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Profession : reporter. Recueillir les témoignages d'une parole libérée sur l'inceste

Une parole qui se libère, après des années de silence, doit être recueillie avec soin. Quand le récepteur est une association, un juge ou un officier de police, elle se livre sans filtres. Mais quand cette parole doit être diffusée sur une antenne ou dans l'espace public, quand elle devient un témoignage, quelles règles observe le reporter devant un fait aussi grave et sensible ? 

Article rédigé par franceinfo - Eric Valmir
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
L'inceste, un sujet qui éclate au grand jour en ce début d'année 2021 avec le livre de Camille Kouchner, "La Familia grande", et avec le mouvement #metooinceste. Illustration (JERRY CHEN / GETTY IMAGES)

Le hashtag #MeTooInceste a ouvert la voie à de nombreux témoignages sur les réseaux sociaux. Les associations qui oeuvrent dans le silence, souvent dans l'indifférence depuis des années, ont trouvé un espace médiatique pour rappeler les chiffres d'une étude Ipsos/Face à l'inceste publiée en novembre dernier : 6,7 millions de personnes en France sont victimes d'un crime incestueux. 

La parole se libère, mais à quel prix ?

Reste présent le poids de la culpabilité à dénoncer son père, son oncle, son grand-père, un poids dont abusent les bourreaux, profitant de l'immaturité des enfants. Et plus tard, chez les victimes, le déchirement est marqué. D'un côté, la volonté d'en finir avec la souffrance, de se protéger, et de l'autre, ne pas voir son parent jeté en prison par un acte de dénonciation ; la peur de la honte, la peur de voir se désagréger la cellule familiale par les accusations prononcées.

Dans un reportage saisissant, la reporter de franceinfo, Sandrine Etoa, livre une série de témoignages sur cette pression psychologique : l'importance fallacieuse du secret, la confusion autour du sentiment, le brouillage des repères.

Et quand la parole se libère, elle se réfugie d'abord dans l'intimité, très souvent un proche, ou alors une association. Mais qu'il s'agisse des locaux d'une association, d'un commissariat de police, d'un bureau de juriste, les mots restent confinés entre quatre murs, et sont parfois retranscrits sur une feuille de papier ou un document Word

Être entendu dans l'espace public à travers le reportage

Accepter de parler dans le micro du reporter, c'est la conscience d'être entendu dans l'espace public. Le journaliste va diffuser la parole. Comme l'explique Sophie Parmentier, journaliste de France Inter qui a recueilli cette semaine le témoignage de Maud, il faut d'abord écouter.

Les questions ne doivent pas être intrusives dans le récit.

Sophie Parmentier, reporter à Radio France

Et puis ensuite, il y a le montage. Le fait que dans une matinale radio, les propos entendus puissent choquer l'auditeur qui n'est pas prévenu et qui écoute un flux d'information. Si les détails des agressions ne sont pas demandés par le reporter, la victime peut éprouver le besoin de les nommer. Faut-il pour autant le diffuser ?

L'arbitrage revient au journaliste 

Égrener les termes crus n'est pas indispensable pour comprendre ce qu'a subi l'enfant. Mais des situations peuvent éclairer. Dans le cas de Maud, "son grand père achetait son silence avec de l'argent", chez Juliette, son père lui parlait "d'amour débordant". La façon d'acheter ou de négocier le silence doit être dite pour informer. Ainsi décrite, ces situations peuvent être reconnues par d'autres victimes enferrées dans le silence. 

Dans le montage, l'autre responsabilité du journaliste – et ça vaut pour tous les sujets – est de ne pas trahir la parole recueillie, ni de l'édulcorer. La victime qui a mis du temps à témoigner ne doit pas le regretter pour un montage qui ne serait pas fidèle aux propos tenus. Pour cette raison, le lien entre émetteur et récepteur/diffuseur doit rester fort, même après l'enregistrement.

Doit-on mettre à l'antenne tel mot ou pas ?

Parfois, la victime a besoin d'énumérer des détails, de les dire, ne serait-ce que pour elle, mais ensuite, elle peut aussi ne pas vouloir que les dits détails soient diffusés. La conversation doit continuer alors entre le journaliste et la victime de l'inceste.

Et surtout, la priorité de la diffusion de tels témoignages est d'inciter les personnes silencieuses à ne plus l'être. C'est aussi toute la force du hashtag : #MeTooInceste

Les enfants et adolescents victimes de violences, ainsi que les témoins de tels actes, peuvent contacter le 119, un numéro de téléphone national, gratuit et anonyme. Cette plateforme d'écoute et de conseil est ouverte 24h sur 24, tous les jours. D'autres informations sont également disponibles sur le site Allo119.gouv.fr.

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