En Turquie, un projet de musée de "la honte" dans une ancienne prison militaire
Dans l'est de la Turquie, à Diyarbakir, la plus grande ville kurde, se joue le devenir d'une ancienne prison. Plus précisément, la tristement célèbre prison militaire numéro cinq, l’un des dix pires lieux de détention au monde selon le Times. Un infâme lieu de détention dont la construction avait été achevée juste avant le coup d’Etat de 1980 et où l’armée turque a torturé plusieurs milliers d’opposants, kurdes pour la plupart.
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La prison a été fermée en octobre 2022. Elle se trouve en pleine ville, avec ses hauts murs aujourd’hui décrépits surmontés de sacs de sable et de barbelés, son sinistre portail métallique, son mirador. Même les gardiens avaient conscience de la cruauté qui y régnait. Dans cette prison, ils disaient : "ici Dieu n’existe pas et ses prophètes sont en congé", explique Nuri Sinir, un ancien détenu. Il a pris aujourd’hui la tête d’un collectif d’anciens prisonniers qui entendent que ce lieu devienne un Musée de la honte. Et un lieu de mémoire pour rendre hommage à ceux qui y sont morts.
Ils veulent par exemple que soient exposés les instruments de torture, que soient montrés les sévices qui avaient cours. "Je vais vous donner un petit exemple, explique l'ancien détenu Nuri Sinir. Ils m’ont ramené, attaché par les pieds et il y avait un trou avec des excréments et ils m’ont plongé la tête dedans à plusieurs reprises. Si cela devient un musée, je souhaiterais qu’il y ait une statue qui représente cela."
Combat contre l'oubli
Les coups, les viols, tortures à la cigarette, simulacres d’exécution, de procès, les privations d’eau ou de nourriture... Les anciens prisonniers souhaitent que tout soit consigné. Pour que les nouvelles générations sachent ce qui s’est passé, et empêcher la répétition de la barbarie.
Si ces anciens prisonniers se mobilisent c’est parce qu’ils redoutent que le gouvernement turc ne prenne la main sur l’avenir du bâtiment. Les autorités souhaitent le transformer en centre culturel. Hors de question pour les Kurdes, qui dénoncent une tentative d’effacer une fois de plus leur identité. Ils y ont en effet été torturés pour en faire de "bons Turcs". Et ils n’étaient pas seuls dans les geôles :
"Arméniens, Chaldéens, Nestoriens, Syriaques, musulmans, peu importe la religion. Ils n’acceptaient rien, l’existence humaine, l’existence kurde, l’existence arménienne, l’existence des autres. Tout le monde devait être turc", énumère Nuri Sinir. C’est donc contre l’oubli mais aussi, disent-ils, pour toutes ces cultures qu’ils se battent aujourd’hui.
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