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"Sécurité globale" : l'article à lire pour comprendre cette proposition de loi contestée, actuellement en débat à l'Assemblée

Ce texte, que les députés examinent jusqu'à vendredi, comporte une multitude de mesures sécuritaires portées par la majorité. Certaines, comme l'encadrement de la diffusion de l'image des policiers et des gendarmes, sont fustigées par les défenseurs des libertés publiques.

Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 18min
La photographe Marie Rouge repoussée et tenue à distance par des policiers pour ne pas prendre de clichés d'une arrestation, lors d'une manifestation de soignants, le 16 juin 2020 à Paris. (AMAURY CORNU / HANS LUCAS / AFP)

Un large éventail de mesures, voire un côté fourre-tout. La proposition de loi sur la "sécurité globale" est examinée depuis mardi 17 novembre à l'Assemblée nationale. Le texte est l'objet de débats, bien au-delà de l'Hémicycle, non seulement autour de l'interdiction de la diffusion, dans certaines circonstances, d'images permettant d'identifier policiers et gendarmes, mais aussi sur d'autres aspects qu'il contient, notamment l'utilisation des drones par les forces de l'ordre. Franceinfo décrypte cette proposition de loi et détaille les arguments de ses opposants pour tenter de mieux saisir les enjeux.

Qui est à l'origine de cette proposition de loi ?

Présentée par le parti majoritaire, LREM, et son allié Agir, la proposition de loi "sécurité globale" n'était, au départ, que la traduction législative d'un rapport parlementaire consacré au "continuum de la sécurité vers la sécurité globale". Leurs auteurs, les députés Alice Thourot et Jean-Michel Fauvergue, par ailleurs ex-patron du Raid, l'avaient remis au gouvernement le 11 septembre 2018. La proposition de loi aurait dû être examinée en janvier 2020, mais la crise sanitaire en a décidé autrement.

Au sein du gouvernement, Gérald Darmanin, nommé le 6 juillet au poste de ministre de l'Intérieur, s'est saisi de ce texte pour y ajouter de nouvelles mesures sécuritaires au moment de son passage en commission, entre début et mi-novembre. A tel point que certains politiques, de droite comme de gauche, estiment qu'il s'agit plus d'un projet de loi du gouvernement que d'une proposition de loi qui émane de parlementaires. Les nouvelles dispositions sont destinées à répondre aux inquiétudes des forces de sécurité, et notamment aux récriminations des syndicats policiers, reçus le 15 octobre par Emmanuel Macron. Ceux-ci ont demandé des mesures pour protéger les policiers des agressions, cinq jours après l'attaque aux mortiers d'artifice du commissariat de Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne).

J'ai entendu dire qu'avec ce texte, il sera interdit de diffuser des images de policiers. Vous pouvez m'en dire plus ?

C'est la mesure la plus polémique de cette proposition de loi : l'article 24 modifie la loi de 1881 sur la liberté de la presse. Celui-ci prévoit de pénaliser d'un an de prison et de 45 000 euros d'amende la diffusion de "l'image du visage ou tout autre élément d'identification" d'un policier ou d'un gendarme en intervention, lorsque celle-ci a pour but de porter "atteinte à son intégrité physique ou psychique".

Or, actuellement, "les policiers ne peuvent pas s'opposer à être filmés sur la voie publique", comme c'est écrit noir sur blanc dans la circulaire du 23 décembre 2008. Ainsi, de nombreux vidéastes, qu'ils soient professionnels ou amateurs, ont pu documenter les violences policières par ce moyen. De fait, depuis le début du mouvement des "gilets jaunes", quand une vidéo massivement diffusée dans les médias et sur les réseaux sociaux suggère un usage illégitime de la force, l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) est bien souvent saisie. Les vidéos "sont un moyen important d'investigation", abonde, dans Libération, un commissaire de l'IGPN.

Selon le ministre de l'Intérieur, cela ne devrait pas changer : la nouvelle loi n'interdira pas de transmettre les images aux autorités administratives et judiciaires. "Si vous voyez un problème qui relève du Code pénal, vous aurez le droit de le filmer et de le transmettre au procureur de la République", a indiqué vendredi sur franceinfo Gérald Darmanin. On aura toujours "le droit" de filmer les forces de l'ordre en intervention, a-t-il insisté.

Et les droits des policiers municipaux ? Ils vont changer ?

Oui : c'est une autre disposition du texte. Elle prévoit la possibilité d'élargir le champ d'intervention des polices municipales de plus de 20 agents. Cette expérimentation, annoncée en juillet par le Premier ministre, est prévue pour durer au moins trois ans. Concrètement, les policiers municipaux pourront participer à la sécurisation de manifestations sportives, récréatives ou culturelles. Ils auront également la possibilité de constater, entre autres, davantage d'infractions comme l'ivresse publique, la vente à la sauvette, la conduite sans permis, les squats de halls d'immeubles ou encore l'occupation illégale d'un terrain communal.

En outre, la proposition de loi devrait permettre de concrétiser la création d'une police municipale à Paris, promesse de campagne chère à Anne Hidalgo. "Ce qui mettrait fin à l'exception historique qui voit, dans la capitale, l'essentiel des pouvoirs de police confiés au préfet", souligne Libération.

Il me semble qu'il est aussi question de drones dans ce texte…

Tout à fait. C'est l'article 22 qui liste les usages des images captées par les "caméras installées sur des aéronefs", autrement dit des avions, des hélicoptères et surtout des drones. Les forces de l'ordre pourront donc les utiliser, par exemple, en cas de "troubles graves à l'ordre public", pour surveiller des "rodéos", ou encore prévenir des actes terroristes. Le public sera informé de la captation de telles images... à une exception près : "Lorsque les circonstances l'interdisent ou que cette information entrerait en contradiction avec les objectifs poursuivis."

Y a-t-il autre chose que je dois savoir à propos de cette proposition de loi ?

Le texte aborde aussi l'utilisation des caméras-piétons, ces petits appareils attachés sur la tenue des forces de l'ordre pour enregistrer les interactions avec le public, voire des scènes de délits ou de crime. Jusqu'à présent, "les personnels auxquels les caméras individuelles sont fournies ne peuvent avoir accès directement aux enregistrements auxquels ils procèdent", selon la loi du 3 juin 2016 de lutte contre le terrorisme et le crime organisé.

L'article 21 de la proposition de loi bouleverse la donne : il autorise les agents à consulter et diffuser les images tournées par leurs caméras individuelles, dans le cadre d'une procédure judiciaire ou d'une intervention, par exemple sur une personne en fuite. Le texte permet aussi la transmission de ces images "en temps réel au poste de commandement du service concerné". Une nouvelle finalité justifiant l'enregistrement et son exploitation est, en outre, prévue : "L'information du public sur les circonstances de l'intervention."

Mais la proposition de loi sur la "sécurité globale" ne s'arrête pas là. Elle envisage de priver de réduction de peine les personnes condamnées pour des actes de violence, ou des menaces, à l'encontre d'élus, de militaires, d'agents de la police et de la gendarmerie et des pompiers. En outre, la proposition de loi LREM-Agir prévoit la possibilité pour les policiers et gendarmes de conserver leur arme hors service lorsqu'ils entrent dans un établissement recevant du public. Et elle assouplit le régime d'usage des armes par les militaires de l'opération Sentinelle. Autre disposition : l'achat, la détention, l'utilisation et la vente de mortiers d'artifice à d'autres personnes que des professionnels seront sanctionnés pénalement, de six mois à un an de prison.

Enfin, le texte vise à structurer le secteur de la sécurité privée avant la Coupe du monde de rugby en 2023 et les Jeux olympiques de Paris l'année suivante. La sous-traitance, "véritable plaie pour le secteur", selon Alice Thourot, sera mieux encadrée. De plus, le périmètre des missions des agents va s'élargir, mais avec des contreparties.

Parmi ces mesures, beaucoup sont critiquées… Par qui et pourquoi ?

Limiter la diffusion d'images des forces de l'ordre est LA mesure qui fait bondir des syndicats et associations de journalistes, ainsi qu'une autre association, la Ligue des droits de l'homme (LDH). Pour protester contre cette disposition, ils ont manifesté mardi après-midi, à l'heure où l'examen de la proposition de loi a commencé. Ce nouveau délit "a pour objectif réel de restreindre le droit des journalistes et la liberté de la presse de manière disproportionnée par rapport à la réalité de la menace", estiment ces organisations. Il "permettrait d'interpeller tout journaliste qui filme en direct une opération de police, de le placer en garde à vue" en saisissant son matériel et de "l'envoyer devant un tribunal", seul "à même de déterminer si l'intention malveillante est établie", font-ils encore valoir. Le journaliste David Dufresne, qui a régulièrement interpellé sur Twitter le ministère de l'Intérieur sur les violences policières pendant le mouvement des "gilets jaunes", a ainsi dénoncé "une atteinte inédite au droit d'informer" et une censure d'Etat.

Le credo est repris par les professionnels du cinéma et de l'image qui, eux aussi, montent au créneau. "Après avoir nié et invariablement refusé de sanctionner les violences policières, il s'agit d'en effacer toute preuve", dénonce la Société des réalisateurs de films (SRF), soutenue par 40 organisations et collectifs et par plus de 800 cinéastes dans une tribune publiée le 11 novembre dans LibérationMême son de cloche du côté des ONG Reporters sans frontières (RSF) et Amnesty International. Cette dernière alerte sur son site internet : "Ceci pourrait contribuer à une culture de l’impunité qui porte finalement atteinte à l’image des forces de l’ordre et contribue à saper le lien de confiance nécessaire entre les forces de l’ordre et la population."

Le débat est aussi politique et agite les bancs de l'Hémicycle à l'Assemblée. A gauche, la députée de La France insoumise Danièle Obono dénonce le risque "d'autocensure". Lors des débats en commission, elle a aussi accusé la majorité de "créer la base légale d'une propagande gouvernementale". Pour le socialiste Hervé Saulignac, "il y a des lignes rouges à ne pas franchir. Le texte pousse tous les curseurs, même Sarkozy n'était jamais allé aussi loin". EELV a dénoncé de son côté une "surenchère sécuritaire" du gouvernement et a appelé au rejet du texte.

Quant à la Défenseure des droits, elle critique la proposition de loi dans son ensemble. Dans un avis publié le 5 novembre, Claire Hédon souligne que "l'information du public et la publication d'images relatives aux interventions de police sont légitimes et nécessaires au fonctionnement démocratique". Elle pointe du doigt l'éventuelle possibilité de consulter les images des caméras de vidéoprotection, l'exploitation en temps réel des images des caméras-piétons et le recours aux drones comme outil de surveillance. Ce dernier aspect est également pourfendu par l'association La quadrature du Net, qui considère que le déploiement massif de drones "entraînerait une capacité de surveillance généralisée de l’espace public" et "un effet coercitif sur la liberté d'expression et de manifestation". Par ailleurs, des experts indépendants mandatés par l'ONU ont aussi récemment redouté "des atteintes importantes" aux "libertés fondamentales".

Que répondent ses défenseurs ?

Pour Gérald Darmanin, comme pour Jean-Michel Fauvergue et Alice Thourot, il s'agit simplement, à travers cette proposition de loi, de "protéger ceux qui nous protègent", c'est-à-dire les forces de l'ordreAlice Thourot assure que l'article 24 n'interdit en rien de filmer, ni de diffuser les visages des forces de l'ordre. C'est l'intention de nuire au policier qui est sanctionnée. "Il ne s'agit en aucun cas d'empêcher les journalistes de travailler ni de porter atteinte au droit d'informer les citoyens", indique-t-elle à franceinfo. "Les policiers et gendarmes travaillent à visage découvert et nous devons les protéger quand ils sont victimes d'une mise en pâture sur les réseaux sociaux", argumente-t-elle.

"Les journalistes pourront toujours faire leur travail, nous ne voulons sanctionner que les actions malveillantes", avait également déclaré, le 4 novembre, Jean-Michel Fauvergue au début de l'examen du texte en commission des Lois. La mesure "n'impose pas un floutage", avait-il insisté, avant d'être contredit par Gérald Darmanin neuf jours plus tard. "Si vous voulez le diffuser sur internet de façon sauvage, vous devrez faire flouter les visages des policiers et des gendarmes", avait déclaré le ministre de l'Intérieur. Réclamée par les syndicats de policiers, cette dernière obligation ne figure pas, pour l'instant, dans le texte de loi.

Il ne s'agit "évidemment pas [d'une] interdiction de filmer et de diffuser des policiers en manifestations ou en intervention", a martelé, de son côté, le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, mardi matin sur France 2.

"Il n'y a aucune atteinte liberticide au droit et à la loi de la presse", abondait, au même moment sur franceinfo, Stanislas Gaudon, délégué général du syndicat Alliance. Tandis que le chef de file des députés LREM et ancien ministre de l'Intérieur Christophe Castaner a défendu, mardi après-midi, une proposition de loi, "loin des caricatures", lors d'une conférence de presse au palais Bourbon, accompagné de Jean-Michel Fauvergue et Alice Thourot.

Ce texte de loi peut-il encore changer avant d'être promulgué ?

Oui, il peut évoluer lors de son passage en séance publique à l'Assemblée, prévu de mardi à vendredi. Notamment parce qu'environ 1 300 amendements ont été déposés sur le texte, issus de parlementaires de tous les groupes politiques. Les désaccords sont vifs, y compris au sein de la majorité. Ainsi, pour maintenir le fameux article 24, les LREM ne pourront pas compter sur leurs alliés du MoDem qui veulent le supprimer. La République en marche pourrait donc profiter du soutien des députés Les Républicains, de même que de ceux du Rassemblement national. Eric Ciotti (LR) souhaite même aller "plus loin" et veut que "toute image qui diffuse le visage d'un policier soit floutée".

Par ailleurs, le gouvernement a engagé la procédure accélérée sur ce texte le 26 octobre. De ce fait, il n'y aura qu'une seule lecture à l'Assemblée, suivie d'une seule lecture au Sénat. En cas de désaccord, une commission mixte paritaire (CMP) est toujours prévue, afin de trouver un texte de compromis pour tous les articles qui restent en discussion. Restera ensuite le passage par le Conseil constitutionnel avant la promulgation de la loi. Or, dans la majorité, on s'interroge sur le devenir de l'article 24 devant les Sages, qui pourraient le retoquer.

J'ai eu la flemme de tout lire, pouvez-vous me faire un résumé ?

La proposition de loi sur la "sécurité globale", portée par les députés de La République en marche Jean-Michel Fauvergue et Alice Thourot, est examinée à partir de mardi à l'Assemblée nationale. Pour la majorité, l'objectif de ce texte est de "protéger ceux qui nous protègent", c'est-à-dire les forces de l'ordre. Dans le viseur de Jean-Michel Fauvergue, ex-patron du Raid, la "guerre des images" que "l'autorité, l'État en particulier, est en train de perdre", alors que se sont multipliées, dans le sillage du mouvement des "gilets jaunes", les accusations de violences policières.

Pour y remédier, le gouvernement a fait glisser dans le texte, mi-octobre, l'article 24, qui prévoit de pénaliser la diffusion de "l'image du visage ou tout autre élément d'identification" d'un policier ou d'un gendarme en intervention, lorsque celle-ci a pour but de porter "atteinte à son intégrité physique ou psychique". Mais cette disposition crispe les défenseurs des libertés publiques. Journalistes, cinéastes, ONG, Défenseure des droits et même experts de l'ONU redoutent "des atteintes importantes" aux "libertés fondamentales". La proposition de loi contient d'autres aspects polémiques, sur les droits élargis des policiers municipaux et la généralisation de l'usage des drones par les forces de l'ordre. Le débat promet d'être houleux à l'Assemblée. Chaque groupe politique espère le faire évoluer à sa manière : plus de 1 300 amendements ont été déposés pour le modifier. Les sénateurs s'en empareront ensuite, et apporteront peut-être d'autres modifications. Une fois validée par le Parlement, si la loi est jugée conforme à la Constitution, elle sera publiée au Journal officiel.

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