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Thierry Marx, Ghislaine Arabian, Michel Sarran... Voici ce que contiennent vraiment les plats préparés par des grands chefs

Article rédigé par Thomas Baïetto
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10 min
Des produits vendus dans la grande distribution et estampillés Michel Troisgros, Ghislaine Arabian, Jean Imbert, Joël Robuchon, Thierry Marx et Thibault Sombardier. (FRANCEINFO)

Nous avons analysé, avec l'aide de l'association de consommateurs Foodwatch, la composition des plats de chefs vendus en supermarché ou dans le train.

Faut-il faire confiance aux plats préparés des grands chefs cuisiniers ? Sont-ils de meilleure qualité que les autres produits industriels vendus dans la grande distribution ? Pour répondre à cette question, nous avons examiné, avec l'aide de l'association de consommateurs Foodwatch, une soixantaine de produits qui se réclament, en rayon ou au bar du TGV, de l'image d'un cuisinier français. Qu'il s'agisse de Ghislaine Arabian, Jean Imbert, Thierry Marx, Joël Robuchon, Michel Sarran, Thibault Sombardier, Michel Troisgros ou Marc Veyrat, le résultat est mitigé.

>> ENQUETE FRANCEINFO. Additifs controversés, arômes obscurs, emballages trompeurs... Pouvez-vous faire confiance aux plats préparés des grands chefs ?

 "Quand on s'intéresse de près à la composition de certains des produits auxquels les chefs prêtent leur image, on s'aperçoit que la recette est loin d'être ragoûtante, commente Ingrid Kragl, directrice de l'information de l'ONG. Le partenariat d'un chef avec une marque n'est pas nécessairement synonyme de confiance aveugle ou de qualité."

>> VIDEO. Des produits parfois "très proches de la malbouffe" : une association de consommateurs s'étonne de la composition des plats de grands chefs

Découvrez dans ces tableaux les résultats complets de notre enquête, chef par chef. Pour chaque produit analysé, vous y retrouverez son Nutri-Score, qui permet d'évaluer sa qualité nutritionnelle (de A, les produits les plus sains, à E), ainsi que les éventuels additifs controversés présents dans la recette.

Ghislaine Arabian

Ce qu'elle propose. Doublement étoilée par le passé au guide Michelin et ancienne jurée de "Top Chef", Ghislaine Arabian élabore des petits pots pour bébé, salés et sucrés, vendus sous la marque Carrefour Baby.

Ce que ses produits contiennent. La chef est la seule de notre enquête à proposer des produits sans arômes ni additifs. On relève cependant l'utilisation de sucre ajouté dans son Onctueux de semoule à la fleur d'oranger et la présence d'eau en quantité parfois plus importante que les produits mis en avant sur l'emballage.

Ces produits obtiennent de bonnes notes au Nutri-Score mais le ministère de la Santé précise qu'il n'est pas adapté aux aliments infantiles destinés aux enfants de 0 à 3 ans, il n'est donc pas recommandé de l'apposer sur les marques concernées.

Ce qu'elle répond. Jointe par téléphone, Ghislaine Arabian revendique de n'utiliser aucun additif ou conservateur. "Si on fait quelque chose, il faut le faire différemment, confie-t-elle. Sinon on ne fait que reproduire un produit qui existe déjà en mettant un peu de poudre de perlimpinpin pour que cela ait un autre goût".

Jean Imbert

Ce qu'il propose. Vainqueur de "Top Chef" en 2012, Jean Imbert propose depuis 2013 des desserts Sojasun. En ce moment, il commercialise un yaourt au soja cinq fleurs et un au thé vert.

Ce que ses produits contiennent. Dans les deux recettes, on retrouve un additif classé rouge – "à éviter le plus possible" – dans Le Nouveau Guide des additifs, d'Anne-Laure Denans (éd. Thierry Souccar, 2017) : le phosphate de calcium E341. Il contient du phosphore dont la consommation excessive "peut contribuer à l'augmentation de la mortalité cardio-vasculaire" et "pourrait favoriser le cancer". Trois des cinq fleurs vantées dans l'intitulé sont seulement présentes sous forme d'arômes.

Ce qu'il répond. Contacté par email et à son restaurant, Jean Imbert n'a pas donné suite à nos sollicitations. Président de Triballat Noyal, l'entreprise qui commercialise la marque Sojasun, Olivier Clanchin justifie la présence de l'E341 par une volonté de proposer un dessert riche en calcium. Le phosphate de calcium est celui qui "se stabilise le mieux dans le produit", poursuit-il. Mais il assure être conscient du problème : "On sait que c'est un point d'amélioration qu'on a sur le produit et sur lequel on travailleCe n'est pas un sujet pris à la légère chez nous." 

Thierry Marx

Ce qu'il propose. Juré de "Top Chef", deux étoiles au guide Michelin et chroniqueur sur franceinfo, Thierry Marx s'est associé avec Lustucru Rivoire & Carret, avec qui il propose une gamme de pâtes sèches. Le cuisinier a également noué un partenariat avec la marque Feed, qui commercialise des substituts de repas, censés apporter la dose recommandée de nutriments dont l'organisme a besoin.

Ce que ses produits contiennent. Labellisées bio, les barres et bouteilles Feed de Thierry Marx ne le sont pas à 100%, comme l'autorise la législation. On y trouve à chaque fois des ingrédients mineurs non bios, comme le lithothamne dans les barres et les algues calcaires dans les bouteilles de poudre. La bouteille fraise basilic contient de la maltodextrine, un dérivé du sucre pourtant jugé de "mauvaise qualité" par Feed sur Twitter. Ce ne sont pas des fraises fraîches qui sont utilisées pour fabriquer le produit, contraiement à ce que suggère le visuel disponible sur le site de la marque, mais des fraises lyophilisées. Le fruit, mis en avant dans le nom, ne représente que 3% des ingrédients. Enfin, les arômes naturels de ces produits ne sont pas précisés. Côté Lustucru, les pâtes contiennent 100% de semoule de blé dur. 

Ce qu'il répond. Contacté par franceinfo, Thierry Marx balaye les critiques. "Entre un mauvais sandwich sous blister fait depuis 48 heures avec des intrants chimiques et une barre, je prends une barre, voilà", assène-t-il. Le fondateur de Feed, Anthony Bourbon, défend son produit. Les ingrédients non bios ? "Ils n'existent pas en bio. On continue à les chercher pour une prochaine recette (...) Cela ne représente même pas un gramme sur l'intégralité du produit", justifie-t-il. La mise en avant de fruits frais ? "Le but du site, c'est qu'en un coup d'œil on puisse identifier la saveur. Si on mettait 80% de fraise dans la recette, ça n'apporterait pas d'équilibre. Les fruits sont là pour mettre le petit goût en plus, mais les recettes sont principalement chargées en légumineuses et céréales", argumente-t-il. La maltodextrine ? "Un mauvais choix quand on l'utilise comme source principale de glucides (...) Il faut regarder si elle arrive tout en haut ou plus bas" dans la liste des ingrédients comme dans sa bouteille –, assure-t-il. Les mauvais résultats au Nutri-Score ? "Les indicateurs partent d'une bonne initiative, mais ils sont assez limités et pas adaptés aux repas complets", estime-t-il.

Joël Robuchon

Ce qu'il propose. Associé avec Fleury Michon depuis 1987, le chef – mort le 6 août 2018 – a élaboré une gamme de plats préparés, comme son "Fameux parmentier de canard" et quelques produits du rayon charcuterie, par exemple un jambon à l'os.

Ce que ses produits contiennent. Si ces plats préparés sont sans conservateurs, on y trouve de l'huile de palme, mauvaise pour la santé comme pour l'environnement, et des nitrites de sodium (E250, cancérigène probable) dans ses produits charcutiers.

Ce qu'il répond. Après la publication de cet article, Barbara Bidan, directrice santé et alimentation durable chez Fleury Michon, a tenu à nous apporter quelques précisions. "A partir de janvier 2019, notre Fleuron de canard sera sans huile de palme", promet-elle. La recette avait été validée juste avant le décès de Joël Robuchon. Il y aura cependant toujours du nitrite de sodium, le E250. "Fleury Michon travaille beaucoup sur le sujet. Nous avons quelques solutions pour le jambon mais pas encore pour le Fleuron de canard. Nous travaillons pour le substituer", indique-t-elle. Quant aux flocons de pomme de terre, "ils garantissent la tenue de la pomme de terre quelle que soit la saison. Cela permet d'éviter les fluctuations de qualité organoleptique" (goût, texture, mâche), précise Barbara Bidan.

Michel Sarran

Ce qu'il propose. Membre du jury de "Top Chef" depuis 2015, Michel Sarran collabore depuis 2016 avec Newrest, le fournisseur du bar TGV. Doublement étoilé, le Toulousain propose cinq recettes à la carte : deux plats chauds, une salade, un sandwich et un dessert.

Ce que ses produits contiennent. Ces plats contiennent de l'huile de palme, des sucres ajoutés et des additifs classés rouge dans Le Nouveau Guide des additifs : de l'E320, un antioxydant potentiellement cancérogène chez l'homme selon l'Agence internationale de recherche contre le cancer (IARC) ; de l'E310, un antagoniste des hormones femelles et un génotoxique potentiel ou encore de l'E150d, un colorant qui génère au cours de son processus de fabrication un cancérogène possible chez l'homme, le 4-méthylimidazole.

Ce qu'il répond. Joint par téléphone, Michel Sarran insiste sur le "cahier des charges très très très compliqué" imposé par la SNCF : micro-ondes ou toaster, stockage sur de longues durées. Face à cela, "on travaille et on met vraiment la pression pour avoir la fiche d'ingrédients la plus clean possible", assure le Toulousain. Il juge que son travail a permis d'améliorer les choses et garantit que cela va continuer :"D'abord on a essayé d'améliorer la qualité gustative, maintenant on essaie de plus en plus d'améliorer le 'sourcing' au niveau des ingrédients".

Thibault Sombardier

Ce qu'il propose. Finaliste de "Top Chef" en 2014 et chef étoilé du restaurant Antoine à Paris, il s'est associé avec Lustucru Sélection pour proposer des pâtes farcies (cinq saveurs de girasoli), deux plats de pâtes à manger sur le pouce et deux riz parfumés.

Ce que ses produits contiennent. Les pâtes de Thibault Sombardier contiennent des mono et diglycérides d'acides gras (E471), un additif rouge selon Le Nouveau Guide des additifs parce que soupçonné de "favoriser les maladies auto-immunes, les allergies, les maladies inflammatoires de l'intestin" et le "syndrome métabolique". Seules pâtes à ne pas comporter d'E471, ses linguine contiennent des carraghénanes (E407), un additif "douteux" selon la même source, en raison des controverses autour de ses "effets inflammatoires, voire cancérogènes". 

Les ingrédients mis en avant sur l'emballage ne sont pas toujours les plus présents dans la recette. Les girasoli gorgonzola crémeux contiennent ainsi plus de ricotta que de gorgonzola, ses pâtes aux cèpes en persillade sont complétées avec des champignons de Paris, ses linguine poulet émincé ne contiennent pas de tranches de poulet comme sur l'emballage, mais une pâte avec du poulet, du sucre et de l'eau. Aucun produit ne mentionne l'utilisation de pommes de terre mais on en retrouve sous forme de flocons déshydratés dans la farce de toutes ses pâtes. "Cela permet de faire illusion, commente Foodwatch. Vous pensez que vous avez plus de matière en bouche, plus de fromage par exemple, mais c'est de la patate."

Ce qu'il répond. Joint par téléphone, Thibault Sombardier n'a pas voulu nous accorder un entretien. "Vous achetez les boîtes et vous regardez ce qu'il y a dedans, voilà", a-t-il tranché. Panzani, propriétaire de la marque, n'a pas non plus donné suite à nos sollicitations.

Michel Troisgros

Ce qu'il propose. Après de longues années de collaboration (1989) entre Casino et sa famille, Michel Troisgros a décidé d'arrêter ce partenariat. Mais nous avons encore retrouvé quelques produits en rayon, le temps que les stocks s'écoulent : foie gras, confiture de lait et craquant au chocolat.

Ce que ses produits contiennent. Le foie gras proposé sous la marque Casino Délices contient de l'E250, plus connu sous le nom de nitrite de sodium. Cet additif est classé cancérigène probable par l'IARC.

Ce qu'il répond. Contacté par franceinfo, Michel Troisgros n'a pas donné suite, arguant de la fin du partenariat avec Casino. Le groupe n'a pas non plus répondu à nos sollicitations.

Marc Veyrat

Ce qu'il propose. Triplement étoilé, Marc Veyrat propose sous la marque Le Jardin d'Orante, détenue par Reitzel, une gamme de cornichons, d'huiles, de condiments et de sauces pour salades.

Ce que ses produits contiennent. La plupart des produits du chef savoyard contiennent des arômes, dont l'origine synthétique ou naturelle n'est pas toujours précisée. Beaucoup présentent en faible quantité l'ingrédient – framboise, estragon, herbes de provence – mis en avant dans le visuel et le nom du produit. On trouve dans son condiment balsamique et basilic de l'E220, un additif classé orange dans Le Nouveau Guide des additifs, car sa consommation peut provoquer des réactions chez les personnes asthmatiques. Enfin, ses cornichons apéritifs présentés comme "sains" obtiennent un Nutri-Score de C, en raison des sucres et du sel ajoutés.

Ce qu'il répond. Directeur général de Reitzel France, Emmanuel Bois assure que tous les arômes utilisés dans ses produits sont naturels. "Soutenir avec un peu d'arôme naturel, c'est souvent utile et ce n'est pas néfaste pour la santé", argumente-t-il. De son côté, Marc Veyrat reconnaît qu'il faut une cuisine "sans arômes ajoutés et sans additifs", mais il renvoie une partie de la responsabilité au consommateur : "Le jus d'orange, si vous le fabriquez avec votre épouse, il dure trois-quatre jours. Pourquoi veut-on pouvoir le conserver un mois comme avec le jus en brique ? Cherchez l'erreur."

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