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Enquête franceinfo "Peut-on se passer de leur avis ?" : la délicate question de la contraception des femmes handicapées mentales

Si la stérilisation est strictement encadrée par la loi, le flou persiste sur le consentement de ces patientes pour toutes les autres méthodes contraceptives.

Article rédigé par franceinfo - Louise Hemmerlé
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Publié
Temps de lecture : 11min
Dans les institutions qui accueillent des personnes handicapées, le personnel de santé préfère généralement que les femmes sous contraceptifs prennent des pilules sans interruption, pour faciliter le suivi de la prise. (Photo d'illustration)  (GETTY IMAGES)

Pour la quasi totalité des femmes, la contraception dépend avant tout de leur bon vouloir. Veulent-elles un enfant ? Préfèrent-elles la pilule ou le stérilet ? Pour les femmes handicapées mentales, cette liberté de choix est entravée par leurs déficiences. Faute de cadre légal strict, les professionnels de santé jonglent au cas par cas avec le consentement des patientes et les craintes de grossesse de leurs proches. Quelles sont les règles permettant de mettre en place une contraception pour ces femmes ? Et comment obtenir un consentement libre et éclairé de leur part ? Franceinfo s'est penché sur ce sujet sensible, parfois douloureux.

"Ma fille n'aura jamais d'enfant"

Il y a une dizaine d'années, Sandrine Province a décidé pour sa fille qu'il valait mieux qu'elle commence à prendre une pilule contraceptive. À 17 ans, Léa, handicapée mentale, commençait à s'intéresser aux garçons. "Intellectuellement, elle n'avait pas du tout les capacités de comprendre d'elle même les enjeux de la procréation, c'est moi en tant que maman qui ait pris cette initiative, pour la protéger, raconte-t-elle. Avec mon médecin traitant, on lui a expliqué que c'était pour faire attention à ce qu'elle n'ait pas de bébé, parce qu'elle ne pourrait pas s'en occuper." Aujourd'hui, Léa a 27 ans et un petit ami. Régulièrement, elle exprime son désir de maternité. "Elle me dit 'Maman, quand je serai plus grande, j'aurai un bébé'", raconte Sandrine par téléphone, la voix serrée.

C'est hors de question que je la laisse sans protection. C'est inenvisageable qu'elle se retrouve enceinte.

Sandrine Province

à franceinfo

Léa n'est pas autonome et a les capacités intellectuelles d'une enfant. "Je ne veux pas trop la brusquer ou lui faire de mal, témoigne Sandrine. Mais je lui explique que pour elle, ça serait trop difficile, je la mets face à ses responsabilités, et elle en prend conscience." Des aides à la parentalité existent, pourtant, mais dans le cas où les déficiences intellectuelles sont trop grandes, la garde de l'enfant est retirée. "On lui a donné une grande place en tant que tante. Ça pallie un petit peu. Pour l'instant, cela lui est un peu passé", se rassure Sandrine.

Un passé de stérilisations forcées 

La situation de Sandrine et de Léa révèle la complexité de la question. Mais pour le chercheur Alain Giami, qui a participé à l'ouvrage "Stériliser le handicap mental", le fait d'imposer une contraception à une personne handicapée mentale reste dérangeant. "Avant, on disait que les troubles mentaux étaient héréditaires, avec la théorie de la dégénérescence de la race issue du XIXe siècle. Maintenant, on avance que les personnes handicapées mentales sont incapables d'élever des enfants, que ce serait un fardeau pour la famille, pour la société", souligne le directeur de recherche à l'Inserm, y voyant une continuité : "Les conséquences sont les mêmes, on les empêche d'avoir des enfants."

L'analyse d'Alain Giami est teintée par l'amer souvenir des stérilisations forcées de personnes handicapées mentales en France. En 1998, l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) a confirmé dans un rapport ce que la rumeur disait depuis longtemps : jusqu'à la fin des années 1990, de nombreuses femmes handicapées mentales ont été stérilisées à leur insu pour leur éviter de tomber enceintes, alors même que les stérilisations contraceptives étaient illégales. À l'époque, l'Igas a conclu à environ 500 cas de ligatures des trompes par an, sur la base de données déclaratives. En raison de la clandestinité du phénomène, il se peut donc que le nombre réel de personnes opérées ait été bien supérieur.

Depuis la légalisation, en 2001, de cette pratique contraceptive, la stérilisation des personnes handicapées mentales est désormais autorisée, mais strictement encadrée. L'opération ne peut avoir lieu que si la personne est majeure, n'exprime pas de refus d'être stérilisée et s'il est impossible de mettre en œuvre une autre méthode contraceptive. Un comité d'éthique spécialement constitué doit également approuver cette opération.

Avant, il suffisait que le moindre gynéco donne son accord, les parents sortaient leur fille de son institution et puis quand ils rentraient, ils lui disaient qu'elle avait eu une opération de l'appendicite.

Monique Martinet, présidente de l'association AIR

à franceinfo

"Depuis que la législation a encadré la stérilisation, cela a fait sauter les abus. C'est même devenu très compliqué, de l'ordre de l'exceptionnel", explique Monique Martinet, qui organise des formations à la vie affective et sexuelle des personnes handicapées.

Les lois manquent

D'autres méthodes de contraception, réversibles, sont aujourd'hui préférées pour les personnes handicapées mentales. Mais cela signifie-t-il que leur consentement est moins important ? "D'un point de vue éthique, le problème est le même, que la contraception soit réversible ou pas, estime Alain Giami. Quand on va donner un traitement qui va atteindre les droits procréatifs d'une personne, est-ce qu'on a le droit de se passer de son avis ?"

Sur ce point, l'Inspection générale des affaires sociales répond, dans son rapport de 1998, qu'"il faut pouvoir imposer momentanément une contraception à une personne." Sauf qu'il ne s'agit que d'une recommendation et aucun texte de loi n'encadre l'accès à des méthodes contraceptives (pilule, stérilet, implant...) pour les personnes handicapées mentales. Alors, en jonglant avec les notions de liberté et de sécurité de chacune de leurs résidentes, dont il est parfois compliqué de recueillir le consentement, les professionnels tâtonnent.

Si les déficiences mentales sont graves, les personnes handicapées et majeures peuvent être placées sous tutelle ou sous curatelle. Mais cela ne défausse pas le médecin de l'obligation de rechercher le consentement de son patient. Le tuteur ou le curateur n'a en fait pas son mot à dire pour la majorité des décisions médicales de la personne sous sa protection. Car depuis la réforme de la protection juridique des majeurs en 2007, la personne protégée doit pouvoir prendre seule les décisions relatives à sa santé, dans la mesure où son état le permet.

Résultat, le tuteur ne doit intervenir et donner son consentement que pour les actes médicaux portant atteinte à l'intégrité physique de la personne, comme les amputations. "Curieusement, on doit donner notre accord pour l'extraction des dents de sagesse", observe Sabrina Kierzunska, directrice d'Atinord, un service de tuteurs et curateurs de majeurs protégés. Mais pas pour la contraception.  

De difficiles prises de décision

Se passer d'un tuteur, en pleine possession de ses moyens, pour mettre en place une contraception chez ces patients, gêne certains professionnels. "On ne se sent pas habilités pour prendre ce type de décision", explique Gilles Muller, président de l'AFAEI, une association qui vient en aide aux personnes handicapées 
mentales et à leurs familles, et qui gère 18 établissements en Lorraine"On fait systématiquement la demande au tuteur, et lorsque la personne n'est pas sous tutelle, on met en place la contraception avec l'accord préalable des parents", affirme-t-il. Quitte à ne pas respecter le désir de la personne concernée. "Une éducatrice a voulu emmener une jeune femme en gynécologie car elle voulait la pilule, mais le père était contre, rapporte ainsi Monique Martinet. Il est intervenu auprès du chef de l'établissement, qui a fini par se ranger derrière lui."

Pour éviter d'éventuelles pressions, certains préfèrent n'impliquer ni les tuteurs, ni les proches. "Si la fille me dit qu'elle veut prendre la pilule, il n'y a pas de raison d'informer les parents", raisonne Dominique Lutringer, infirmière dans un institut médico-éducatif à Thann (Haut-Rhin), qui accueille des jeunes handicapés mentaux jusqu'à l'âge de 20 ans. Si les professionnels avisent au cas par cas, c'est qu'évaluer les capacités de consentement d'une personne handicapée mentale s'avère compliqué.

Certaines jeunes filles ont été mises sous pilule sans qu'elles aient vraiment compris ce qu'il se passait.

Dominique Lutringer, infirmière

à franceinfo

"C'est compliqué pour les parents"

Dans son établissement, l'infirmière tente d'expliquer les enjeux de la contraception aux jeunes afin qu'ils puissent se former un avis sur leur propre choix. Elle a mis en place des ateliers d'éducation sexuelle. "S'il faut que je prenne deux heures pour expliquer quelque chose, je vais prendre deux heures. Et on aborde toutes les semaines la vie affective intime et sexuelle", raconte-t-elle. L'objectif : adapter les explications aux capacités de chacun. "On a une psychologue qui nous aide à évaluer le niveau de compréhension de chaque personne, et en fonction de ça on adapte notre langage, indique Mélanie Langen, cheffe de service dans un foyer à Malmerspach (Haut-Rhin). On essaye le plus possible de travailler avec de la communication non verbale, des images, des objets."

On a des méthodes pédagogiques très simplifiées, des documents qui pourraient être utilisés dans les petites sections de maternelle.

Gilles Muller

franceinfo

Parfois, ces ateliers rencontrent des réticences de la part des proches. "On fait s'entraîner [les jeunes] à mettre des préservatifs sur des bouts de bois, explique Dominique Lutringer. Mais quand on leur dit de s'entraîner chez eux à la maison, c'est compliqué pour les parents." "Certains ne veulent pas en entendre parler en disant que c'est une complication supplémentaire", confirme Camille Djian, psychologue dans un foyer à Saint-Avold (Moselle). "Ils craignent que les professionnels mettent dans la tête de leurs enfants des idées qu'ils n'auraient pas de base."

Si la réflexion des parents sur les droits sexuels et procréatifs de leurs enfants avance douloureusement, les professionnels, eux, ne se voient plus aller contre la volonté des premiers concernés, lorsqu'ils peuvent l'exprimer. Dans l'établissement de Mélanie Langen, "être sous contraceptif faisait partie de nos conditions il y a 10, 15 ans". "La contraception est vue comme un moyen de protéger ou comme un moyen pratique, analyse la cheffe de service, mais c'est avant tout un droit, dont on peut se saisir ou pas."

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