"Ce sont les meilleurs qui meurent, les plus courageux, les plus sincères" : portrait de trois opposants politiques emprisonnés en Russie

Deux mois après la mort d'Alexeï Navalny, principal opposant à Vladimir Poutine, les associations de défense des droits de l'homme estiment que plus d'un millier de personnes sont emprisonnées en Russie pour s'être opposées au pouvoir.
Article rédigé par Virginie Pironon
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
De gauche à droite, les opposants politiques russes Vladimir Kara-Murza, Sacha Skochilenko et Ilya Iachine. (Alexander NEMENOV / AFP et Olga MALTSEVA / AFP)

L’élection présidentielle de la Fédération de Russie aura lieu du vendredi 15 au dimanche 17 mars. Un scrutin sans suspense, moins de deux mois après la mort en prison de l'avocat Alexeï Navalny, le principal opposant à Vladimir Poutine. Selon les organisations des droits de l’homme, ils sont aujourd’hui plus d’un millier de prisonniers politiques à être détenus dans les geôles du pouvoir russe. Mais certains continuent de s’exprimer, alors que leurs proches craignent pour leur vie.

C’est le cas de Vladimir Kara-Murza, arrêté en avril 2022 à Moscou et condamné par les autorités russes à 25 ans de prison pour trahison. Ce militant de la lutte anticorruption a échappé à deux tentatives d’empoisonnement en 2015 et 2017. Depuis, sa santé est extrêmement fragile.

Détenu à Omsk, en Sibérie, où il est placé à l’isolement, ce proche d’Alexeï Navalny n’a pas manqué de réagir à la mort de son ami. Dans une série de posts sur le réseau social X, il accuse Vladimir Poutine : "Cet homme porte avec lui la mort depuis qu’il est au pouvoir. Ce sont les meilleurs qui meurent, les plus courageux, les plus sincères" 

"À lui seul, un vieillard vindicatif, lâche et avide détruit tous ceux qu’il voit comme une menace pour son pouvoir."

Vladimir Kara-Murza, opposant politique russe

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De son côté, Ilya Iachine a été condamné en 2022 à huit ans et demi de prison pour avoir dénoncé la guerre en Ukraine. Fin février, il comparaissait à distance depuis sa prison, au cours d'une audience au tribunal filmée par une poignée de journaliste. Dans son adresse au juge, Ilya Iachine défiait Vladimir Poutine, n’hésitant pas à le traiter de tyran : "Votre honneur, j'ai la fierté de vous le dire ouvertement : je ne vais pas commencer à m’abaisser, à avoir peur, à pleurer, vous implorer pour un verdict plus clément. Je serai plus à l’aise de vivre ces années même en captivité, avec dignité, sans me résigner à la volonté d’un homme qui représente le mal."

Evguenia Kara-Mourza, la femme de Vladimir Kara-Mourza, vit à Washington avec ses trois enfants. "Les voix intrépides comme celles d'Alexeï Navalny, de mon mari, d'Ilya Iachine et des centaines de prisonniers politiques en Russie font immensément peur à Vladimir Poutine qui n'est qu'un assassin, un tchékiste qui ne sait que faire la guerre, voler et tuer", affirme-t-elle. 

Emprisonnée pour avoir collé des étiquettes sur la guerre en Ukraine

Et depuis le début de la guerre en Ukraine, la répression est encore plus large. Elle concerne toutes les franges de la société. Depuis l’adoption en Russie il y a deux ans d’une loi dite "contre les fake news", des milliers de personnes ont été inquiétées par la justice. Sacha Skochilenko est une artiste, musicienne, poétesse. La jeune femme de 33 ans a été condamnée à sept années de prison en novembre dernier, pour avoir changé les étiquettes de prix d'un supermarché de Saint-Pétersbourg par des étiquettes contenant des messages sur la guerre en Ukraine.

"Chaque étiquette donnait une information, explique sa mère, Nadejda, réfugiée en France près de Paris. Par exemple : 'Poutine nous ment depuis 20 ans à la télévision', ou encore : 'À Marioupol, ils ont bombardé le théâtre, où 400 personnes étaient réfugiées'... Ce genre de choses." En prison, la santé de Sasha Skochilenko, comme celle de centaines d’autres prisonniers, décline. La jeune femme souffre d’une maladie digestive et a des problèmes cardiaques. "Son cœur s'arrête parfois plus de deux secondes, s'inquiète sa mère. Son état de santé n'est pas du tout compatible avec un maintien en prison, où il ne peut y avoir aucune aide médicale d'urgence." Sans nourrir beaucoup d’espoirs, la jeune femme a fait appel.

"La montagne de lettres que je reçois me réchauffe"

En attendant, son important comité de soutien publie ses messages et ses dessins sur internet car en Russie, il est possible de correspondre avec les prisonniers via une plateforme en ligne soumise à la censure de l'administration pénitentiaire.

"Si tous les prisonniers politiques en Russie recevaient le même soutien que moi, on vivrait probablement aujourd'hui dans un autre pays, s'enthousiasme la jeune femme. Vous êtes tous des gens super, vous qui envoyez des messages d'amour et de soutien à une personne que vous ne connaissez pas. Parfois, je me sens vraiment mal ici, c'est presque insupportable. Mais la montagne de lettres que je reçois me réchauffe comme le ferait un feu de camp en pleine forêt l'été." Pour la jeune femme, la Russie tout entière ressemble aujourd’hui à une immense prison. Mais la machine répressive, dit-elle, ne sera pas éternelle.

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