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Aux portes du canal de Suez c'est toujours le grand embouteillage

Le canal de Suez est complètement bouché depuis 48 heures maintenant par un porte-conteneurs qui a fait une fausse manoeuvre.

Article rédigé par franceinfo, Isabelle Labeyrie
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
L'Ever Given bloque toujours le canal de Suez ( 26 mars 2021). (- / AFP)

Les images impressionnantes de cette pelleteuse minuscule qui creuse la terre boueuse dans l'ombre d'un navire haut comme un immeuble de 15 étages ont été largement diffusées dans la presse et sur les réseaux sociaux. Eh bien ça n’a pas bougé ! L'Ever Given et ses 220 000 tonnes de conteneurs, pleins à ras bord de marchandises en provenance de Chine, long comme quatre terrains de football, n’a pas bougé d’un centimètre en deux jours. 

Les Égyptiens nous la jouent méthode Coué. "En 48 à 72 heures maximum" on va régler tout ça, disait hier l'un des conseiller du président al-Sissi. "J'ai l'expérience de plusieurs opérations de sauvetage de ce type et, en tant qu'ancien président de l'Autorité du canal de Suez, je connais chaque centimètre du canal", explique Mohab Mamish, qui a supervisé la récente expansion de la voie maritime.

Sauf que d'après les experts en sauvetage maritime arrivés sur place jeudi 25 mars, en provenance du Japon et des Pays-Bas, les opérations de déséchouage pourraient prendre non pas quelques jours... mais plutôt quelques semaines. En attendant, comme le navire, c'est le commerce mondial qui s'enlise, car ça commence à bouchonner sérieusement aux deux extrémités du canal, mer Méditerranée d'un côté, mer Rouge de l'autre. 

10% du commerce maritime mondial

Chaque jour une cinquantaine de bateaux empruntent ce trait d'union bien pratique entre l'Asie et l'Europe, porte-conteneurs mais aussi cargos, vraquiers, pétroliers, pour une valeur cumulée de près de 10 milliards de dollars. Le canal de Suez c'est l'une des routes commerciales les plus fréquentées du monde, qui représente environ 10% du commerce maritime international.   

Pour l'instant les cours du pétrole résistent (les cours qui ont bondi jusqu'à 6% mercredi sont assez vite retombés). Mais un arrêt de plusieurs jours va forcément provoquer des effets en cascade sur les prix et l’ensemble de la chaîne logistique mondiale. Des usines européennes pourraient manquer de composants électroniques et de semi-conducteurs, que l'on utilise dans l'informatique ou la santé.

Une déviation par le Cap de Bonne-Espérance 

À tel point que certains envisagent de suivre une déviation : c’est le cas du plus gros armateur du monde, le danois Maersk. Avec un autre géant allemand du fret il étudie la possibilité de contourner le canal de Suez. Ce qui veut dire passer par le Cap de Bonne-Espérance, à la pointe de l'Afrique du sud, avant de remonter le long des côtes africaines. Autrement dit 6 000 kilomètres à rajouter au compteur, une voire deux semaines de navigation supplémentaire, mais des économies, car le passage du canal c'est environ 400 000 / 500 000 dollars par bateau. Si le blocage du canal dure, c'est une option qui se tente.

L’alternative : la route maritime du nord 

Autre possibilité, passer par la route du nord, le chemin préféré des Russes. Cette route qui longe les côtes de la Sibérie permet de relier le détroit de Béring à la mer de Norvège. Comme on est tout près du pôle nord - et que, je ne vous apprends rien - la terre est une sphère, forcément c'est en distance le chemin le plus court entre l'Asie et l'Europe. Une voire deux semaines de moins qu'en passant par le sud et le Canal de Suez.   

Vladimir Poutine a longtemps fait la promotion de ce parcours, qui pour l'instant n'est praticable que pendant les mois d'été, quand la banquise est suffisamment fine pour que les brise-glaces puissent ouvrir le passage. Mais le réchauffement climatique ouvre des perspectives et les Russes tablent sur une exploitation commerciale d'ici une quinzaine d’années. L'épisode malheureux du canal de Suez leur a évidemment donné du grain à moudre. L'agence nucléaire russe Rosatom, chargée de superviser cette route du nord, a publié plusieurs messages sur son compte Twitter : "Nous, si un bateau est coincé dans les glaces, on envoie des brise-glaces" (sous-entendu : il ne restera jamais coincé plusieurs jours).

L’agence a même publié un photomontage où l’on voit un GIF animé de la série "Austin Powers" où le personnage principal est bloqué de travers dans un tunnel, il avance, recule, avance, recule et n'arrive pas à s'en dépêtrer. Son véhicule a été remplacé par une photo du porte-conteneur. C'est très drôle mais pas très sympa. Que l’on privilégie la route du nord ou le cap de Bonne-Espérance, dans cette histoire il n’y a pour l’instant qu’un seul perdant, l’Egypte, qui doit renoncer à des rentrées d’argent phénoménales. Le canal de Suez constitue sa troisième source de revenus.

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