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Pass vaccinal à l’Assemblée nationale : les absents ont toujours tort !

Tous les jours, Clément Viktorovitch décrypte les discours politiques et analyse les mots qui font l'actualité. 

Article rédigé par franceinfo
Radio France
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Débats sur le pass vaccinal à l'Assemblée nationale, le 3 janvier 2022. (OLIVIER CORSAN / MAXPPP)

Le projet de loi transformant le pass sanitaire en pass vaccinal, dont l’examen a été suspendu le lundi 3 janvier à la surprise générale, reprend finalement ce 4 janvier au soir. Cet épisode dépasse le seul affrontement rhétorique : il pose, aussi, de profondes questions politiques.

Pour que le pass sanitaire puisse être transformé en pass vaccinal le 15 janvier prochain, il faut absolument qu’une loi soit adoptée par le Parlement dans des délais très serrés. L’examen a commencé le 3 janvier. Tout se passe bien pour le gouvernement, la majorité est majoritaire, jusqu’à ce qu’Olivier Véran demande, en fin de soirée, l’autorisation de prolonger les débats dans la nuit. En théorie, une simple formalité. Quand soudain, de nombreux députés de l’opposition surgissent dans l’Hémicycle, et mettent le gouvernement en minorité !

Cela n’a pas manqué de faire réagir l’exécutif. "Une manoeuvre navrante", pour la ministre du Travail Élisabeth Borne, invitée de franceinfo ce mardi 4 janvier. Amélie de Montchalin, ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, a dénoncé sur RMC "le spectacle de députés d'opposition, qui ont joué une bonne pièce de théâtre, et qui sont allés se coucher tôt". Sur LCI, le secrétaire d'État chargé des Affaires européennes, Clément Beaune, a quant à lui qualifié l'épisode de "coup politique d'un cynisme absolu". "Une volonté manifeste d'obstruction", a renchéri le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, sur France Inter. Les ministres sont donc très en colère contre l’opposition !

Le gouvernement s'indigne 

Cette colère est compréhensible. C’est un peu malicieux, tout de même, ce qu’ont fait les députés de l’opposition. Il faut savoir qu’au Parlement, il existe un principe non écrit : dans l’Hémicycle, on laisse la majorité être majoritaire. C’est comme ça, et c’est plutôt sain : c’est ce qui permet à une partie des députés de ne pas forcément venir en séance publique, pour avoir le temps de faire des auditions ou de préparer des amendements. Hier, en se cachant dans les couloirs et en débarquant par surprise au moment d’un vote stratégique, les membres de l’opposition ont violé cette règle, pour retarder l’adoption d’un texte que le gouvernement juge crucial pour le succès de sa politique sanitaire.

Le cœur du problème, c'est que depuis le début de la crise sanitaire, le Parlement a été malmené. Les députés et sénateurs ont été contraints d’examiner des textes à marche forcée, dans des conditions qui ne permettaient pas de les discuter sereinement. Ils ne peuvent pas non plus exercer efficacement leur fonction de contrôle, puisque la mission d’information de l’Assemblée nationale sur la crise sanitaire a été dissoute en janvier dernier, contre l’avis de toutes les oppositions. Et surtout, ils doivent se contenter de ratifier après coup des mesures présentées comme déjà actées par l’exécutif.

Par exemple, le projet de loi discuté actuellement prévoit une jauge maximale de 5 000 personnes dans les stades, que le stade en comporte 10 000 ou 50 000. Le député Sacha Houlié, pourtant membre de La République en Marche, proposait que la jauge soit plutôt proportionnelle à la taille du stade. L’amendement avait été voté en commission, mais le ministre de la Santé Olivier Véran s’y est opposé en séance publique : ce sera la volonté du gouvernement qui prévaudra, sur ce point, comme, et c’est là le problème, sur presque tous les autres. Le Parlement commence fort à ressembler à une simple chambre d’enregistrement.

Le Parlement malemené depuis le début de la crise sanitaire 

Ce n’est pas totalement nouveau, mais avec deux différences tout de même. D'une part, l’ampleur de l’emprise que l’exécutif s’est arrogé sur le législatif puisque rien qu'en 2019, la moitié des textes de loi étaient issus d’une ordonnance, c’est-à-dire rédigés directement par le gouvernement. C’était un quart 20 ans plus tôt.

D’autre part, nous sommes dans une période très particulière. Depuis un an et demi, le Parlement est appelé à voter des restrictions drastiques de nos libertés publiques. Et il le fait dans de très mauvaises conditions. Hier, les députés discutaient du pass vaccinal : quoi qu’on en pense, qu’on le juge justifié ou non, c’est une entorse importante aux libertés. Et oui, sur un tel enjeu, peut-être les membres de la majorité auraient-ils pu se déplacer. L’opposition, certes, s’est montrée légèrement roublarde. Mais au fond, n’était-ce pas justifié ?

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