Crise agricole : la colère gagne l’Italie et l'Espagne

La mobilisation des agriculteurs prend de l'ampleur dans le sud de l'Europe. Une marche est prévue vers Rome et les opérations escargot se multiplient dans les régions espagnoles. Nos correspondants nous expliquent cette mobilisation.
Article rédigé par Mathieu de Taillac - Blandine Hugonnet
Radio France
Publié
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Un agriculteur espagnol manifeste, sur l'autoroute au nord de Barcelone, avec son tracteur sur lequel une pancarte indique, en catalan, "Vous nous noyez", le 7 février 2024. (PAU BARRENA / AFP)

Le mouvement des agriculteurs s’est calmé en France, mais se poursuit et commence à se structurer dans d’autres pays européens. En Espagne les premières grandes manifestations et autres opérations escargot ont commencé cette semaine. En Italie, une mobilisation plus globale s'organise, les agriculteurs veulent encercler la capitale.

Espagne : vers des mouvements plus structurés

En Espagne, il y a eu une série de blocages sur des routes, des autoroutes, des accès à des villes ou à des infrastructures, mardi. Il n’y a pas de décompte officiel parce que les actions ne répondaient pas à des appels structurés d’organisations agricoles établies, mais plutôt à des initiatives plus ou moins spontanées d’agriculteurs. Mais les médias espagnols dénombrent, dans les régions, des dizaines de "tractoradas", des opérations escargot en français. 200 tracteurs ont bloqué le port de Malaga, 100 tracteurs ont coupé l’autoroute qui relie Madrid à Tolède. L’Andalousie, une puissante région de cultures, était particulièrement touchée, de même que la Castille et León avec quelque 7 000 tracteurs mobilisés ou encore la Catalogne. Jeudi, ce seront des mouvements plus structurés à l’appel des principaux syndicats agricoles qui auront lieu.

Certaines des revendications des agriculteurs espagnols sont les mêmes que celles de leurs homologues français, mais d'autres sont spécifiques à l'Espagne. C'est ce qu'explique José María Castilla, un représentant d’Asaja, l’un des trois principaux syndicats agricoles espagnols. "Il y a des plaintes qui sont communes : les exigences de la PAC, la charge administrative, le fait de légiférer contre les agriculteurs… Mais il y a aussi des revendications espagnoles sur les infrastructures pour stocker l’eau, les hausses exagérées du SMIC ou l’incertitude sur les ristournes sur le gasoil.
Du coup, les agriculteurs espagnols se font entendre à la fois à Bruxelles et à Madrid, où ils ont été reçus au ministère vendredi dernier", dit ce syndicaliste.

Arrondir les angles avec les agriculteurs français

Le modèle agricole espagnol a été critiqué en France. Gabriel Attal a parlé de concurrence déloyale et Ségolène Royal s’en est pris à la filière bio et aux tomates. Il y a, également, des agriculteurs français qui ont renversé des camions espagnols à la frontière. Les agriculteurs espagnols font une distinction entre les politiques et leurs petites phrases, qu'ils condamnent avec fermeté, et les agriculteurs français, avec qui ils essaient d’arrondir les angles. "Il s’agit d’une stratégie de la classe politique pour diviser les agriculteurs et on n’est pas tombé dans le panneau. On a répondu en collaborant avec la FNSEA et avec l’organisation qui regroupe les syndicats agricoles européens", explique Jose Maria Castilla. Les agriculteurs espagnols disent qu’ils peuvent comprendre les réactions de colère face aux difficultés des Français mais qu’ils sont soumis aux mêmes règles et ne peuvent pas servir de bouc émissaire.

Italie : un ultimatum lancé au gouvernement

Des groupes de paysans ont annoncé une marche sur Rome. Si quelques-uns sont déjà aux portes de la capitale depuis lundi, à partir de jeudi, des tracteurs doivent peu à peu converger de toutes les régions italiennes. Ils vont se rejoindre, au-delà du périphérique romain, sur des terrains privés. Leur idée est "d’encercler" Rome. Pour l’instant, il n'est pas question de barrer les routes, c’est en tout cas le mot d’ordre transmis sur les réseaux sociaux. On annonce 2 000 engins en grande banlieue, 500 sur le périphérique vendredi et une manifestation à pied, dans les rues romaines, la semaine prochaine. Même si certains espèrent bien pouvoir rouler en tracteur sur les forums romains et au pied du Colisée.

La mobilisation reste loin de l’ampleur de celles en France ou en Allemagne. En Italie, l’élan vient d’au moins deux groupes distincts et spontanés, sans coordination nationale, ni appui des principaux syndicats agricoles. Le mouvement est soutenu par l’extrême-droite de Matteo Salvini, mais se dit apolitique. Les tracteurs ont commencé les blocages il y a déjà deux semaines, mais toujours très localement et en ordre dispersé. Une mobilisation timide, donc dans la troisième puissance agricole européenne, mais qui cherche à être médiatisée. Certains agriculteurs ont tenté de faire irruption à Sanremo, pour monter une vache sur la scène du très populaire festival de musique. Une protestation qui semble en tout cas passer à une vitesse supérieure avec la marche sur Rome lancée comme un ultimatum au gouvernement Meloni.

Le promesse d'une hausse du budget

En Italie, il y a une kyrielle de revendications contre les politiques européennes et italiennes qui ne valorisent pas assez les produits et donc l’identité de l’Italie. Le secteur est pourtant en péril, selon Salvatore Fais, l’un des leaders de la protestation "On ne demande pas d’argent, mais de résoudre les problèmes : les taxes trop lourdes, les prix de nos produits, les coûts de production… Parce que depuis le Covid et la guerre en Ukraine, la spéculation nous frappe de plein fouet, on ne s’en sort plus. On va finir par abandonner nos fermes d’ici 2-3 ans", s'alarme cet éleveur toscan.

Giorgia Meloni n’a pas rencontré les groupes de paysans, mais assure être à leurs côtés. La dirigeante souverainiste leur promet une hausse de trois milliards d’euros du budget européen dédié à l’agriculture italienne et le maintien d’une ristourne fiscale pour les petites exploitations. Elle espère apaiser la colère et peut-être limiter l’ampleur de la marche sur Rome.

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