Coronavirus : "Travail confiné et télétravail, ce n'est pas la même chose", alerte un collectif d'ergonomes
Depuis le 17 mars et le début du confinement, un quart des salariés sont passés au télétravail. "Cette période ne renforce pas les risques liés au travail mais les déplace", assure le collectif Ergonomes solidaires, créé au début de la crise sanitaire.
"Je regrette mon fauteuil et mon bureau", confesse Olga. Comme un quart des Français depuis le début du confinement, cette salariée a dû se résoudre à ne plus aller au travail, même si "[elle] ne regrette pas les trajets". Avant cette période inédite, Olga souffrait déjà de maux de dos, mais elle les avait réduits après avoir été sensibilisée par son employeur quant aux bonnes postures. Problème, chez elle, Olga n'a pas de "beaux meubles ergonomiques", elle se cale comme elle peut avec des coussins, ce qui n'a pas empêché son mal de dos de revenir.
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Alexandre, qui travaille dans l'audiovisuel, sent dès le deuxième jour "les effets néfastes" du télétravail, des symptômes physiques - vertiges et sensation de souffle coupé - accentués par la panique liée à la crise très stressante du coronavirus. Mais le jeune trentenaire est "à peu près sûr que la vraie 'maladie' dont [il] souffre, c'est avant tout la sédentarité". Il a pris la décision de raccourcir ses semaines en posant un jour de congé régulièrement, car "cinq jours dans un espace confiné c'est beaucoup trop long".
Agathe, elle, ressent surtout les conséquences psychiques du travail à la maison. Pour la jeune femme qui est dans le secteur de la protection de l'enfance à Paris, télétravail rime depuis le 17 mars avec "impréparation", "envahissement", "indisponibilité psychique" ou encore "prise d'otage". "Finalement, résume Agathe, ce qui découle de cette situation, c’est un grand sentiment d’injustice. Je suis privée de toutes mes libertés, sauf de celle de travailler. Je suis à la fois contrainte dans l’utilisation de mon temps libre tout en devant faire preuve d’une disponibilité et d’une réactivité totale dans mon travail. Cette double injonction montre bien le paradoxe du télétravail en situation de crise sanitaire : continuer comme si de rien n’était alors qu’il n’en est rien."
"Les risques ne se posent plus au travail, mais à la maison"
Selon une étude menée par Opinionway, 44% des salariés en télétravail se disent en détresse psychologique. Cette détresse psychique mais aussi physique des télétravailleurs peut trouver une réponse auprès des ergonomes, qui s'occupent "d'analyser l'être humain au travail", comme Benoît Langlois. En temps normal, il officie pour le ministère de l'Économie et des Finances. Avec la crise sanitaire, il a dû adapter son métier : "Quand on a vu la détresse de chacun, on a voulu nous aussi être solidaires". Une semaine après le début du confinement, naît le collectif des Ergonomes solidaires. Une centaine d'ergonomes mettent en place un site internet, un numéro de téléphone et un mail pour un accompagnement gratuit des travailleurs. L'initiative vise aussi à faire découvrir ce métier d'ergonome encore méconnu alors qu'ils sont environ 3 500 en France. "On sait qu'on peut être utiles mais les gens nous connaissent peu", regrette Benoît Langlois, en charge de la communication au sein des Ergonomes solidaires.
Un collectif bénévole "Ergonomes Solidaires" met en place "un numéro d'appel gratuit pour répondre aux questions des salariés, managers, chefs d’entreprise et indépendant autour du travail et son organisation": https://t.co/k4Bp1zOSkO
— Henri BASTOS (@hbastos75) April 8, 2020
"Cetté période ne renforce pas les risques, elle les déplace", insiste l'ergonome. "Les risques physiques ou psycho-sociaux font partie du travail quotidien", explique-t-il. "En temps normal, employeurs et employés en sont conscients, ce qui change en ce moment c'est que ces risques se posent non plus au travail mais à la maison. La transition a été très brutale pour la plupart des Français, nous n'étions pas prêts." Et l'ergonome de conclure : "C'est pourquoi les modalités ne sont pas du tout les mêmes pour les travailleurs à distance confinés et les télétravailleurs habituels,. Les premiers ne l'ont pas choisi."
Il y a deux profils de néo-télétravailleurs pour Benoît Langlois : ceux qui ont eu une surcharge de travail et ceux qui ont vu leur activité diminuer. "Dans les deux cas, cela peut être source de mal-être", indique-t-il. Isolement brutal, mauvais équipement, enjeux économiques, doutes, sont autant de générateurs de risques.
Des réponses au "cas par cas"
La plateforme s'adresse à tous les acteurs du monde du travail, mais Benoît Langlois en différencie deux types. Il y a d'abord les individuels, qui appellent pour des problèmes très physiques, comme des douleurs au dos ou aux yeux. Ou cet indépendant qui se plaint de ne plus arriver à s'organiser comme avant. Avec le confinement il a perdu toute motivation. L'autre type, ce sont les managers qui ont une équipe sous leur responsabilité. Eux expriment leur difficulté à faire travailler les gens ensemble et à distance, à organiser les tâches en prenant en compte leurs objectifs et les situations particulières de chacun. C'est le côté qualitatif de la démarche des Ergonomes solidaires qui est mis en avant. Benoît Langlois souligne que "les appels durent entre 30 et 40 minutes".
Ritualiser ses journées est important pour garder un rythme, un garde-fou pour ne pas empiéter sur la vie personnelle. Car le travail confiné, cela reste du travail.
Benoît Langlois, ergonomeà franceinfo
"Nous voulons faire verbaliser les gens, détaille l'ergonome, leur donner des conseils. Et si des sujets sont plus épineux, nous en débattons entre nous pour donner la meilleure réponse." La réponse des spécialistes se fait "cas par cas". Pour Benoît Langlois, c'est la situation des télétravailleurs confinés qui est la plus simple à cerner. Il liste certains conseils qu'il a pu prodiguer : "Tenter de reproduire un aménagement proche de celui de son bureau ; délimiter visuellement son espace de travail ; recréer des moments de convivialité avec ses collègues, comme une 'télé-pause-café' par exemple ; fermer toutes ses applications professionnelles une fois la journée terminée ; gérer son temps ; séparer sa vie quotidienne et sa vie professionnelle ; être tolérant envers soi-même et la situation." Et Benoît Langlois remarque que les demandes portent aussi bien sur la situation actuelle, en plein confinement, que sur le futur, le déconfinement qui inquiète tout autant.
"Pour l'après-confinement, c'est plus compliqué"
"On accompagne aujourd'hui pendant le confinement, mais aussi vers demain et le déconfinement", complète Laurence Icard, une consœur elle aussi membre du collectif. "Des chefs d'entreprises ont appelé pour nous soumettre leur plan de reprise", révèle-t-elle. Il y a aussi cette responsable de crèches, évoquée par Benoît Langlois, qui s'inquiète de voir son activité bientôt relancée et de la qualité de vie au travail. Elle s'intrerroge aussi sur le retour de ses équipes coupées de leurs activités depuis longtemps et se demande comment elle peut anticiper tout cela.
"Pour l'après-confinement, c'est plus compliqué, admet Benoît Langlois, on aide à se projeter à l'aide de facteurs connus ou qu'on peut anticiper, la disponibilité de gel hydroalcoolique par exemple". L'ergonome parle d'un "effort commun", des employeurs, qui doivent veiller aux meilleurs conditions pour la poursuite de leur activité, et des employés, appelés à continuer à travailler du mieux possible. D'autant qu'Édouard Philippe a prévenu : il va falloir "que le télétravail se poursuive dans toute la mesure du possible" après le 11 mai.
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