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Ultra-droite : la crainte d'un passage à l'acte face à une menace "de plus en plus caractérisée, violente et ciblée"

Alors que les autorités ont porté plusieurs coups à l'encontre de l'ultradroite, franceinfo se penche lundi sur les acteurs de cette mouvance et les dynamiques qui la traversent.

Article rédigé par Gaële Joly
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Message diffusé dans la boucle Telegram La Famille gallicane, à laquelle franceinfo a eu accès, le 5 décembre 2021. (CAPTURE D'ÉCRAN)

Plusieurs coup de filets ont été menés en 2021 contre des groupuscules d'extrême droite, accusés de préparer des actions violentes. Ainsi, le 21 octobre, le complotiste Rémy Daillet était mis en examen pour des projets d'attentats d'un groupuscule d'ultra-droite ; le 17 novembre, le groupuscule identitaire L'Alvarium était dissous en Conseil des ministres. Lundi 6 décembre, franceinfo lève donc le voile sur ces groupes d'ultra-droite qui se préparent à une éventuelle guerre civile.

On les appelle les "accélérationnistes" : ce mot a notamment été employé après l'arrestation par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) dans le Sud-Ouest de deux militants, soupçonnés d'avoir appelé à des actions violentes sur une messagerie cryptée. Ces personnes sont persuadées qu'une guerre raciale va éclater en France et qu'il faut donc la provoquer.

Sur la messagerie cryptée Telegram, on voit circuler des documents relayés par des adeptes du survivalisme, parfois d'anciens militaires, qui se retrouvent sur les réseaux sociaux : règles de survie en plein chaos, guides de combat en zone urbaine... Dans la boucle d'extrême droite Famille gallicane, suivie par 1 200 personnes, certains tirent avec des armes sur des carictatures racistes représentant une personnne juive, musulmane ou noire.

Théorie du grand remplacement et rejet de l'islam

"L'entraînement [que l'on prône] est plus envisagé dans un point de vue de défense. Je n'ai pas envie de finir comme Samuel Paty", justifie Pépito, qui se présente comme le fondateur de Famille gallicane. S'il assume sa position, il se défend cependant de préparer un projet terroriste. "Je veux vivre avec des personnes qui aiment la France et qui respectent ses valeurs. L'islam est indomptable et a été créé pour diriger", assure-t-il.

Il estime que la problématique est plus large que l'adhésion ou non à la théorie du grand remplacement. "Vous ne pouvez pas me dire que vous ne vous rendez pas compte qu'une population venue d'Afrique rejoint l'Europe." Il juge que l'islam est "incompatible" avec la France. "Ce n'est pas fait pour vivre avec la République."

Sur la boucle Telegram France gallicane, franceinfo a même entendu un des membres faire l'apologie de Brenton Tarrant, le terroriste d'extrême droite qui a attaqué deux mosquées à Christchurch (Nouvelle-Zélande), en mars 2019, faisant 51 morts. Cet homme est aujourd'hui une référence pour ces groupes accélérationnistes.

Menaces et appels au meurtre

Au-delà de l'entraînement auquel ils s'adonnent, ces militants déversent aussi leur haine sur les réseaux sociaux : menaces de décapitation, cordes envoyées au local de campagne de certains élus... Ainsi, après une enquête sur Famille gallicane, soutien armé de Zemmour, Mathieu Molard, le rédacteur en chef de StreetPress a été très violemment pris à parti. "J'ai malheureusement déjà reçu des menaces de mort par le passé mais là, j'ai reçu plusieurs milliers de messages d'insultes, de moqueries et de menaces de mort en vingt-quatre heures", témoigne Mathieu Molard. Cela va même jusqu'à un montage photo : "On y voyait mon visage aux côtés de ceux de Jean-Luc Mélenchon [le leader de La France insoumise], Danièle Obono, [députée LFI] et Anne Frank [adolescente juive allemande morte en déportation]. Il y avait une cible sur le front et un appel au meurtre assez explicite, avec un lien qui renvoyait vers un site sur lequel on peut acheter des armes." StreetPress décide alors de publier le photomontage et d'enquêter.

Les acteurs institutionnels constatent eux aussi une montée en puissance des violences. "Nous passons d'un seul coup de l'injure raciale et sexiste à la menace de mort, ce qui est nouveau. La menace est de plus en plus caractérisée, violente et ciblée", note l'avocate pénaliste Jade Dousselin. Depuis le mois de septembre, elle a ouvert deux dossiers par semaine pour violences physiques, menaces de mort ou cyberharcèlement de la part de cette mouvance d'ultra-droite. Elle a le sentiment qu'il n'y a plus de limites : "À quel moment la menace va-t-elle passer du stade d'Internet ou des courriers à la réalité d'une menace physique ? Nous  commençons à voir que cette menace physique peut intervenir. Il faut absolument que nous trouvions les solutions pour arrêter cette flambée de haine qui peut sortir des réseaux sociaux et arriver dans la vie réelle."

Les services de renseignement mobilisés

La question du passage à l'acte est aussi celle que se posent les services de renseignement. C'est d'ailleurs une menace très préocuppante et prise au sérieux, selon les sources consultées par franceinfo, car la mouvance fait de nouvelles recrues chaque jour. Les renseignements craignent un passage à l'acte d'ampleur, par exemple contre une mosquée, comme à Christchurch. La surveillance de l'ensemble de ces réseaux a donc été renforcée, mais difficile de repérer les échanges clandestins sur les messagerie cryptées quand il s'agit de profils non identifiés et inconnus de la DGSI et qui, du jour au lendemain, peuvent basculer dans une idéologie accélérationniste.

En parallèle, les sources que franceinfo a interrogées disent constater un niveau inédit de haine contre les institutions et le chef de l'État, Emmanuel Macron. Anti-vaccin, anti-pass sanitaire, "gilets jaunes"... La crise du Covid-19 favorise cette idéologie. Selon les services de renseignement, la tribune de militaires publiée en avril dans Valeurs Actuelles sur le délitement de la France ou les prises de parole d'Eric Zemmour relégitiment le fait de s'entraîner et de prendre les armes. Le phénomène interpelle aussi le parquet national antiterroriste, saisi à onze reprises depuis 2017, alors qu'il ne l'avait quasiment jamais été avant. Au total, 48 personnes ont été mises en examen sur des menaces d'attentat de l'utra-droite et sept procédures judiciaires sont en cours.

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