Coronavirus : pourquoi la situation en Amérique latine, nouvel épicentre de la pandémie, est préoccupante
Brésil, Chili, Colombie, Venezuela... De nombreux pays reçoivent de plein fouet la vague épidémique de Covid-19 alors que les systèmes de soins n'ont pas toujours les capacités pour gérer le nombre de cas et qu'une crise sociale couve par-delà la menace sanitaire.
Des tombes de fortune continuent d'être creusées dans l'Etat brésilien de l'Amazonas. A la terre ocre de Manaus se mêlent des larmes de plus en plus nombreuses. L'Amérique latine est devenue le nouvel épicentre de la pandémie de coronavirus, a annoncé l'Organisation mondiale de la santé vendredi 22 mai. Le bilan y dépasse désormais celui des 40 000 morts (avec les Caraïbes) depuis dimanche, selon un comptage réalisé par l'AFP.
"Nous voyons le nombre de cas augmenter dans de nombreux pays sud-américains (...) mais clairement le plus affecté à ce stade est le Brésil", a déclaré Michael Ryan, responsable des situations d'urgence de l'OMS. Le géant latino-américain a en effet bondi en tête du classement des pays les plus touchés réalisé par l'université Johns Hopkins, et se place en deuxième position, derrière les Etats Unis, en termes de cas avérés. Concernant le nombre de morts liées au virus Sars-CoV-2, le pays se positionne au sixième rang mondial, juste derrière la France et l'Espagne, avec 23 474 décès recensés au mardi 26 mai.
Alors que l'Europe, qui dénombre 173 000 personnes tuées par le coronavirus, poursuit avec prudence son retour à la normale, les pays latino-américains sont eux de plus en plus touchés par l'épidémie.
Parce que le nombre de victimes ne cesse d'augmenter
L'organisation panaméricaine de santé (Paho), a rapporté un premier cas de contamination au Covid-19 en Amérique du Sud, le 26 février 2020, au Brésil. Soit un mois après l'enregistrement des premiers cas en Europe. Le continent sud-américain, moins connecté au reste du monde que les pays européens, apparaît relativement épargné au moment où le Vieux Continent ferme ses frontières. Mais quelques semaines plus tard, le Pérou décrète l'état d'urgence (16 mars), suivi le lendemain par le Venezuela qui impose un confinement obligatoire. Quelques jours plus tard, la Bolivie et la Colombie font de même.
Le Brésil se fracture : le président Jair Bolsonaro qualifie le Covid-19 de "petite grippe" et refuse d'instaurer un confinement. Certains gouverneurs décident toutefois de placer leur Etat sous cloche. C'est le cas à São Paulo. Partout en Amérique latine, un mot d'ordre sonne pourtant : "Fica em casa" côté lusophone et "Quedate en casa" pour sa traduction espagnole. Entendez "Restez à la maison".
Les mesures de confinement se multiplient en Amérique latine, où la quasi-totalité des frontières terrestres sont déjà fermées, avec l'espoir de contenir la propagation de l'épidémie de #coronavirus.https://t.co/C5LgYD1Z1f
— TV5MONDE Info (@TV5MONDEINFO) March 22, 2020
Le nombre de personnes contaminées est largement sous-estimé préviennent les scientifiques : le Brésil "teste 20 fois moins que les Etats-Unis", assure le médecin Miguel Nicolelis dans les colonnes du Time. Les projections sont préoccupantes : le pays a le taux de transmission du virus le plus élevé du monde avec 2,8 personnes infectées par chaque malade. Un taux qui pourrait induire un nombre conséquent de décès : plus de 125 000 d'ici début août estime l'université de Washington à partir d'une modélisation. Le Chili et le Pérou seraient également durement touchés avec plus 11 000 et 19 000 morts à attendre pour début août, si l'épidémie n'est pas endiguée d'ici là.
Parce que les difficultés économiques sont majeures
Un rapport de la Commission économique pour l'Amérique latine et les Caraïbes (Cepal) et de l'Organisation internationale du travail (OIT) estime que la contraction de l'économie de la région sera cette année de 5,3%, la pire depuis 1930. La pandémie devrait pousser 11,5 millions de personnes au chômage en Amérique latine en 2020, selon ce rapport publié jeudi à Santiago au Chili.
Préserver l'économie quitte à sacrifier des vies ou bien accepter de voir l'économie s'effondrer ? Face à ce dilemme, "le gouvernement chilien a relâché complètement le confinement pour relancer les activités économiques", explique Christophe Ventura, directeur de recherche à l'Iris (Institut de recherches internationales et stratégiques), à Franceinfo. "C'est un gouvernement qui d'ailleurs, un peu à l'instar de Jair Bolsonaro, considère que l'économie prime finalement sur tout autre chose."
#ElHambreNoTieneCuarentena | Así se vieron las calles de veredas en Bello, Antioquia. Habitantes salieron a manifestarse contra el olvido estatal y la negligencia del gobierno para darles garantías de permanecer en cuarentena en condiciones dignas. pic.twitter.com/bzgkw2ANqy
— Colombia Informa (@Col_Informa) April 23, 2020
"La faim n'a pas de quarantaine." A travers le continent, une préoccupation monte : le manque de vivres. En l'absence de véritables filets sociaux, de nombreuses familles craignent de mourir de faim et non pas du Covid-19. L'économie informelle est très développée en Amérique latine et "confinement" rime pour beaucoup avec perte des revenus. De la profusion des chiffons rouges de la faim noués aux fenêtres en Colombie aux files d'attentes de la soupe populaire en Argentine illustrent cette menace grandissante. Impossible de respecter le confinement dans ces conditions. Partout, une colère sociale monte et explose, notamment à Santiago, au Chili.
Parce qu'une épidémie simultanée de dengue sévit
La crise sanitaire est aggravée par les fractures socio-économiques du continent, comme le difficile accès aux soins ou encore des systèmes de santé défaillants. Or l'Organisation panaméricaine de santé (OPS) a alerté fin avril sur une recrudescence de dengue, une infection virale transmise par les moustiques. En 2019, l'OPS avait comptabilisé 3,1 millions de cas et 1 534 morts.
Les systèmes sociaux et sanitaires sont très défectueux et n'ont pas les moyens d'absorber le choc imposé par la pandémie de Covid.
Christophe Venturaà franceinfo
"C'est la pire crise humaine et sanitaire à laquelle nous ayons été confrontés", prévenait la secrétaire exécutive des Nations unies Alicia Bárcena dans un billet publié fin mars sur le site de la Cepal. Une crise bien trop importante pour les systèmes de santé en place : au Chili, où le pays a connu lundi 25 mai, 4 895 nouvelles infections au Covid-19 en 24 heures, le président Sebastian Piñera a jugé que le système de santé du pays était saturé et "très proche de la limite".
Même situation au Pérou : "L'impossibilité de se faire soigner dans les services de santé de Lima est imminente", met en garde le bureau du défenseur du peuple. Les hôpitaux de la capitale, Lima, sont pour la plupart au bord de la rupture : "Les établissements de santé manquent d'équipements de biosécurité pour le personnel, de lits en réanimation, de respirateurs, d'oxygène, de tests, entre autres dispositifs et matériels médicaux", précise l'institution de ce pays de 32 millions d'habitants qui dénombre, au 26 mai, 123 979 cas avérés de contamination au Covid-19.
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