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Reportage
"C'est le bazar, il n'y a pas d'autre mot" : à Mayotte, des services publics débordés et sous tension
L'opération Wuambushu contre l'habitat insalubre et l'immigration illégale a été lancée à Mayotte, depuis lundi 24 avril, sur fond de violences record. Une opération voulue par la majorité des élus du 101e département et une partie de la population. Cette opération a connu des débuts contrariés par des revers judiciaires mais l'État poursuit son action avec notamment la présence massive de forces de l'ordre qui quadrillent le territoire.
Dans ce territoire, les services publics sont asphyxiés, à genoux, suffoquent d'un bout à l'autre du territoire. L'école notamment : Mayotte compte quelque 110 000 élèves soit un tiers de ses habitants.
Le défi de l'enseignement
En ce moment, ce sont les vacances scolaires. Jassem, 16 ans, enchaîne avec des copains les parties de foot sous un soleil de plomb, place du marché à Mamoudzou. Il est content de respirer un peu. "Dans ma classe, on est 39 élèves et déjà, il y a beaucoup de bruit, décrit Jassem. La moitié des élèves de la classe n'ont pas la nationalité française, ils viennent d'Anjouan et des Comores. Ils suivent pratiquement parfaitement et peut-être qu'ils cherchent à venir à Mayotte pour chercher une vie comme tout le monde. Franchement, les professeurs se plaignent beaucoup, mais ils essayent de suivre."
Dans les établissements scolaires à Mayotte, il faut gérer les conditions de travail dégradées faute de professeurs en nombre suffisant, l'insécurité effrayante avec la multiplication d'intrusion de groupes violents qui viennent racketter les élèves sous la menace des machette, et les rixes entre bandes rivales. Enseigner à Mayotte est un défi, confie cet enseignant dans un lycée du chef-lieu du département sous couvert d'anonymat. Il est passionné par son travail mais a souvent le sentiment de ne pas mener à bien sa mission de service public. "Honnêtement, des lycées à 3 000 élèves, ça n'existe pas ailleurs", déplore cet enseignant qui fait partie de ceux qui, à voix basse, soutiennent l'opération Wuambushu parce que dit-il, "on n'a plus la place". D'après les chiffres, il manque 850 classes en primaire à Mayotte.
Un manque de personnel dans la santé
L'autre secteur asphyxié à Mayotte est celui de la santé, explique des soignants (médecins, infirmières, sages-femmes) que l'on croise à Mayotte, comme Pauline. Cette Normande de 27 ans a été recrutée 24 heures après avoir envoyé son CV par le Conseil départemental tellement le manque de personnel est criant. Elle travaille dans un service de Protection maternelle et infantile (PMI). "C'est le bazar à l'hôpital, il n'y a pas d'autre mot, lâche Pauline. À la PMI, on est tout le temps en recherche de nouvelles sages-femmes. Au Centre hospitalier de Mayotte, ils sont tout le temps en sous-effectif. Il n'y a pas assez de sages-femmes pour faire les consultations pathologiques. Il n'y a pas de médecin pour recevoir les patientes. Donc en fait les patients, on se les balance un peu à droite à gauche. On est un peu insatisfaits parce qu'on se dit que le travail n'est pas bien accompli."
"Ces mamans sont à 95% des Comoriennes qui n'ont pas les papiers. J'ai déjà des patientes qui m'ont demandé de l'argent pour manger. Elles n'ont pas les moyens pour nourrir leur famille. J'ai déjà eu une dame qui m'a dit qu'elle mangeait des cailloux pour combler ce vide dans le ventre."
Pauline, soignanteà franceinfo
On raconte souvent que la maternité de Mayotte est la première de France avec 10 000 naissances par an. Des mamans venues des Comores qui prennent les "kwassa kwassa", ces embarcations de fortune, pour pouvoir accoucher sur ce bout de France située à 70 km. "Je comprends parfaitement qu'elles viennent à Mayotte, explique Pauline. Ici, on soigne tout le monde et on ne demande rien."
Un sentiment d'abandon
Les inégalités sociales et économiques, enracinées à Mayotte, concernent une majorité. Les étrangers représentent 50% de la population, l'une des plus pauvres de France dans son ensemble. "Le niveau de vie est très défaillant puisque 80% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, puisqu'ici les prix de la consommation sont 40% plus chers qu'en métropole et pourtant le Smic est inférieur", explique Flor Tercero, avocate au barreau de Toulouse, membre d'une délégation d'avocates qui défend les familles des bidonvilles visés par des destructions.
"L'absence de structures de soins, de scolarisation ou de transports publics et le simple fait de devoir aller travailler qui peut impliquer qu'on se lève à 4h du matin pour être à 8h quelque part, ce sont autant de choses qui désorganisent les familles également."
Flor Tercero, avocateà franceinfo
Ce manque d'investissement à long terme génère un sentiment d'abandon, qui engendre des risques de débordements, de blocages, de violences selon une déclaration du bureau Conseil économique et social datée de janvier 2023. Pour le Cese, il faut une loi de développement à Mayotte.
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