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Violences conjugales : le "contrôle coercitif", une notion clé pour lutter contre l'emprise de certains hommes sur leur compagne

Comment agir contre les violences conjugales avant même les premiers coups ? Des associations et certains avocats demandent à changer la loi pour faire condamner ceux qui enferment leurs compagnes dans une "prison conjugale".
Article rédigé par Margaux Stive
Radio France
Publié
Temps de lecture : 9min
Contre les violences psychologiques au sein du couple, des avocats et des associations plaident pour la création d'une infraction pour "contrôle coercitif". Photo d'illustration. (JEAN-LUC FLEMAL / MAXPPP)

C'est un vêtement qu’elle n'a plus le droit de porter. Des amis, des proches qu'elle ne peut plus voir. Un vernis à ongle interdit. Des coups de fils à répétition auxquels elle est obligée de répondre. Le "contrôle coercitif"  est une tyrannie domestique, souvent invisible en dehors de la maison, mais qui a transformé la vie de Pauline Bourgoin en cauchemar. 

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Pour cette jeune mère de famille de 32 ans, la désillusion a commencé très tôt, dès les toutes premières semaines de relation en avril 2016. Très vite, son nouveau compagnon la pousse à déménager loin de Paris pour s’installer chez lui, dans une petite ville de province. Loin de ses proches, loin de son monde, la jeune femme se retrouve de plus en plus isolée. "Ça a été dès le début, confie-t-elle. Je me souviens, au bout de la troisième semaine, d’avoir beaucoup souffert de ce ‘chaud-froid’. C’était ça, la première violence, où d’un coup, c’est l’ignorance totale. Ça a commencé par les amis et la famille. Et puis professionnellement, il ne le disait pas vraiment, mais il voulait me faire quitter mon poste, alors que j'avais un super poste. Il ne faisait que se plaindre sur le fait qu'on avait plein de grands projets qui étaient compromis par le fait que je travaille."

Pour Pauline, la pression devient difficile. "C’était toujours de la culpabilisation, des reproches et j’ai fini par quitter mon poste. Je n’étais plus sûre de rien, il me disait que le problème venait de moi. Il arrivait à me faire douter et à détruit complètement mon estime de moi." Petit à petit, le contrôle envahit toutes les sphères de la vie de Pauline : "J’étais en mode hypervigilance, à faire attention à tout ce que je disais, à tout ce que je faisais, de peur de prendre une crise violente. Il me disait que je n'étais pas normale, que ça venait de moi."

Il a pris une grande part de la femme que j’étais, il a pris mon insouciance. J’ai peur de tout, qu’on me manipule, qu’on me mente. Il a tiré avec lui tout ce qui était mon environnement et mon monde.

Pauline, victime de violences conjugales

à franceinfo

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Pendant trois ans de relation, Pauline quitte plusieurs fois son compagnon, mais seule, détruite, elle finit toujours par retourner vivre avec lui. Jusqu’à la naissance de leur petite fille en 2019. En novembre, Pauline décide de partir définitivement du domicile conjugal. "Et c’est là que le vrai cauchemar a commencé", raconte-t-elle. Jusqu’à la première violence physique. Pauline décide alors de déposer plainte, au printemps 2022. Mais malgré une vidéo de l’agression, la plainte est classée sans suite. "Il a une totale impunité et pour le moment je ne suis pas crue parce qu’il essaye de me faire passer pour une folle, une paranoïaque. Il essaye de se servir de mon traumatisme et tout est utilisé contre moi pour me dénigrer et discréditer ma parole. Derrière, il y a un flou total et on doute."

"On se dit c’est parole contre parole et on ne suit pas, poursuit Pauline. Il suffirait de comprendre comment fonctionnent ces violences pour bien les identifier. Parce que là on est l’un et l’autre à s’accuser mais si quelqu’un prend le temps de regarder les comportements de chacun, ça ne fait nul doute."

Une "révélation" pour les femmes victimes

C’est justement pour sortir de cette impasse que la notion de "contrôle coercitif" pourrait tout changer estime l’avocate de Pauline, Me Pauline Rongier. Comme d’autres, elle estime que faire du "contrôle coercitif" une infraction à part entière dans la loi pourrait faciliter le travail de la justice dans ce genre de cas.

Jusqu’ici plusieurs infractions existent : les violences psychologiques, le harcèlement moral, les violences habituelles ou sexuelles. Mais rien selon l’avocate, qui ne permette de saisir la complexité et l’ensemble de ces stratégies de contrôle. Même chose pour la notion d’emprise, inscrite dans la loi en 2020, mais qui se focalise sur les victimes et pas sur les stratégies de l’auteur, regrette Pauline Rongier, comme par exemple quand un mari confisque les papiers d'identité ou la carte bancaire de son épouse.

Pour Me Pauline Rongier, la notion de "contrôle coercitif" pourrait davantage faciliter le travail de la justice. "Je me rends compte qu’il y a beaucoup de magistrats, très sensibles au problème des violences conjugales, qui voient bien que ce que vit la victime, ce sont des violences. Mais en même temps, ça ne rentre ni dans la case violence physique, ni dans la case violence psychologiqus, donc ils sont embêtés. Alors il y a ceux qui prononcent des relaxes, et ceux qui vont un peu tordre le cou à la réalité des faits ou aux notions pour que ça puisse rentrer et que ce soit qualifiable en une infraction. Et je pense qu’ils seraient soulagés de pouvoir tout simplement dire ‘voilà c’est très clair on est dans un cas de contrôle coercitif'.

D’ailleurs, dans plusieurs pays, le "contrôle coercitif" est déjà, depuis plusieurs années, puni par la loi. C’est le cas notamment au Royaume-Uni dès 2015 mais aussi en Ecosse, en Irlande ou en Australie.

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Des expériences suivies de près par l’association Women for Women France que préside Sarah Mc Grath. Pour cette Australienne d’origine, l’inscription du "contrôle coercitif" dans la loi, a surtout été un soulagement pour les femmes victimes de violence : "Dès qu’on explique ce qu'est le contrôle coercitif, on voit sur les visages qu’elles se disent ‘ok c’est exactement ce que je vis', et elles peuvent elles-mêmes se rendre compte que ce n’est pas normal et aller voir une association ou des professionnels." Mais est-ce efficace pour réduire le nombre de violences et de féminicides ? "C’est encore trop tôt pour le dire", reconnaît Sarah Mc Grath, même si selon elle, dans ces pays, le nombre de condamnations pour violences conjugales a beaucoup augmenté depuis le changement de la loi.

Sarah McGrath en est persuadée, inscrire le "contrôle coercitif" dans la loi française pourrait  "révolutionner" le traitement des violences conjugales et permettre de condamner les auteurs bien avant qu’il ne soit trop tard. Dans deux tiers des féminicides commis en France en 2021, aucune violence physique n’avait précédé le passage à l’acte.

"Une baguette magique dangereuse"

Mais chez les acteurs de la lutte contre les violences faites aux femmes, ce concept ne fait pas l’unanimité. Pour Ernestine Ronai, présidente de l’Observatoire de violences faites aux femmes en Seine-Saint-Denis, et figure emblématique de ce combat, le "contrôle coercitif", sous ses airs de "solution miracle" peut être plus dangereux qu’efficace. "Je comprends qu’on essaye de trouver la recette miracle, estime-t-elle, parce qu’on voit bien que ça ne marche pas, qu’on n’arrive pas à baisser le nombre de femmes tuées. Mais ce n’est pas avec une baguette magique qu’on y arrivera. Ce qu’il faut c’est déjà appliquer les lois et tous les outils qui existent qu’on utilisera davantage et mieux." Ernestine Ronai prend l’exemple des ordonnances de protection : seulement 3 000 environ sont délivrées chaque année en France alors qu’il en faudrait dix fois plus, selon elle. 

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L’autre danger avec le "contrôle coercitif", affirme-t-elle, c’est de condamner plus faiblement les auteurs de violence. "Le risque c’est de faire entrer dans quelque chose qui parait révolutionnaire des choses qui ne sont pas claires, pointe-t-elle. Or, dans le droit français il faut prouver l’infraction et si c’est trop global, trop général, on ne pourra pas le faire. Le risque c’est de condamner moins pour des faits qui, pris séparément, auraient été condamnés davantage. Et ça, c’est très dangereux."

Au sein même du gouvernement, la question fait débat. Côté ministère du Droit des femmes, Isabelle Rome, milite pour l'inscription du contrôle coercitif dans la loi. Côté ministère de la Justice en revanche, on est beaucoup plus prudent. Il faudrait plutôt, dit la Chancellerie, l'utiliser comme un outil de formation pour mieux appréhender la complexité des violences conjugales et permettre aux enquêteurs et aux magistrats de les détecter bien avant d'en arriver à un nouveau féminicide.

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