Taxation des supers profits : "On ne réglera aucun des problèmes du pays en augmentant les impôts", selon France Industrie

La présidente de l'Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, a remis vendredi sur la table la question de la taxation des superprofits. Mais pour Alexandre Saubot, le président de France Industrie, "les profits sont déjà taxés".
Article rédigé par Camille Revel
Radio France
Publié
Temps de lecture : 8 min
Alexandre Saubot le 22 mars 2024. (FRANCEINFO / RADIOFRANCE)

La présidente de l'Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, a réclamé vendredi 22 mars "d'entamer la réflexion" sur une contribution "exceptionnelle" des grandes entreprises en cas de "superprofits" ou de "superdividendes". Le ministre de l'Économie et des Finances, Bruno Le Maire, a indiqué de son côté que "les impôts n'augmenteront pas" en France. Il n'envisage une éventuelle taxation des contribuables les plus fortunés qu'à l'échelle européenne ou mondiale. "La France a de nombreux défis à affronter. Elle a le taux de prélèvements obligatoires le plus élevé du monde dans une économie ouverte", souligne Alexandre Saubot, le président de France Industrie, ce vendredi sur franceinfo. France Insutrie représente 50 grandes entreprises privées et publiques des secteurs industriels et 31 fédérations.

Par ailleurs, les États membres de l'Union européenne ont validé, vendredi 15 mars, une législation sur le devoir de vigilance. Elle prévoit que les grandes entreprises soient juridiquement responsables des violations des droits humains, sociaux et des dommages environnementaux, y compris pour leurs fournisseurs et filiales. La balle est dans le camp du Parlement européen qui doit se prononcer sur le texte mi-avril. Le patronat s'oppose à ce texte, c'est le cas notamment de France Industrie.

franceinfo : D'abord, quelle est votre position sur la taxation des superprofits ?

Alexandre Saubot : Je pense que la France a de nombreux défis à affronter. Elle a le taux de prélèvements obligatoires le plus élevé du monde, dans une économie ouverte. Donc, je pense, ça devrait être une évidence pour tout le monde, qu'on ne réglera aucun des problèmes du pays en augmentant les impôts. En plus, on a la redistribution la plus forte, avec la réduction des inégalités la plus forte. Donc aujourd'hui, l'enjeu du pays, c'est : comment est-ce qu'on crée plus de richesse ? Comment est-ce qu'on mobilise notre tissu économique, nos collaborateurs ? Comment est-ce que le gouvernement simplifie notre environnement pour répondre aux défis du pays sur l'emploi, sur les finances publiques, sur la décarbonation ?

Des entreprises de votre secteur réalisent en 2023 des bénéfices records, qui viennent d'être publiés.

C'est une très bonne nouvelle. L'État prend 25% de ce que les entreprises françaises gagnent. Je crois que l'impôt sur les sociétés a fortement augmenté ces dernières années, donc les profits sont déjà taxés. Je sais que dans l'énergie, il y a des dispositions spécifiques. Je crois que l'idée des dispositions, c'est que les énergéticiens sont protégés quand le cours d'électricité tombe très bas, pour éviter que les investissements, notamment dans le renouvelable qu'ils ont fait, ne soient pas rentables et pour inciter les gens à investir. Et la contrepartie, c'est que quand le prix monte, il restitue tout ou partie de ce qui dépasse. Et ces dispositifs, je pense, fonctionnent, après dans quelles conditions ? Je ne suis pas le plus grand expert de cette question technique.

Pourquoi êtes-vous contre la directive européenne sur le devoir de vigilance ?

Tout le monde est d'accord sur les objectifs. La question, c'est comment on veut les atteindre. En plus, on parle de grandes entreprises. Je rappelle que ça descend jusqu'à 1000. J'ai la chance de diriger une entreprise de 2000 personnes. Je ne me suis jamais vu comme une grande entreprise. 

"Ce qui va nous être demandé par ce texte, pour la majorité des entreprises qui y sont soumis, est juste inapplicable."

Alexandre Saubot

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Des dizaines de milliers de références, des milliers de fournisseurs, des chaînes de valeur qui ne sont pas limitées dans la profondeur.

On ne peut pas le faire. Encore une fois, le texte français qui préexistait, qui posait déjà pas mal de problèmes, ne traitait que les entreprises de plus de 5 000. Et quand vous les interrogez déjà, elles avaient du mal. Mais imaginer qu'une entreprise comme la nôtre, qui a 500 fournisseurs qui achètent plus de 17 000 composants différents, la capacité à les auditer dans des conditions raisonnables et avec un niveau de sécurité et de confort suffisant est juste totalement illusoire. Ce n’est pas comme ça qu'il faut prendre le problème.

Que doit-on faire face à ces enjeux ?

Il faut continuer à réaffirmer les objectifs. Les entreprises, chaque fois qu'elles le peuvent, s'interrogent sur avec qui elles travaillent, sur quel fournisseur. Mais ce type de réglementation doit être un, vu à l'aune de ce que les entreprises savent faire. Et deuxièmement, on ne peut pas être la seule région du monde qui va faire courir un risque juridique à ces entreprises, quand les entreprises américaines ou chinoises n'y sont pas exposées. Alors que la souveraineté est un enjeu majeur qui a été réaffirmé dans la déclaration d'Anvers et avec le soutien à madame Von der Leyen. 

"Prendre une disposition de ce type, quand l'objectif c'est de produire plus en Europe, n'a aucun sens."

Alexandre Saubot

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Qu'êtes-vous prêts à faire ?

On fait déjà énormément de choses. On choisit nos fournisseurs, on fait un certain nombre de vérifications. Mais l'idée qu'on peut aller dans l'intégralité de la profondeur des chaînes de valeur pour des entreprises de taille aussi faible, c'est juste que ça ne marchera pas.

Est-ce une question de compétitivité ?

C'est une question de risque juridique, de compétitivité, de capacité à faire. Encore une fois, on viendra peut-être sur les sujets environnement, mais la meilleure façon de décarboner la planète, c'est de produire plus en Europe. Et en Europe, c'est de produire le plus possible en France, puisqu'on a le point de PIB le plus décarboné du monde, l'énergie la plus décarbonée de tous les grands pays européens. Donc, plus on fait en France, plus on protège la planète. Donc, prendre des dispositions qui, par leur complexité, leur applicabilité et leur coût, découragent des gens à faire à l'endroit où il faut faire pour protéger la planète, ça n'a aucun sens.

Est-ce que la France peut se réindustrialiser ? Avez-vous senti un tournant politique sur ces questions-là ?

Je pense que depuis le milieu de la décennie précédente, avec le rapport de Louis Gallois, il y a eu une prise de conscience que si la France n'arrêtait pas cette désindustrialisation, elle allait dans le mur, que collectivement, on allait se retrouver avec une balance commerciale, une création de richesse et une situation fragile. Et l'affaiblissement de la France, on ne peut pas toujours le financer par un surcroît de dette. Donc, il y a eu un changement d'état d'esprit. Après, comme toujours dans l'industrie, c'est le temps long. Donc quand on prend des décisions, ça met du temps à produire des résultats. Sur la période 2000-2015, on a détruit entre 50 et 100 000 emplois par an dans l'industrie. 

"Depuis 2017, en cinq ans, on en a créé 100 000. Donc certes 100 000 en cinq ans ce n'est pas énorme, mais par rapport à la trajectoire précédente, c'est une forte inflexion."

Alexandre Saubot

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Et mon inquiétude aujourd'hui, c'est que dans l'environnement réglementaire, les problèmes d'énergie, les enjeux de souveraineté, c'est que cette dynamique s'enraye et que cette trajectoire, qu'il faut poursuivre pendant les quinze prochaines années si on veut y arriver, s'interrompe ou soit fragilisée.

Qu'est-ce qu'il faudrait faire alors pour éviter ça ?

Il faut continuer à soutenir nos entreprises. Il faut continuer à leur simplifier la vie. Il faut continuer à les écouter. Quand ils disent qu'une réglementation n'est pas applicable, il faut les écouter. Quand ils disent que le Mécanisme d'Ajustement Carbone aux Frontières (MACF) fait courir plus de risques qu'il règle davantage. Il faut les écouter quand ils disent que le zéro artificialisation net va faire peser un risque sur le développement de certaines entreprises, dans certains sites. Si la priorité, c'est la réindustrialisation, il faut mettre tous nos actes en cohérence avec l'objectif stratégique, que je crois que tout le monde partage.

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