C'est dans ma tête. Suicide et précarité : la précarité peut-elle tuer ?
L'étudiant qui s'est immolé par le feu, le 8 novembre dernier, s'est brûlé sur 90% du corps. Anas est toujours placé en coma artificiel et son état est stationnaire, selon ses proches. Son passage à l'acte et la lettre qu'il a laissée, mettent en relief la précarité dramatique dans laquelle sont plongés de nombreux étudiants.
Un étudiant s’est immolé par le feu, à Lyon, en laissant une lettre qui dénonce la précarité dans laquelle il vivait. Et depuis, beaucoup de gens s’interrogent : Le suicide de cet étudiant peut-il s’expliquer par les difficultés de ses conditions de vie, ou faut-il penser qu’une fragilité psychologique l’aurait conduit à ce geste tragique ? La psychanalyste Claude Halmos nous apporte son éclairage.
franceinfo : Est-ce que la précarité peut conduire quelqu’un au suicide ?
Claude Halmos : Personne ne peut, sans l’avoir écouté, prétendre expliquer ce qui a conduit ce jeune homme au désespoir. Mais on peut, néanmoins, dire que la précarité peut amener quelqu’un à vouloir mourir.
Pour quelles raisons ?
Une personne se suicide pour tenter d’échapper à une situation qu’elle ne parvient pas à changer, qui provoque une souffrance qu’elle ne peut plus supporter ; et qui lui donne d’elle-même une image qu’elle ne peut plus assumer : on essaye toujours, par le suicide, de tuer celui (ou celle) que l’on croit être, et que l’on ne veut pas être.
Et cette image d’elle-même, qu’a la personne, est toujours due à la fois, au passé : à ce qu’elle a vécu, depuis qu’elle est née. Et au présent : à ce que sa vie adulte l’oblige à affronter. Les humains sont comme les bateaux : leur résistance aux tempêtes dépend à la fois de leur construction initiale, et de la force de ces tempêtes.
Une tentative de suicide comme celle-ci, peut donc tenir à la fois à des problèmes personnels, et à des conditions de vie ?
Oui. Mais à condition de préciser que la force de certaines tempêtes est telle, qu’elles peuvent avoir raison même des bateaux les mieux construits. Et la précarité est une tempête de ce type. Elle est, pour le psychisme, une épreuve majeure.
Avoir aussi peu de ressources qu’en avait cet étudiant, c’est être condamné à une vie dominée par la privation, dans laquelle on peut seulement essayer, pour survivre, de satisfaire ses besoins vitaux. Sans avoir jamais droit ni au plaisir (d’une sortie, d’un vêtement, d’une nourriture que l’on aime) ; ni au désir, puisque l’on ne peut rien choisir, et que c’est la pénurie seule qui décide. Et une vie, de plus, d’où l’espoir est banni, puisque l’on sait que rien ne changera.
C’est une situation qui détruit l’image que l’on a de soi-même. D’abord parce que, même si c’est absurde, on s’accuse toujours de ne pas mieux s’en sortir. Et surtout parce qu’elle conduit à penser que l’on n’a pas, dans la société, la même valeur, et la même place que les autres ; que l’on est un "laissé pour compte", quelqu’un qui ne compte pas.
C’est une situation inhumaine, c’est-à-dire incompatible avec les besoins psychiques d’un être humain ; et qui peut, de plus, venir répéter, et redoubler des aspects de son histoire personnelle, ou de celle de ses parents. Et elle peut, si elle dure, conduire à ne plus vouloir vivre.
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