Isabelle Carré de retour sur scène dans "La Dégustation" : "Le théâtre, c'est retourner à la maison"
Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Aujourd’hui, la comédienne et écrivaine Isabelle Carré.
Actrice et écrivaine, Isabelle Carré a obtenu un César en 2003, celui de la meilleure actrice pour son rôle dans le film Se souvenir des belles choses, et deux Molière de la meilleure comédienne pour les pièces Mademoiselle Else en 1999 et L'Hiver sous la table en 2004. Sa plume s'est aussi imposée avec deux romans : Les Rêveurs (2018) et Du côté des Indiens sorti en 2020. Un troisième est en préparation. Aujourd'hui, c'est le théâtre qui l'amène à franceinfo avec la pièce La Dégustation écrite et mise en scène par Ivan Calbérac au Théâtre de la Renaissance à Paris.
franceinfo : Dans La Dégustation, vous jouez le rôle d'Hortense, une femme engagée dans l'associatif, pas loin de finir vieille fille. Elle décide de s'inscrire à un atelier de dégustation dans une cave à vin tenue par un homme bourru, célibataire endurci, incarné par Bernard Campan. C'est une comédie romantique ?
Isabelle Carré : C'est une comédie qui joue un peu avec les clichés. Effectivement, mon personnage est catho un peu coincée. Et puis, en fait, elle est in vino veritas avec l'alcool. Elle va se révéler notamment au contact d'un troisième personnage joué par Mounir Amamra, qui est un peu celui qui fait le lien entre nous deux. Ce qui m'a plu dans cette comédie d'abord, c'est qu'on rit vraiment, chaque réplique fait mouche.
"La plume d'Ivan Calbérac fait des merveilles et c'est un humour qui rassemble. C'est un humour qui nous donne envie de nous embrasser et de partager des moments ensemble, autour du vin ou pas d'ailleurs, mais qui fait du bien."
Isabelle Carréà franceinfo
Cette pièce de théâtre fait un peu écho à la période qu'on vient de vivre. C'est une bouffée d'oxygène. Ça fait du bien de remonter sur scène ?
Quel pied ! Je n'avais pas joué cette pièce depuis presque un an. On a eu deux tournées annulées. La reprise au Théâtre de la Renaissance a été très écourtée, on a joué quelques dates et puis on est rentrés chez nous. Et là, on a reçu un coup de téléphone disant : "On ne reviendra pas". On avait laissé nos affaires dans la loge, c'était quand même particulier.
Il y a un point commun à tous ces personnages, c'est un désinhibeur : le vin.
C'est un personnage dans la pièce !
Ça devient un personnage et le but est d'ouvrir les yeux, de réussir à s'échapper. C'est important ça aussi, de temps en temps, de savoir se faire plaisir, de profiter de la vie (en consommant avec modération) ?
Et comment ! Et surtout dans le partage. Quand on est à table, nous les Français, on prend le temps. On n'est pas là pour être efficaces. Non, on est là pour perdre du temps, pour le savourer et pour le partager surtout.
Vous avez un souvenir assez ému de votre premier verre de vin avec Jacques Weber.
Oui, c'était chez Bocuse et j'ai goûté à un vin, un saint-julien. Et je n'avais jamais goûté un vin comme ça, comme je n'avais jamais mangé de choses aussi bonnes. Je ne savais même pas que ça existait. Mes parents faisaient très mal la cuisine. On mangeait pour se nourrir à la maison et tout à coup, j'ai découvert ce que ça pouvait être de manger pour le plaisir, pour voir le monde autrement, presque.
Sur l'affiche, on voit deux personnages, Bernard Campan et vous. C'est une énorme symbolique par rapport à votre parcours de vie, votre carrière. Quand on parle de vous, c'est effectivement "Se souvenir des belles choses", mais c'est aussi le théâtre. C'est le point de départ dans votre vie ?
Le théâtre, c'est retourner à la maison. Ça me fait penser à un texte que j'aime beaucoup de Patrick Modiano, qui s'appelle Nos débuts dans la vie où il dit qu'il n'y a pas besoin d'aller à la montagne, il n'y a pas besoin d'aller à la mer. Là où on respire le mieux, c'est sur un plateau de théâtre. Et je suis bien d'accord avec lui. C'est là où tout est permis, en fait. C'est là où on peut être émotif ou cruel, tendre, amoureux, méchant, terrible.
Le théâtre, c'est l'endroit où on s'oublie, mais aussi où on peut dire tellement de soi.
Isabelle Carréà franceinfo
Enfant, vous étiez très touchée par votre hyper émotivité. Vous avez énormément évolué, grandi, appris à vous apprécier davantage. Est-ce que vous appréciez davantage la vie ? Prenez-vous le temps de vous rendre compte du parcours déjà accompli et de profiter des choses ?
Je n'essaie pas trop de regarder dans le rétroviseur. Ça m'angoisse un peu. En revanche, grâce à l'écriture, il y a une chose que j'aime, c'est rendre le passé présent, mais modifiable. De me le réapproprier, de le transformer. C'est Shakespeare qui dit : "Les souvenirs qu'on invente sont les plus beaux". C'est un peu ce que je fais à travers l'écriture.
"Avec l’écriture, j'aime bien partir de faits réels, les transformer complètement et partir dans l'imaginaire."
Isabelle Carréà franceinfo
En même temps, dans l'écriture, vous êtes allée beaucoup plus loin. Dans votre dernier roman Du côté des Indiens, vous avez donné un regard sur ce que vous aviez vécu par rapport à l'affaire Weinstein. C'est aussi une façon de rendre hommage à celles qui combattent ?
Complètement. Apporter ma petite pierre à ce mouvement #MeToo que je respecte infiniment et qui continue de poursuivre sa route, de protéger des femmes. Et ça, c'était très important. Il était temps.
Est-ce que ça vous a libéré de quelque chose ? Vous connaissant, j'imagine que ça a été difficile de poser les mots sur des pages.
L'écriture, pour moi, c'est comme d'être le calque et d'être enfin au bon endroit sur le dessin. De mettre des mots, ça produit ça. Donc oui, c'est libérateur, même si l'écriture pour moi n'est pas une thérapie. La thérapie, c'est plutôt le théâtre et ça a été fait et bien fait pendant toutes ces années grâce aux mots des autres. Mais il était temps, effectivement, de trouver les miens.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.