"J'ai encore plein de choses à écrire", assure Michel Boujenah, sur scène avec le dernier volet d'"Adieu les Magnifiques"
Michel Boujenah est acteur, humoriste, réalisateur franco-tunisien. Acteur, c'était le point de départ, un rêve d'enfance puis d'adolescence. Un rêve devenu réalité. Impossible quand on parle de lui de ne pas citer les films Trois hommes et un couffin de Coline Serreau (1985), pour lequel il a reçu le César du meilleur second rôle masculin, Le nombril du monde d'Ariel Zeitoun (1994) ou encore Les clés de la bagnole de Laurent Baffie (2003). Sa première réalisation est le film Père et fils en 2003, ensuite, il y aura Trois amis en 2007 et Le Coeur en braille en 2016.
En 1983, il a interprété son spectacle solo Les Magnifiques et avait promis, à ce moment-là, à son public de venir jouer ce spectacle tous les 20 ans. Ce fût chose faite en 2003 avec Les nouveaux Magnifiques. En 2023, il tient encore sa parole avec Adieu les Magnifiques sur la scène du Théâtre de la Madeleine à Paris. Il joue son spectacle depuis le 26 janvier 2023, et ce jusqu'au 5 mars, pour 50 représentations exceptionnelles avant de partir en tournée.
franceinfo : Ce spectacle est particulier parce qu'il y a un mot qu'on n'a pas l'habitude d'entendre quand on parle de vous, c'est le mot "adieu". Pourquoi ce mot ?
Michel Boujenah : Tout simplement parce que c'est le dernier volet de ce que je pourrais appeler à rebours une trilogie. Dans 20 ans, j'aurai 90 ans donc oubliez ! Ensuite avec mes trois héros légendaires, mes quatre parce qu'il y a Simone Boutboul maintenant, il y a leurs petits-enfants. Et les garçons et filles qui ont entre 20 et 30 ans aujourd'hui, parlent à leurs grands-parents. L'incompréhension qu'il y a entre ces générations est incroyable. Ce fossé-là, il est drôle évidemment, ça génère du rire, mais en même temps, c'est un portrait de ce que je vois de la génération de mes enfants.
Ce portrait, effectivement, au départ, concernait trois juifs tunisiens immigrés en France et en même temps, il est toujours actuel.
Je pense qu'au fond, les problèmes de mémoire et de souvenirs évoluent avec le temps. Mais la question reste toujours la même. Vous ne pouvez pas savoir où vous allez si vous oubliez d'où vous venez. Ce spectacle, pour moi, il représente ça. Il représente ma culture, à travers mes personnages qui sont des petits vendeurs de pantalons, qui viennent de Tunisie et qui vivent en France. Et puis comme c'est moi qui écrit le spectacle, je suis un peu comme le bon Dieu. Donc, je fais parler le bon Dieu et il leur dit : "Vous ne pouvez pas mourir, vous êtes éternels tant qu'il n'y a pas un de vos enfants qui n'aura pas repris le flambeau de la mémoire."
Le théâtre a été une évidence très vite pour vous. C'est vrai que vous avez toujours voulu être acteur. Vous avez tout de suite compris que ça faisait partie de vous, que ça allait votre métier ?
Non. Parce que je n'osais pas. D'abord, je voulais être médecin comme mon père. Et d'ailleurs, je pense que peut-être que si j'avais été médecin, j'aurais été peut-être plus heureux, c'est-à-dire que ce métier, je ne l'ai pas choisi, il m'a choisi, ça s'est imposé et il fallait que je le fasse, sinon j'aurais foutu ma vie en l'air.
"À 17 ans, je rêvais d'être acteur, mais je n'osais pas me l'avouer. Un jour, je me suis dit : vas-y, essaye, essaye de le faire même si tout est contre toi."
Michel Boujenahà franceinfo
Dans votre évolution, il y a eu ce travail énorme avec les enfants. Ce n'est pas du tout un détail puisque ça a été l'élément fondateur de votre capacité à raconter des histoires.
En fait, quand j'ai commencé à travailler avec les enfants, j'avais une vingtaine d'années. Je les voyais faire leur spectacle. Un jour, j'ai fait comme ils m'avaient montré, j'ai fait ce qu'ils faisaient et ça a marché. Ce jour-là, j'ai quitté les enfants avec qui je travaillais depuis huit ans, comme si j'avais trouvé ce que j'étais venu chercher en travaillant avec eux aussi longtemps.
Albert était votre premier spectacle basé sur cette enfance et ses racines. Vous avez connu un succès immédiat. Comment vous l'avez vécu ?
Au début, formidablement bien. Après, au bout de deux ans, deux ans et demi, je me suis dit : mais je ne suis pas l'enfant de ce spectacle. J'ai rompu avec tout ce spectacle. J'ai fait une grosse erreur parce que je pouvais rompre avec le spectacle, mais pas rompre avec ce qu'il y avait dans le spectacle qui faisait mon identité, même artistique.
Les Magnifiques, c'est sur l'identité !
Oui et il arrive après cet énorme échec qui s'appelait Anatole, mon deuxième spectacle qui a été un bide. Vous ne pouvez pas imaginer ce que c'est un bide à ce niveau. Les mecs dans la salle, ils me disaient : "Joue l'ancien, c'était mieux !" Un jour, je me suis écrit une lettre en me disant : tu as voulu t'appeler Anatole France ? Et je me suis répondu : tu crois qu'il suffit de prendre le nom des autres pour que le sang qui coule dans tes veines soit le sang des autres ? De cette phrase-là en a découlé un long texte qui est une lettre d'un père à un fils et j'ai écrit cette histoire sur la mémoire et sur les trois vieux. J'ai écrit Les Magnifiques. Cela a été incroyable. Comme quoi les échecs sont énormément fertiles. J'ai très mal vécu ce succès parce que le succès vous donne des ailes ou vous étouffe.
C'est ce qui s'est passé avec Trois hommes et un couffin ou pas ?
Oui, bien sûr. Il n'y avait pas un pays en Europe où je pouvais marcher dans la rue.
"Le succès de 'Trois hommes et un couffin’ m'a complètement déséquilibré. Tout le monde me reconnaissait. Je ne m'attendais pas à tout ça et en plus, ce n'est pas forcément cela que je cherchais.
Michel Boujenahà franceinfo
Quel regard avez-vous sur cette carrière, sur ce parcours ?
Aujourd'hui, franchement, j'ai l'impression de ne pas avoir encore fait ce que je devais faire. Je vous jure que c'est vrai, ce n'est pas de la fausse modestie. Le sentiment d'insatisfaction que j'ai vis-à-vis de mon travail est énorme. Je rêve de jouer Deburau. Je rêve de faire les adieux des Magnifiques, que ça fonctionne et que les gens comprennent pourquoi je fais ce dernier volet de la trilogie.
Je rêve de faire encore au moins deux films comme metteur en scène. J'ai plein de projets et je voudrais traverser l'Atlantique en bateau. Je rêve de faire plein de choses encore, de tout bien rangé aussi. J'ai plein de choses à écrire encore, je n'ai pas fini. Vous savez, je ressemble au lapin dans Alice au pays des merveilles, je suis en retard, je suis tout le temps en retard.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.