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"Grande gueule", amoureux du Code du travail, "troll" sur Twitter... Qui est Gérard Filoche, le trublion exclu du PS ?

Article rédigé par Margaux Duguet, Louis San
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 12 min
Gérard Filoche pose à Paris, le 19 septembre 2016. (JOEL SAGET / AFP)

L’ancien inspecteur du Travail de 71 ans est jugé mercredi pour "provocation à la haine ou à la violence" après la publication d’un tweet jugé antisémite visant Emmanuel Macron.

Elle le prend par les bras et lui chuchote à l’oreille : "Faut mettre tes lunettes Gérard." Puis, Anne de Haro, conseillère prud’homale et déléguée CGT chez Wolters Kluwer France, se redresse et nous glisse : "A part qu’il ne voit pas bien, il est extraordinaire." Attablé dans son café fétiche juste en dessous de chez lui, aux Halles, dans le 1er arrondissement de Paris, Gérard Filoche sourit, et le répète pour se défendre : il n’a pas bien vu ce qu’il a posté sur Twitter. L’ancien inspecteur du Travail, membre du Bureau national du PS, paraît étonnamment serein pour un homme en pleine tempête. Dans la nuit du vendredi 17 au samedi 18 novembre, il a posté un photomontage montrant Emmanuel Macron le bras orné d’un brassard inspiré des nazis. La croix gammée y est remplacée par le signe dollar. Tandis qu'en arrière-plan figurent des photos de Patrick Drahi, Jacob Rothschild et Jacques Attali, devant les drapeaux américain et israélien.

Le tollé est immense, l’indignation générale, la condamnation unanime. Lui plaide "la connerie". "J’ai été inattentif, pas vigilant, raconte-t-il. Je corrigeais les épreuves d’un livre sur la politique de Macron. C’est un gars qui nous insulte tous les jours, il me met un peu colère. J’ai fait ce tweet avant de me coucher. J’ai cherché une image pour Macron, je ne l'ai pas vraiment regardée. Puis, c’est mon fils qui m’a réveillé et quarante minutes après avoir posté le tweet, c’était retiré." Trop tard. Le parquet de Paris a ouvert lundi une enquête préliminaire pour "provocation à la haine ou à la violence". Et ses camarades du PS ont tranché son sort, mardi soir en bureau national, en prononçant à l'unanimité son exclusion du parti.

Quelques heures avant cette décision, Gérard Filoche prévenait :

Si la maison me met dehors, elle se suicide en même temps (...). S’ils perdent leur caution de gauche, ça va mal aller.

Gérard Filoche

à franceinfo

"Il est insupportable, ça c'est vrai"

Gérard Filoche n’en est pas à sa première exclusion. Il est né en 1945, à Rouen (Seine-Maritime) d'un père ouvrier et d’une mère aide-soignante. Il est viré du lycée Fontenelle six mois avant le bac. "On était un groupe de lycéens et on se moquait du poète Paul Déroulède, un facho, un intégriste, ça nous donnait de la matière", dit-il. Le jeune homme est exclu "pour mauvais esprit" et passera son bac en candidat libre. Il l'obtiendra "brillamment". Puis arrive Mai-68 et la carrière de prof de philo que s’apprête à embrasser Gérard Filoche vole en éclats. "Mai 68, c’est la libération, un épanouissement personnel. Je savais très peu parler, je bégayais", se souvient celui qui devait alors prendre la parole dans des amphis bondés.

Gérard Filoche lors d'un entretien pour franceinfo à Paris, le 20 novembre 2017. (MARGAUX DUGUET / FRANCEINFO)

L’Unef, la CGT puis le PCF. Gérard Filoche enchaîne les combats politiques. "C’était un excellent militant et à cette époque, il était assez discipliné, c’est la grosse différence", se souvient un ex-compagnon de route. "Mais assez rapidement, il a été habité par l’esprit fractionnel", ajoute-t-il.

Il faisait des courants minoritaires partout où il allait. Ça lui faisait mal au ventre d’appliquer les consignes.

Un ex-compagnon de route de Gérard Filoche

à franceinfo

En 1966, Gérard Filoche est exclu du Parti communiste où il n’est resté que trois ans. "J’avais fait un projet de tract très anticlérical de base contre Yvon Bourges qui venait de censurer La Religieuse de Jacques Rivette. Le secrétaire du PCF nous dit : 'On ne peut pas faire ça.' Le tract est sorti sous l’Unef et non le PCF. On a été exclus notamment là-dessus."

Après le PCF, Gérard Filoche participe à la Ligue communiste, qui deviendra la Ligue communiste révolutionnaire (LCR). "Il était hyper militant, très actif", se souvient Alain Krivine, le leader historique de la LCR. "Il avait une grande gueule. Il était insupportable, ça c’est vrai. Il était aussi très tendanciel, il aimait créer des courants", ajoute-t-il. Gérard Filoche quitte la LCR en 1994 pour le PS. "On était un peu étonnés, d'autant qu'aujourd’hui, il n’est pas sur la ligne du PS, mais plutôt du NPA", analyse Alain Krivine.

Inspecteur du travail, même le dimanche

Si son activisme politique prend beaucoup de place, il ne met pas sa carrière professionnelle de côté. "Gérard Filoche s’est fait connaître au moins autant en tant qu’inspecteur du travail que comme militant politique", commente Dominique Tricaud. Ce dernier, qui est l’avocat de Gérard Filoche depuis "environ vingt-cinq ans", ne tarit pas d’éloges à son sujet. "L'inspecteur du travail est là pour protéger et défendre les salariés. Gérard Filoche l'a fait d'une façon impressionnante durant toute sa vie professionnelle", juge-t-il. "Il a été considéré, tant par les employeurs que par ses collègues, comme un très grand inspecteur du travail, résume-t-il. Gérard Filoche allait tous les dimanches faire le tour de son quartier pour chasser ceux qui enfreignaient la loi."

Une version nuancée auprès du Point par "l’un de ceux qui l’ont côtoyé à l’époque" : "Il ne faisait pas grand-chose la semaine, à part militer, mais travaillait le dimanche dans son quartier du Marais pour mettre des PV contre ceux qui travaillaient le même jour !"

Reste que Gérard Filoche montre un attachement extrêmement fort au Code du travail. Pourtant, il ne se voyait pas spécialement inspecter les entreprises. "Contrairement à ce que les gens croient, il y a presque eu un choix du hasard, commente-t-il. En 1982, j'ai passé trois concours [de fonctionnaire de catégorie B] parce que j'avais mes enfants. J'ai été reçu aux trois", précise-t-il. Entre un poste de secrétaire administratif au ministère du Travail ou un autre à la Direction départementale des affaires sanitaires et sociales (Ddass) et être contrôleur du travail, il choisit le dernier. "Ça me laissait plus de liberté de mouvement", commente-t-il. Et de concéder : "Je ne connaissais pas la nature exacte de ce métier. Et quand j'ai compris, là, je suis tombé amoureux de la profession."

Les deux ouvrages apportés par Gérard Filoche lors de l'interview à franceinfo à Paris, le 20 novembre 2017. (MARGAUX DUGUET / FRANCEINFO)

Pourquoi cet "amour" ? "Faire respecter le droit", assène Gérard Filoche. "Quand vous avez été salarié vous-même pendant très longtemps et que vous êtes fils d’ouvrier, vous êtes très attentif à ce que vous voyez dans une entreprise", explique-t-il. Il devient alors lyrique en évoquant le texte de loi. "Le Code du travail, c’est le texte le plus important dans une civilisation. Si vous n’avez pas de Code du travail, vous avez la barbarie. Le Code du travail, c’est un texte fait de sueur et de sang, de luttes et de larmes", déclare-t-il de façon solennelle. 

"C’est le texte le moins enseigné. C’est le texte le plus dénigré. C’est le texte le plus vital, le plus intime, le plus essentiel pour des millions de gens. Même ceux qui ne le connaissent pas, ils en ont besoin un jour", ajoute-t-il.

C'est monsieur Code du travail. On a l'impression que c'est lui qui l'a fait. Il en fait une affaire personnelle

Alain Le Garrec, secrétaire de la section PS du 1er arrondissement de Paris

à franceinfo

Héros d'un feuilleton

Passionné par son métier, Gérard Filoche a l’idée, à la fin des années 1990, de lancer une fiction. "A l'époque, il y avait des feuilletons sur Madame la Proviseure, L'Instit et je m'étais dit : 'Pourquoi pas un feuilleton sur un inspecteur du travail ?'" Avec l’aide du producteur Michel Rotman, l’un des nombreux acteurs de Mai-68, il fait avancer son idée. France 2 finit par diffuser, en janvier 2003, en première partie de soirée, un feuilleton intitulé Simon le juste dans lequel joue notamment Annie Girardot. Le héros principal est un inspecteur du travail "profondément révolté par l’injustice qui, de visites de chantiers en entretiens avec des salariés, parvient malgré tout, à la fin, à faire régner un semblant d’équité", expose le texte de présentation.

Simon le Juste
Simon le Juste Simon le Juste
(KUIV PRODUCTIONS)

"C'étaient des histoires à moi", relève Gérard Filoche. Mais le pilote n’a pas eu de suite. "Il a fait 13,5% d'audience. Les dirigeants de France Télévisions n'ont pas trouvé cela suffisant. A mon avis, il n'y a pas beaucoup de gens qui voulaient un inspecteur du travail comme héros", commente-t-il.

Mais l’ex-fonctionnaire, qui a chez lui "plus de 1 000 carnets" détaillant ses souvenirs professionnels, compte toujours faire connaître son ancien métier. Auteur de dizaines de livres, "tous épuisés" selon ses dires, il va sortir au printemps la suite de son polar Cérium (éd. Cherche Midi), dont le héros est "un inspecteur du travail qui mène l’enquête" dans le quartier où il exerçait. "C’est le seul roman policier comme ça", insiste-t-il, confiant sur de nouvelles pistes pour une adaptation en série télé.

Un habitué des coups de sang

Une échappatoire pour celui qui pourrait être exclu de Solférino. Arrivé au PS en 1994 avec "150" de ses camarades, Gérard Filoche se fait vite remarquer par ses coups d’éclat. "Je le connais depuis des années, c’est quelqu’un qui gueule dès qu’il a la possibilité de gueuler", confie Alain Le Garrec. "Je l’ai connu au début des années 2000, il aime être minoritaire même chez les minoritaires. Il organise des factions au sein de mon mouvement Maintenant la gauche", explique l’eurodéputé socialiste Emmanuel Maurel. Une position qui laisse peu de place au compromis et au rassemblement. Résultat : Gérard Filoche n’a jamais été élu où que ce soit. Il a bien essayé, en 2001, pour les élections municipales de Combs-la-Ville (Seine-et-Marne) mais "ils m’ont écarté", dit-il. Il n’a ensuite "pas eu d’occasions" d’avoir un mandat d’élu. "Il n'a pas été élu à cause de son outrance", nuance Emmanuel Maurel.

Mais Gérard Filoche est "bombardé au bureau national" du PS de 2000 à 2005, puis réélu en 2012. 

C’est du pain béni pour les plateaux TV. Les médias étaient contents d’avoir un gars du BN qui crache sur le gouvernement.

Un ex-compagnon de route de Gérard Filoche

à franceinfo

En 2014, il crève l’écran sur le plateau de LCI en pleine affaire Cahuzac. "C’est la misère dans le pays, il y a cinq millions de chômeurs, 10 millions de personnes qui sont pauvres, qui ont moins de 900 euros par mois, et dont on ne parle pas… Et on a un chef du budget qui fraude lui-même !", s’était-il indigné au bord des larmes. L’extrait fait un carton sur les réseaux sociaux.

Ce sont aussi ses tweets, déjà, qui font polémique. "Il tweete de façon frénétique, il se comporte comme un troll", assure Emmanuel Maurel. En 2014 toujours, des dizaines de députés demandent son exclusion du PS après un tweet dans lequel il qualifie Christophe de Margerie, le patron de Total, de "suceur de sang" alors que ce dernier venait de mourir dans un accident d’avion.

En 2016, des socialistes écrivent à Jean-Christophe Cambadélis pour qu’il saisisse la commission des conflits sur des propos jugés "contraires et attentatoires à ce qu’est le PS aujourd’hui", rapporte Le Lab. Plusieurs déclarations de Gérard Filoche sont visées : celle sur Christophe de Margerie, celle où il avait appelé à la démission d’Emmanuel Macron après l’accident de car de Puisseguin, sa référence aux "rafles" dans les "stades" au moment de l’éventuelle interdiction d’une manifestation contre la loi Travail ou encore sa phrase sur Hollande que "même une chèvre battrait" en pleine primaire PS. A la manœuvre notamment : Alain Le Garrec et une quinzaine de militants de sa section.

Qu’a fait le PS pour tenter de contrôler son électron libre ? "Il ne s’est rien passé, regrette Alain Le Garrec. J’ai eu l’occasion d’en discuter avec le président de la commission des conflits. Il m’a dit : ‘Je n’étais pas au courant que tu avais écrit une lettre'". Alors, forcément, aujourd’hui, l'ancien compagnon de route n’est pas surpris de voir Gérard Filoche récidiver. 

Je savais que ça recommencerait, qu’il dépasserait la ligne.

Alain Le Garrec

à franceinfo

Un nouveau mouvement autour de Gérard Filoche ? 

Personne ne croit cependant que Gérard Filoche soit réellement antisémite ou raciste. "Il est outrancier, mais pas raciste et antisémite. Il est tellement obsédé par Macron que dès qu’il y a un truc qui traîne sur lui, il le poste, commente Emmanuel Maurel. Je lui ai envoyé un texto pour lui demander de s’excuser. Là, il en fait une histoire politique, une cabale macroniste." D’autres ont une lecture différente de cet énième épisode. "L’accuser de racisme, d’antisémitisme, c’est absurde, abonde Alain Krivine, qui y voit "un prétexte pour le virer, il y en a plein qui en ont marre de lui."

"C'est la troisième fois en moins de deux ans que le PS veut exclure Filoche. Ça fait quand même beaucoup. Quand on veut noyer son chien, on l'accuse de la rage", abonde Dominique Tricaud, l’avocat de Gérard Filoche, qui évoque, après le tweet sur De Margerie, un meeting contre la loi Travail où s'est rendu Gérard Filoche. "La candidate locale trouvait qu'il lui avait fait de l'ombre". Et l’avocat de glisser : "On peut se demander quelles sont les arrière-pensées du PS..."

Dans son café des Halles, on sent Gérard Filoche un peu amer. "Ils ne devraient pas me charger mais me défendre. Le parti aurait dû dire : 'Gérard a fait une connerie, halte !'" Que fera-t-il après son exclusion du PS ? "On n'arrêtera pas de militer, ça c’est sûr." Pense-t-il créer son propre mouvement ? "Oui, bien sûr, mais avec un peu d’amertume car on crée une force de plus. Ceci dit aujourd’hui, dans l’état où est la gauche, il y a déjà six, sept, huit forces. Il peut y en avoir une neuvième hélas, pourvu qu’elle se batte pour l’unité", répond-il. Et surtout contre Macron, "le pire président de la République depuis 1945", un homme "irresponsable qui n’a pas de comptes à rendre dans des partis".

L'interview touche à sa fin mais à l'évocation du nom d'Emmanuel Macron, Gérard Filoche s'agite. La machine se relance et ses propos flirtent de nouveau avec le complotisme. Le chef de l'Etat ferait "la politique d’un lobby tout puissant : le CAC 40".  Accompagnant sa logorrhée de poings fermes sur la table, Gérard Filoche ne s'arrête plus. "Emmanuel Macron, il est sorti du Medef, du CAC 40, des quatre grandes banques. Il en est sorti comme d'une imprimante 3D. Il est totalement leur produit", dit-il, un rictus aux lèvres, avant de regretter : "J’ai eu 15 appels samedi pour un tweet. Zéro appel sur les ordonnances Macron. Tout le monde s’en tamponne."

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