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Proposition de loi sur la "sécurité globale" : quatre questions sur l'interdiction de diffuser le visage des policiers

Cette mesure, jugée "liberticide" par ses opposants, est prévue dans une proposition de loi relative à la "sécurité globale" débattue depuis le 4 novembre par les députés.

Article rédigé par franceinfo - David Pauget
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Temps de lecture : 6 min
Un policier pointe un lanceur de balles de défense (LBD) vers des manifestants lors d'une manifestation des "gilets jaunes'', le 20 avril 2019 à Paris. (ZAKARIA ABDELKAFI / AFP)

Le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, en avait fait le souhait en septembre dernier. "Personne ne pourra empêcher les gens de filmer", avait-il concédé au congrès de l'Unsa Police, mais "je retiens l'idée d'obliger les télés et les réseaux sociaux à ne pas diffuser les images des visages des policiers, mais de les flouter".

Cette interdiction pourrait bientôt s'appliquer. Elle est prévue dans une proposition de loi relative à la "sécurité globale", portée par les députés LREM Alice Thourot et Jean-Michel Fauvergue – par ailleurs ex-patron du Raid –, et débattue à partir de ce mercredi 4 novembre par les députés.

1Que dit actuellement la loi sur le sujet ?

"Les policiers ne bénéficient pas de protection particulière en matière de droit à l’image", selon une circulaire du ministère de l'Intérieur de 2008. "Les policiers ne peuvent donc pas s’opposer à l’enregistrement de leur image lorsqu’ils effectuent une mission", est-il précisé. Il est également interdit à un policier "d'interpeller pour cette raison la personne effectuant l'enregistrement, de lui retirer son matériel ou de détruire l'enregistrement ou son support".

Des exceptions empêchant l'enregistrement d'une intervention sont cependant rappelées dans cette circulaire : soit "pour la préservation des traces et indices et pour le respect du secret de l'enquête et de l'instruction, ce qui permet le maintien des individus hors de vue d'une scène d'infraction ou de reconstitution d'infraction" soit "pour des raisons de sécurité, dans le cas du maintien d'individus à distance d'une action présentant des risques pour les personnes se trouvant à proximité".

Des restrictions existent aussi concernant la diffusion des images : celles-ci ne peuvent pas montrer des "victimes blessées" et des personnes menottées ou entravées "mises en cause à l'occasion d'une procédure pénale, mais n'ayant pas fait l'objet d'un jugement de condamnation". Il est également écrit que les membres des "services d'intervention, de lutte antiterroriste et de contre-espionnage" ne doivent pas être reconnaissables car leur anonymat "est protégé en toute circonstance".

2Que prévoit la proposition de loi ?

Elle vise à renforcer les moyens des polices municipales, de structurer le secteur de la sécurité privée, et prévoit aussi des dispositions pour protéger davantage les forces de l'ordre. Elle pourrait également remettre en cause la règle actuelle sur les diffusions des images de forces de l'ordre.

L'article 24 de la proposition de loi en discussion prévoit en effet une peine d’un an d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende en cas de diffusion, "par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support" de "l’image du visage ou tout autre élément d’identification d’un fonctionnaire de la police nationale ou d’un militaire de la gendarmerie nationale lorsqu’il agit dans le cadre d’une opération de police".

Cet article précise également que cette interdiction s'applique quand le but de la diffusion est de porter "atteinte à l'intégrité physique ou psychique" des forces de sécurité. La proposition de loi introduirait donc un changement notable en interdisant, dans ce cas, la diffusion des images de leurs visages sans floutage.

3Pourquoi cette interdiction fait-elle polémique ?

Les détracteurs du texte jugent cette mesure liberticide. Ils craignent notamment une restriction de la liberté d'information. C'est l'avis du journaliste David Dufresne, connu pour son décompte des violences policières. Il y voit "la mise au pas du contrôle citoyen des pratiques policières", comme il l'écrit sur Twitter. "La police, ce n'est pas une milice. La police, elle doit être identifiable. Elle doit rendre des comptes", insistait-il également en septembre sur franceinfo.

Cette crainte est partagée par l'intersyndicale SNJ, SNJ-CGT, CFDT-Journalistes, SGJ-FO, la Ligue des droits de l'homme et les fédérations internationale et européenne de journalistes. Dans un communiqué commun dévoilé le 9 novembre, elles estiment que la proposition de loi"pour objectif réel de restreindre le droit des journalistes et la liberté de la presse de manière disproportionnée par rapport à la réalité de la menace"La Défenseure des droits a alerté le 5 novembre sur les "risques considérables" d'atteinte à la "liberté d'information" que soulève ledit texte. 

Le nouveau délit qu'il entend inscrire "permettrait d'interpeller tout journaliste qui filme en direct une opération de police, de le placer en garde à vue" en saisissant son matériel et de "l'envoyer devant un tribunal", seul "à même de déterminer si l'intention malveillante est établie", font valoir les signataires du communiqué. Interrogé en septembre sur le sujet, le professeur de droit Vincent Couronne indiquait dans Marianne qu'une telle mesure serait impossible à mettre en œuvre lors des directs. Selon lui, dans ce cas, "la nécessité d’informer primerait sur l’obligation de flouter : une sanction serait alors contraire au droit européen".

Une telle disposition pourrait également "empêcher la révélation d'affaires de violences policières illégitimes, souvent dissimulées par la hiérarchie des fonctionnaires en cause", alertent les représentants des journalistes et la LDH. "Après avoir nié et invariablement refusé de sanctionner les violences policières, il s’agit d’en effacer toute preuve", dénonce la Société des réalisateurs de films (SRF), soutenue par 40 organisations et collectifs et par plus de 800 cinéastes et professionnels du cinéma et de l’image dans une tribune publiée le 11 novembre sur le site de LibérationPour Anne-Sophie Simpere, d'Amnesty France, "avec les restrictions envisagées sur les vidéos citoyennes de la police, il n’y aurait pas eu d’affaire Benalla, d’affaire du Burger King, d’image de croche-pieds de policiers..." écrit-elle sur Twitter. 

La députée LFI Danièle Obono a aussi développé cet argument ce mercredi en commission des Lois, estimant que cette mesure empêcherait les auteurs de violences policières d'être identifiés. Une pétition (lancée il y a déjà plusieurs mois) contre cette mesure a recueilli plus de 550 000 signatures. 

4Que répondent les défenseurs de la proposition de loi ?

Les arguments contre cette mesure sont balayés par Thierry Clair, secrétaire général adjoint du syndicat Unsa Police. Interrogé par franceinfo, il affirme qu'il s'agit "simplement de flouter le visage" et "non pas d'empêcher la diffusion des images". Pour lui, cette mesure vise avant tout à protéger les forces de l'ordre.

"Quand les policiers interviennent sur une opération, on a parfois des gens qui nous filment de très près, et diffusent de façon massive les images des policiers", explique-t-il. "Il y a des commentaires avec leurs noms, ou en identifiant les membres de leur famille. Nos collègues se retrouvent avec des craintes, des menaces à peine voilées." Le floutage fait donc partie, selon lui, de "la protection fonctionnelle du policier".

"Les journalistes pourront toujours faire leur travail, nous ne voulons sanctionner que les actions malveillantes", a déclaré également ce mercredi Jean-Michel Fauvergue au début de l'examen du texte, en réponse aux craintes au sujet de la liberté d'informer.

Le gouvernement, qui n'est pas formellement à l'origine du texte mais dont il soutient la démarche, a déposé une trentaine d'amendements sur les plus de 400 qui seront débattus en commission, avant le passage de la proposition de loi dans l'Hémicycle, à partir du 17 novembre.

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