Déficit public : "C'est difficile de faire de gros efforts d'économies sans toucher les collectivités locales", estime le spécialiste des finances publiques François Ecalle.

Le gouvernement est toujours en quête d'économies, y compris de la part des collectivités territoriales. François Ecalle, ancien magistrat de la Cour des comptes, est l'invité éco de franceinfo.
Article rédigé par Camille Revel
Radio France
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François Ecalle, ancien magistrat de la Cour des comptes, président de Fipeco, association d'information sur les finances publiques. (RADIOFRANCE)

Le déficit public de la France a atteint 5,5% du PIB en 2023. Le gouvernement cherche donc à réaliser des économies, un Haut Conseil des finances publiques locales s'est tenu ce mardi 9 avril, à Bercy. François Ecalle, ancien magistrat de la Cour des comptes et président de Fipeco, association d'information sur les finances publiques, est l'invité éco de franceinfo.

franceinfo : Que ressort-il d'une réunion de cette instance ? Est-ce que ça a une utilité ?

François Ecalle : Il est toujours utile que l'État et les collectivités locales se parlent. Mais on pouvait penser qu'il n'en sortirait pas grand-chose et apparemment, il n'en est pas sorti grand-chose. D'abord, parce que l'État voudrait que les collectivités locales fassent des économies, mais il n'a pas beaucoup de soutien parmi les élus locaux. Et puis, c'est un sujet qui est un peu un dialogue de sourds depuis des dizaines d'années entre l'État et les collectivités locales. Mais l'État demande des efforts aux collectivités locales qui lui répondent qu'elles sont bien gérées, à l'équilibre, et l'État leur répond qu'il leur reverse chaque année 50 milliards d'euros de subventions. Les collectivités répondent qu'il leur impose aussi des tas de dépenses et de normes, donc c'est un dialogue de sourds.

Est-ce qu'il y a des pistes pour faire des économies au niveau des collectivités ?

Oui, parce qu'on a quand même un problème d'endettement public qu'il faut arriver à stabiliser. Il faut reprendre le contrôle, donc réduire quand même un peu le déficit. Et si on ne veut pas augmenter les impôts, il faut jouer sur les dépenses et les collectivités locales, c'est quand même 20% des dépenses publiques. Donc c'est difficile de faire de gros efforts d'économies sans toucher les collectivités locales. Le problème, c'est qu'il n'y a pas beaucoup d'instruments, parce que les collectivités locales sont autonomes, elles recrutent comme elles ont envie de recruter, elles dépensent ce qu'elles ont envie de dépenser. Le seul instrument dont dispose l'État, ce sont les ressources qu'il leur apporte, justement, les subventions ou les impôts qu'il leur affecte.

Quels peuvent être les leviers utilisés selon vous ?

Il y a des leviers qui ont déjà été utilisés. Sous François Hollande, l'État a supprimé une douzaine de milliards d'euros de subventions aux collectivités locales. Elles l'ont très mal pris d'ailleurs. Dans le premier quinquennat d'Emmanuel Macron, l'État a essayé de leur faire faire des économies avec des dispositifs de contrats dans lesquels, justement, on conditionnait ces subventions à des efforts sur les dépenses. On peut continuer comme ça. Après, l'État a aussi une responsabilité parce qu'une des raisons pour lesquelles il y a sans doute des économies à faire dans les collectivités locales, c'est la superposition des collectivités locales et l'enchevêtrement des compétences. Et ça, c'est vrai que c'est lui qui définit les compétences des collectivités locales. Mais c'est un chantier à très long terme. Ça, ce n'est pas des économies pour demain.

Est-ce que l'emploi est un levier ?

L'emploi est un levier. Typiquement, sur les 25 dernières années, les collectivités locales ont créé plusieurs centaines de milliers d'emplois, sans même compter ceux qui ont été transférés par l'État dans le cadre de la décentralisation. Et on voit bien qu'il y a des doublons un peu partout, par exemple entre les communes et les intercommunalités. Donc il y a des économies, mais les collectivités locales sont responsables, ce sont elles qui recrutent et l'État ne peut pas les empêcher de recruter, il ne peut que réduire leurs ressources.

Le gouvernement cherche 20 milliards d'euros d'économies en 2025. Peut-il les trouver ?

Ça va être très difficile. Sur le papier, on peut écrire qu'on va désindexer une partie des pensions de retraite. On voit bien que politiquement, c'est extrêmement difficile. On peut, sur le papier, dire qu’en effet, on va réduire les ressources des collectivités locales et les obliger à moins recruter. Sur le papier, on peut arriver à trouver ces économies. Mais dans le contexte politique et social français actuel, ça va être extrêmement difficile.

Pour remettre les choses en perspective, on a un déficit qui atteint 5,5% du PIB en 2023 selon l'Insee. Un objectif qui reste le même, passer sous la barre des 3% d'ici 2027. Est-ce tenable ?

Non, je ne pense pas. Je pense que la bonne politique budgétaire, aujourd'hui, consiste justement à se donner un objectif d'évolution des dépenses et à s'y tenir. Après, si le déficit est plus important, comme cela a été le cas en 2023, c'est un déficit conjoncturel, comme disent les économistes, et il ne faut pas essayer de le combler à tout prix parce qu'on n'arrivera pas à trouver des économies suffisantes. Ensuite, économiquement, ce n'est pas forcément une bonne chose d'essayer de compenser systématiquement une perte de recettes, par exemple, puisqu'on risque d'avoir des effets négatifs sur l'activité.

Est-ce que 5,5% de déficit, c'est si grave que ça ?

Oui, c'est embêtant. La dette a augmenté et on a une dette publique qui restait justement l'an dernier au-dessus de 110% du PIB alors qu'elle devait baisser en dessous. Donc, on n'a pas réussi vraiment à la diminuer. Il n'y a pas le feu au lac au sens où l'État peut continuer à emprunter sans aucune difficulté, mais on prend le risque qu'un jour nos créanciers prennent peur, augmentent fortement les taux d'intérêt et qu'il y ait une crise. Alors, il y a toujours la Banque centrale européenne, qui peut intervenir, mais elle ne peut en principe intervenir que si nous avons des finances publiques, relativement saines et si nous prenons des mesures de redressement. Donc, en tout cas, on se met dans une situation où notre souveraineté va dépendre de décisions qui seront prises à Francfort.

Parlons justement d'Europe. Bercy va présenter le prochain programme de stabilité. Quels contours, selon vous, devrait-il avoir ?

Je pense que pour arriver aux 3% de déficit sur le papier, ils vont être amenés à présenter un scénario de croissance économique qui sera très optimiste, diront les économistes, et des objectifs d'économies qui seront infaisables. Donc, sur le papier, oui, on affichera peut-être, en effet, dans ce programme de stabilité, un déficit à 3% du PIB en 2027, mais comme tous les programmes de stabilité présentés par la France, qui ont tous été plus ou moins comme ça depuis 25 ans, on n'y arrivera pas. On prend des engagements qui ne sont pas crédibles et en fait, on perd notre crédibilité parce qu'on n'y arrive jamais.

Peut-être faudrait-il leur présenter un programme un peu moins optimiste ?

Je pense, oui. Je pense qu'il vaut mieux être un peu moins optimiste, peut-être un peu moins ambitieux et un peu plus crédible.

La France va se faire épingler par l'Europe au vu de son déficit ?

La France sera automatiquement considérée comme étant en déficit excessif parce que le plafond de 3% du produit intérieur brut pour le déficit existe toujours dans le Traité de Maastricht. Et donc on va demander, en effet, à la France, de faire des économies. Mais celles qui sont déjà envisagées par le gouvernement sont à peu près en ligne avec ce que devrait nous demander l'Union européenne. Donc, en fait, elle va nous demander, en effet, de faire ce à quoi nous nous sommes engagés jusqu'à présent, mais sans nous en demander plus. Donc le déficit à 3% en 2027, je ne pense pas qu'elle nous le demande vraiment en fait.

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