret en urgence "avec une entrée en vigueur immédiate pour la période du 11 au 12 mai", explique – fait rare – un communiqué commun de l'Elysée et de Matignon envoyé aux rédactions à 1 heure du matin.

Le décret fixe ainsi "les gestes barrières à respecter", "permet la levée du confinement, et donc la fin des limitations des sorties du domicile", "rend obligatoire le port du masque dans les transports collectifs", "permet la réouverture de certains commerces, à condition qu'ils s'organisent dans le respect des gestes barrières et de la distanciation" et "limite les réunions et rassemblements sur la voie publique et dans les lieux ouverts au public à 10 personnes".

En revanche, pour limiter les déplacements à 100 km du domicile et réserver l'accès aux transports en commun aux seuls salariés se rendant au travail, impossible de passer par un décret : une loi est indispensable. Le gouvernement n'a donc d'autre choix que de "faire appel au sens de la responsabilité des Français" pour que ces mesures "soient respectées d'ici là". Dans les faits, il est peu probable que ce raté juridique ait eu de graves conséquences sur le terrain. "Il était en tout état de cause prévu qu'elles devaient faire l'objet d'une période de tolérance", indique le communiqué.

5Cette situation aurait-elle pu être évitée ?

Au sein de la majorité, les mauvaises langues pourront arguer du fait que l'opposition aurait pu éviter de saisir elle-même le Conseil constitutionnel. Elle s'était d'ailleurs abstenue de le faire lors du vote du projet de loi initial sur l'état d'urgence sanitaire.

Une accusation rejetée par le patron des sénateurs socialistes, Patrick Kanner : "A ce compte-là, autant supprimer la possibilité pour les parlementaires de saisir le Conseil constitutionnel !" ironise-t-il. L'ancien ministre des Sports de François Hollande reporte plutôt la responsabilité de ce couac sur le gouvernement, qui n'a déposé le texte au Parlement que le samedi 2 mai, après un Conseil des ministres extraordinaire. L'Assemblée nationale et le Sénat n'auront donc eu que six jours, examen en commission et commission mixte paritaire compris, pour boucler l'adoption du texte.

"Pourquoi ce Conseil des ministres n'a-t-il pas été réuni le 1er mai ou le 30 avril ? On aurait pu gagner 48 heures", estime Patrick Kanner. Depuis le début de la crise sanitaire, "le Parlement fonctionne en mode dégradé, déplore-t-il. Un désordre institutionnel dû à un manque d'anticipation de la part du gouvernement." "On a travaillé dans des conditions déplorables. Ce n'est plus de l'urgence, c'est de l'extrême urgence, renchérit le sénateur LR François-Noël Buffet. Cela aurait pu être très différent si nous avions été saisis une semaine plus tôt."

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