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"Ce sera encore plus propice à l'introspection": en pleine épidémie de coronavirus, les musulmans s'apprêtent à passer un ramadan confiné

En raison des mesures de confinement mises en place pour enrayer la propagation du Covid-19, les rassemblements sont interdits et les mosquées, fermées. Les croyants s'apprêtent à célébrer un mois de jeûne sans possibilité de retrouvailles.

Article rédigé par franceinfo
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Une personne lit le Coran à la mosquée Ennour du Havre (Seine-Maritime), le 18 mai 2018. (CHARLY TRIBALLEAU / AFP)

"Ça va vraiment être une autre ambiance." Comme des milliers de musulmans en France, Laura s'apprête à fêter un mois de ramadan très particulier en raison de l'épidémie de coronavirus et du confinement. La date exacte du début du mois de jeûne sera déterminée jeudi 23 avril à 18 heures par le Conseil français du culte musulman (CFCM), lors de la Nuit du doute à la grande mosquée de Paris. Durant cette période, les croyants sont invités à s'abstenir de boire, de manger et d'avoir des relations sexuelles de l'aube jusqu'au coucher du soleil. 

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"Contrairement aux années précédentes, je ne pourrai pas recevoir mes oncles, mes tantes ou mes amis, explique cette étudiante de 25 ans, confinée avec sa belle-famille à Savigny-Sur Orge (Essonne). C'est un peu triste, car normalement c'est un mois consacré au collectif, où on fait davantage attention aux autres... Cette année, puisque la mosquée est fermée, on va essayer de retrouver ce rythme à la maison."

Des rites modifiés avec la fermeture des mosquées

Confinement oblige, les rites du ramadan – l'un des cinq piliers de l'islam– vont être chamboulés. Plus aucune prière nocturne du tarawih ne pourra être suivie à la mosquée. Les quelque 300 "récitateurs" du Coran, qui viennent habituellement de l'Algérie, du Maroc ou de la Turquie pour suppléer les imams dans cette tâche ne se déplaceront pas. "On n'est pas obligé d'aller à la mosquée. Les gens peuvent prier chez eux", rappelle Tareq Oubrou, imam de Bordeaux, à l'AFP. 

Pour autant, certains croyants appréhendent de devoir suivre ces prières seuls. "Je suis un peu dégoûtée, je ne sais pas lire comme l'imam, je vais devoir me débrouiller toute seule avec le Coran, ça va perdre un peu de son charme", sourit Sonia, consultante de 26 ans originaire de Bobigny (Seine-Saint-Denis). Khoshal*, étudiant infirmier à l'Université Descartes à Paris, reste positif. "Le but n'est pas de finir le Coran en un mois, mais de le vivre", explique-t-il.

Je ne connais pas autant le Coran que l'imam, donc je ferai les prières en fonction de ce que je sais. L'important, c'est la présence, de passer un moment intime avec Dieu et de réciter sa parole.

Khoshal

à franceinfo

Interrogé par Saphir News, Azzedine Gaci, recteur de la mosquée de Villeurbanne et porte-parole du Conseil théologique des imams du Rhône (CTIR), rassure :  le croyant "peut lire une ou plusieurs sourates (chapitres) du Coran. Il peut se contenter de lire et de répéter les petites sourates s'il n'en connaît pas beaucoup."

Pour d'autres, c'est l'aspect collectif de la prière qui va le plus manquer. "Aller à la mosquée nous lie aux autres, nous permet de retrouver l'essence même de la spiritualité, explique Assia*, 27 ans, habitante de Garges-lès-Gonesses (Val-d'Oise). Quand on prie, on fait les mouvements en même temps, on communie, on a les mêmes rythmes... Il y a une notion de partage qui manquera cette année."

"On va alléger nos repas"

La rupture quotidienne du jeûne lors du repas de l'iftar se fera également chez soi. "Nous déconseillons fortement aux familles de se regrouper" en dehors du foyer, a prévenu Mohammed Moussaoui, président du Conseil français du culte musulman (CFCM). Certaines familles, qui anticipent traditionnellement les repas, ont donc changé leurs habitudes. "Pour nous, pas de sucré, des fruits, de la salade, pas beaucoup de viande, on va alléger nos repas", explique Rachida, 66 ans, retraitée et mère de trois enfants à Bobigny (Seine-Saint-Denis).

"D'habitude, les voisines viennent chez nous pour manger ensemble, faire des gâteaux, mais là, vu qu'on ne bouge pas et qu'on ne va même pas à la mosquée, on va éviter les bricks et les pâtisseries sucrées", sourit Sonia, 26 ans, fille de Rachida. "J'ai même acheté un vélo elliptique, sinon à force de ne faire que manger et dormir, on va être trop sédentaires, c'est mauvais pour la santé."

Je ferai quelque chose de plus minimaliste. Avec le confinement, on se rend compte qu'on n'a pas besoin de faire des tonnes de trucs. Je me limiterai aux bricks, chorba (soupe) et salades.

Assia

à franceinfo

Khoshal, lui, n'a jamais particulièrement modifié son alimentation durant le ramadan. Malgré ses nombreuses heures de travail hebdomadaires auprès des malades du Covid-19, il n'appréhende pas de vivre ce jeûne inédit. "J'ai l'habitude, c'est dur les premiers jours mais ça sera un peu comme toutes les années, on s'habitue et on se rend compte au bout de quelques jours qu'on est même plus en forme", confie l'étudiant infirmier. Seul changement cette année : il préparera ses repas pour lui seul et appellera ses frères et son père par WhatsApp durant l'iftar.

Pour la dimension caritative, primordiale durant le ramadan, des associations ont déjà adapté leurs dons pour les personnes isolées et seules. Le Secours islamique France, par exemple, au lieu de ses repas offerts lors de "tables du ramadan", va mettre en place cette fois-ci des maraudes alimentaires auprès des sans-abri et des distributions de colis-repas en Seine-Saint-Denis et dans l'Essonne.

Des prières diffusées sur les réseaux sociaux

Pour permettre à tous les croyants de garder un lien malgré le confinement, des imams ont également prévu de diffuser des messages sur les réseaux sociaux, comme certains le font déjà depuis un mois. Les imams de la Grande Mosquée de Paris vont proposer sur Radio Orient, tout au long du mois, un sermon quotidien sur "divers thèmes comme la patience, la solidarité, la morale, le comportement, etc", explique son recteur, Chems-eddine Hafiz.

Certains croyants sont déjà inscrits sur des groupes de réflexion. Laura est inscrite sur plusieurs groupes sur Whatsapp et Facebook traitant du féminisme et de l'islam, des traditions, de l'écologie, du rapport au corps et de la spiritualité islamique... "Cela permet de reproduire des moments de convivialité et de spiritualité ensemble, on se contacte par téléphone ou visioconférence", explique-t-elle.

Ce ramadan va me permettre de faire une vraie pause spirituelle et sociétale, de mener à bout une réflexion sur ce qui est en train de nous arriver, notre avenir et mon rôle dans la société.

Laura, étudiante

à franceinfo

Assia échange aussi via des groupes réunissant des femmes musulmanes depuis le début du confinement. "On fait des séances sur différents thèmes : l'importance de nos pensées, l'amour de l'autre, Dieu, et récemment, comment aborder le ramadan en confinement."

Un meilleur contexte pour se recentrer

Se recentrer sur soi, limiter les activités extérieures... Pour certains, le confinement est finalement un moyen de vivre le ramadan encore plus intensément. "Ça sera un mois encore plus propice à l'introspection, explique Yassine, étudiant de 26 ans à Lille (Nord). Ce que j'appréhende le plus, c'est le temps qui va passer très lentement. Etre confiné, jeûner et ne même pas pouvoir sortir le soir, ça va avoir un impact sur le corps." 

Le confinement a déjà amorcé une période de réflexion. "Le fait de rester à la maison m'a déjà conduite à me poser des questions sur ma vie, mon état de santé mentale, mes relations. Ce dépouillement du superflux a finalement beaucoup à voir avec le ramadan", reprend Assia. 

Lors du dernier ramadan, je n'avais pas du tout ce temps, je revenais du travail, je préparais le dîner, on partageait, mais j'avais moins le temps de me recueillir.

Assia

à franceinfo

Les mosquées pourront-elles rouvrir avant la fin du ramadan ? "On part sur l'hypothèse d'un ramadan confiné tout au long du mois, les rassemblements (dans les lieux de culte) seront probablement encore interdits après le 11 mai", estime Mohammed Moussaoui, président du CFCM. Quant aux croyants malades du Covid-19, l'Organisation mondiale de la santé estime qu'elles "devraient envisager de ne pas le faire, suivant les dérogations prévues par la religion, en concertation avec leur médecin, comme pour toute autre maladie".

* Les prénoms ont été modifiés à la demande des personnes interrogées.

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