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"Depuis toutes ces années, je me bats dans le vide" : cinq ans après #MeToo, la prise en compte des témoignages de violences sexuelles et sexistes a-t-elle évolué ?

À travers le témoignage édifiant d'une jeune femme de 23 ans et une enquête sur l'évolution des dépôts de plaintes et des procédures judiciaires ensuivies, le constat est que le système judiciaire français n'est toujours pas à la hauteur. 

Article rédigé par franceinfo
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Shanley Clemot McLaren, 23 ans, victimes de violences sexuelles de la part de son ex petit copain à 17 ans et fondatrice de l'association #StopFisha, le 12 octobre 2022. (LAURIANE DELANOË / RADIO FRANCE)

Au bout de six ans de procédure, de rendez-vous et de courriers, Shanley Clemot McLaren a lâché. La jeune femme de 23 ans étale tous ses papiers, les mains tremblantes, sur un bureau. Le premier document date de 2016. La lycéenne de 17 ans qu'elle est alors porte plainte contre son petit copain de 18 ans pour des violences physiques et des menaces de mort. Puis elle dépose une main courante, en novembre 2017, juste après la naissance du mouvement #MeToo. "Quand il y a eu #MeToo, j’ai compris que ce que j’avais vécu, c’était quelque chose que tellement d’autres femmes avaient vécu. Ça m’a beaucoup aidée, ça m’a donné la force de comprendre qu’il ne fallait pas lâcher, explique Shanley à franceinfo. Et je me disais qu’avec #MeToo, il y allait avoir des changements, que le système judiciaire nous prendrait au sérieux. Et j’ai juste eu un silence. Tout le monde me disait : c’est comme ça, quand tu déposes plainte, l’enquête, ça prend du temps. Et j’ai attendu, attendu, attendu… Je n’ai jamais eu de nouvelles."  Et pour cause : sa plainte est déjà classée. Mais Shanley ne l'apprend que trois ans plus tard.

Après le confinement dû au Covid-19, en 2020, elle va se renseigner directement au tribunal : "Là, j’ai reçu un papier qui disait : votre plainte est classée sans suite depuis le 12 mai 2017. Motif : rappel à la loi par OPJ [officier de police judiciaire]. Quand j’ai vu ça, je me suis effondrée dans le tribunal. Ça veut dire que depuis toutes ces années, je me bats dans le vide, je cherche à me guérir, j’attends pour quelque chose qui était déjà fini avant même que je ne dépose la main courante."  

"Il a eu l’impunité alors que je suis toujours en guérison" 

Dans les mois qui suivent, Shanley tente encore de relancer la procédure aidée par la Maison des Femmes, sans succès. Aujourd'hui, fatiguée, elle abandonne. "C’est beaucoup d’argent, c’est beaucoup de temps, c’est des moyens d’envoyer tous ces documents, de relancer la procureure, d’essayer de trouver quelles sont les alternatives, quels sont les outils, de payer une psy. Et lui, il a l’impunité, il n’a pas toute cette charge mentale que moi j’ai eu pendant toutes ces années. Il a eu l’impunité alors que moi, je suis toujours en guérison." 

Sa guérison passe par l'engagement. Maintenant étudiante en master, Shanley aide à son tour d'autres victimes de violences sexistes et sexuelles via l’association qu’elle a créée, #StopFisha. Elle les accompagne, y compris dans leur dépôt de plainte au commissariat.    

"Le système judiciaire doit changer, il n'est pas à la hauteur", nous dit Shanley. Dans les faits, elle n’a pas tort. Si le nombre de plaintes a augmenté, la plupart reste encore classée sans suite. Franceinfo s’est penché sur les plaintes enregistrées par la justice depuis cinq ans : bien que le nombre de violences sexuelles enregistré pas les forces de l’ordre s’est envolé de +85% en cinq ans.

Et face à ce déferlement de témoignages, la justice n'a pas été à la hauteur, dénoncent les associations. "#MeToo a suscité un espoir gigantesque et #MeToo est en train aussi de commencer à susciter une déception gigantesque", déplore Anne-Cécile Mailfert est la présidente de la Fondation des femmes.

"Ce serait pour moi insupportable que toutes ces femmes qui y ont cru, qui se sont dit : ‘OK, d’accord, j’y vais ! On va m’écouter’, se prennent, comme elles sont en train de se prendre, le mur de la justice, le mur de la police, le mur des institutions."

Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des femmes

à franceinfo

Aujourd'hui encore, sept affaires de violences sexuelles sur dix n'aboutissent pas à un procès. Pour les associations, c'est le signe d'une justice qui ne parvient pas à écouter les victimes. Du côté du ministère de la Justice, on nuance ce constat : s’il y a encore de nombreux classements sans suite, c’est parce que les preuves restent difficiles à établir. Les faits se déroulent la plupart du temps à huis clos et sans témoin.

Mais cette exigence de la preuve, la justice ne doit pas y renoncer, estime Laure Heinich, avocate spécialisée dans les affaires de violences sexuelles. "La preuve reste l’élément absolument important et quand j’entends souvent dans les débats citoyens : on te croit, on vous croit, c’est extrêmement important du point de vue de ma société qu’il ait du soutien de la parole des femmes. Mais il faut bien le décorréler du processus judiciaire."

"La justice n’est pas là pour croire les gens. Elle est là pour trouver des preuves et lorsqu’il y a un non-lieu, un acquittement, un classement sans suite, ça ne veut pas dire : on ne vous croit pas. Ça veut dire : il n’y avait pas les preuves."

Laure Heinich, avocate

à franceinfo

Là où tout le monde est d'accord, en revanche, c'est sur la question des moyens. En clair, s'il y avait plus de policiers et plus de magistrats spécialisés, les enquêtes pourraient être plus rapides, plus fouillées et les preuves plus faciles à trouver. Depuis #MeToo, des choses ont tout de même changé : 160 000 policiers et gendarmes ont été formés, le gouvernement réfléchit aussi à la création de juridictions spécialisées. Mais le retard à combler est trop grand. Les associations réclament d'aller encore beaucoup plus loin.

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