"Il ne me reconnaissait plus avec le masque" : la crise du Covid-19 bouleverse le quotidien des services pédopsychiatriques
Privés de liens sociaux et de sorties, la santé mentale des adolescents s'est fortement détériorée depuis le début de la crise du Covid-19. Les hôpitaux pédopsychiatriques ont vu bondir les demandes d'admissions.
"Je m'entends très mal avec ma mère. On ne se comprend pas. Il y a beaucoup d'enguelades. Pendant le confinement je suis allée à l'hôpital à cause de mutilations suite à une dispute avec elle." Camille* a 15 ans et cette adolescente a déjà fait plusieurs tentatives de suicide. Harcelée quand elle était petite, elle a très mal vécu son entrée au lycée, et le confinement au printemps dernier a été pour elle le coup de grâce.
Le gouvernement envisage de décréter un nouveau reconfinement. Mais avant de prendre sa décision, l'exécutif évalue toutes les conséquences, quelles soient financières, sociales ou psychologiques. Car la crise sanitaire a fragilisé la santé mentale des français. Les urgences pédopsychiatriques sont dépassées et l'hôpital Robert Debré à Paris a vu les demandes d'admission bondir de 20%. La situation est semblable dans un autre hôpital de la capitale, la Pitié-Salpêtrière, où se trouve l'une des plus grandes unités de pédopsychiatrie de France.
"On nous imposait beaucoup de choses, et je n'ai pas pu... J'ai craqué"
Pour Camille, le séjour en service psychiatrique touche bientôt sa fin, après trois mois d'hospitalisation. "Aujourd'hui ça va mieux avec ma mère, explique-t-elle. J'ai fait de gros efforts pour essayer de la comprendre, parce que je pense que je n'ai pas non plus un caractère facile." D'autres profils similaires sont pris en charge par l'hôpital. Au sein de l'unité Séguin, 15 adolescents âgés de 15 à 18 ans sont accueillis. Dans la salle commune, Chloé* discute avec ses amies : "J'ai fait une tentative de suicide dans mon internat, parce que je ne me sentais vraiment pas bien. J'ai eu du mal à me faire des amis. Mais ma tentative de suicide ce n'est pas seulement parce que je me sentais seule, c'était aussi le cadre scolaire très strict. On nous imposait beaucoup de choses, et je n'ai pas pu... J'ai craqué." Si l'adolescente a essayé de mettre fin à ses jours, c'est aussi à cause des confinements et du couvre-feu. Elle a perdu ses soupapes de décompression : les sorties, ses amis.
Au sein de l'unité pédopsychiatrique de la Pitié-Salpêtrière, les jeunes retrouvent de l'écoute, des soins et même l'école. Le centre scolaire de l'hôpital accueille tous les enfants, par petits groupes, avec des professeurs spécialement formés aux troubles de santé mentale. Ainsi, quand une crise éclate, les enseignants et le personnel savent comment réagir. Nina Pinard est infirmière dans le service : "Les crises, c'est assez quotidien ici. Dans ces moments, on agit vraiment au cas par cas. On peut isoler l'enfant pour le protéger et protéger aussi les autres. On peut également sortir avec lui pour qu'il se défoule, ou sinon on lui propose un punching-ball et des gants de boxe pour qu'il puisse taper dessus et extérioriser sa peine ou sa rage."
Un nouveau type de patients depuis le début de la crise sanitaire
Les contraintes liées à la crise du Covid-19 et aux gestes barrières ont considérablement compliqué la tâche du personnel. Difficile, par exemple, de porter un masque face à certains patients comme les autistes. L'orthophoniste du service, Chloé Neuillet s'en est aperçue avec un petit garçon de 6 ans : "Quand je l'ai retrouvé en mai, il ne me regardait plus, il n'y avait plus d'échange. Je pense qu'il n'arrivait plus à me reconnaître à travers le masque. Il a fallu du temps pour qu'il l'accepte."
D'autant que le service de pédopsychiatrie de la Pitié-Salpêtrière a vu arriver un nouveau type de patients avec la crise sanitaire. Des jeunes sans aucun antécédent. Pour la pédopsychiatre Isabelle Millet, ils n'auraient pas forcément craqué sans les confinements et les restrictions :
Il y a un réel effet de cette crise sanitaire avec un niveau de stress global qui augmente. Il n'y aurait pas forcément eu ces décompensations si les adolescents avaient pu aller à l'école, sortir, voir leurs amis et avoir des interactions avec le monde extérieur.
Isabelle Millet, pédopsychiatre
Depuis près d'un an, la demande en soins psychiatrique est forte. A l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière, 20 jeunes patients sont sur liste d'attente.
* Les prénoms signalés par un astérisque ont été modifiés.
Si vous avez besoin d'aide, si vous êtes inquiet ou si vous êtes confronté au suicide d'un membre de votre entourage, il existe des services d'écoute anonymes. La ligne Suicide écoute est joignable 24h/24 et 7j/7 au 01 45 39 40 00. D'autres informations sont également disponibles sur le site du ministère des Solidarités et de la Santé.
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