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Egypte : le canal de Suez, une voie commerciale essentielle au passé tumultueux

Un porte-conteneurs s'est échoué le 24 mars sur une rive du canal de Suez, l'une des routes commerciales les plus fréquentées au monde.

Article rédigé par Jacques Deveaux
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Le canal de Suez peut accueillir les plus gros porte-conteneurs, jusqu'à 400 mètres de long. (KHALED DESOUKI / AFP)

Un porte-conteneurs bloque le canal de Suez depuis le 24 mars et le monde retient son souffle... Retour sur les enjeux de ce passage primordial pour l'économie mondiale, voie commerciale au passé tumultueux. 

Ferdinand de Lesseps

L'idée d'assurer une liaison entre la Méditerranée et la mer Rouge, et au-delà vers l'Asie, n'est pas nouvelle. Dans l'antiquité déjà, le pharaon Sésostris III (1878-1843 av. J-C.) fait creuser un canal d'Ouest en Est et relie le Nil à la mer Rouge. Au cours des siècles, la rénovation de cette voie d'eau est fréquente en raison d’une géographie difficile et d’un ensablement permanent. Au final, la nature l'emporte et la liaison est abandonnée. 

Ce n'est qu'au XIXe siècle que l'idée va refaire surface avec Ferdinand de Lesseps. Celui qui n'est qu'un modeste diplomate en poste à Alexandrie va profiter de son amitié avec Saïd Pacha, futur vice-roi d'Egypte, pour obtenir la concession qui lui permettra de creuser le canal. Affaire coûteuse qui se révèlera très fructueuse. En décembre 1858, la Compagnie universelle du canal maritime de Suez est créée.

Il faudra dix années, de 1859 à 1869, pour parvenir à creuser le canal de Suez. Au départ, on y travaille à la pelle et à la pioche, sous le régime de la corvée imposé par Saïd Pacha. Tous les mois, 25 000 paysans sont obligés de venir travailler sur le chantier. On ignore le nombre de victimes parmi les ouvriers. L'Egypte moderne a avancé le chiffre de 120 000 morts.

L'importance du canal va croître avec la révolution industrielle et la colonisation. Il offre une route sans rupture de charge entre l'Europe et l'Asie, évitant le long contournement de l'Afrique. Son enjeu stratégique est tel, qu'en 1888 la convention de Constantinople affirme la neutralité du canal. De 486 passages en 1870, le trafic atteint les 15 000 navires annuels en 1950, dégageant d'énormes revenus liés aux droits de passage.

Le canal c'est quoi ?

Ici, il n'y a pas d'écluse contrairement au canal de Panama, ce qui permet une navigation rapide. La liaison, longue de 193 kilomètres s'effectue également via trois lacs naturels.

En 2014, le président al-Sissi lance un gigantesque programme d'agrandissement du canal d'un coût de trois milliards d'euros. Il s'agit de le doubler en partie sur 37 kilomètres, afin de permettre aux bateaux de se croiser dans les zones les plus étroites. Une autre partie de 35 kilomètres est élargie et approfondie. Cela permet d'accélérer la navigation. Il faut désormais 11 heures pour passer d'un bout à l'autre du canal.

Réappropriation égyptienne

Quand le canal était encore entre les mains des Britanniques et des Français, les royalties échappaient à l'Egypte qui n'avait pas son mot à dire. Mais le 26 juillet 1956, Nasser annonce sa nationalisation. Britanniques et Français interviennent militairement et occupent le canal avant de devoir se replier sous la pression des Etats-Unis et de l'URSS. Un épisode qui marque la fin d'une époque, celle de la colonisation et de la toute puissance de l'Europe. C'est aussi la première fois que la navigation est coupée sur le canal de Suez.

Le porte-conteneurs "Ever Given" s'est coincé sur une rive du canal de Suez le 24 mars 2021. Un coup de vent serait à l'origine de l'incident. (- / SUEZ CANAL)

La guerre des Six-Jours en 1967, puis celle du Kippour en 1973, entraîneront cette fois une fermeture qui durera jusqu'en 1975. Le canal devient de facto une ligne de front. Pour assurer sa réouverture, il faudra retirer 686 000 engins anti-char et anti-personnel ; 45 500 mines et 209 tonnes de matières explosives.

Toujours plus de bateaux, toujours plus grands

18 880 bateaux ont emprunté le canal en 2019, un record absolu qui s'accompagne d'une hausse constante des volumes transportés. Lesquels ont dépassé le milliard de tonnes la même année. Une cinquantaine de navires franchissent quotidiennement le canal, soit 8% du transport maritime mondial et près du quart des conteneurs transportés.

Chaque jour, une cinquantaine de navires passent par le canal de Suez. (CHRISTOS GOULIAMAKIS / AFP)

A partir de 2014, l’armateur danois Maersk lance les premiers navires porte-conteneurs géants : avec 400 mètres de long et 59 de large, ces navires peuvent transporter 18 000 conteneurs (EVP). Mais la compagnie française CMA CGM place désormais 23 000 conteneurs sur le dernier-né de sa flotte le Jacques Saadé.

Des revenus conséquents

Un porte-conteneurs de 18 000 EVP paye environ 800 000 dollars le passage. Avec l'élargissement du canal, le gouvernement égyptien espère ainsi obtenir 11,7 milliards de revenus en 2023. Une redevance qui représente un tiers des recettes en devises du pays et son second pôle économique après le tourisme.

L'Egypte n'est plus un don du Nil, mais du canal de Suez.

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